En 1963, le 10 panchen-lama dénonçait les exactions chinoises au Tibet.
Caroline Puel / liberation
---------------------------------------------
Considéré comme un personnage énigmatique, ambigu dans le meilleur des cas, parfois comme un traitre par les Tibétains en exil, le 10 panchen-lama, second personnage de la hiérarchie religieuse et politique du Tibet, voit son image réhabilitée, post mortem, grace à la publication par Tibet Information Network -probablement le réseau d'informations le plus impartial sur le Tibet- d'une "pètition en 70000 caractères", publiée en 1962 par le panchen-lama.
Ce texte, jusqu'à ce jour resté dans les arcanes très secrétes du Parti communiste chinois, démontre que la politique systématique d'annihilation de la culture et de répression du peuple tibétain était patente dés la fin des années 50. Ce qui réfute sans ambiguité l'un des points centraux de la propagande de Pekin, qui attribue la plupart des exactions chinoises commises au Tibet aux "erreurs" de la période de la Révolution culturelle (1966-1976) et à la "Bande des Quatre". "La population du Tibet a gravement diminué. Cela menace l'existence de la race tibétaine", écrit le panchen-lama en 1962.
Plus loin, il redoute l'extinction de son peuple et la tentative du parti communiste d'éradiquer la r religion bouddhiste. Le panchen-lama y détaille la destruction des monastères dans la Région autonome du Tibet, dont le nombre est passé de 2500 en 1949 à 70 en 1961. Dans le meme temps, le nombre de moines a été réduit de 93%. Il décrit la façon dont les autorités chinoises "séparaient d'un coté les moines, de l'autre les nonnes,en forçant chacun à se choisir un partenaire" de "mariage".
Lorsque Choekyi Jyaltsen,le 10 panchen-lama, présente sa pétition au maitre supreme de la Chine Mao Zedong, en mai 1962, il est le principal dirigeant religieux tibétain encore présent en Chine. Il vient d'effectuer une mission d'observation dans les différentes provinces qui faisaient auparavant partie du Tibet, ainsi que dans la lintaine province musulmane du Xinjiang. L'armée populaire est montée sur le "Toit du monde" au début des années 50 et, après une révolte des Tibétains contre la présence chinoise écrasée dans le sang en 1959, le dalai-lama, chef spirituel et politique, s'est réfugié en Inde, où il a mis en place un gouvernement en exil.
Dans sa pétition, le panchen-lama dénonce la répression excessive à l'issue de la rébellion de 1959 et les punitions collectives visant à atteindre tout l'entourage des indépendantistes. Il décrit le traitement terrible imposé aux prisonniers politiques afin de les éliminer physiquement. Le rapport remue d'autant plus les dirigeants de Pékin qu'il fait très clairment le lien entre la politique du Grand Bond en avant et les communes populaires et l'immense famine qui a provoqué entre 15 et 30 millions de morts dans toute la Chine entre 1959 et 1962. D'après un rapport publié par l'Institut de recherche sur les systèmes économiques de Pékin plus de 900000 personnes seraient mortes de cette terrible disette dans la seule province du Qinghai (ancien Amdo tibétain), dont était originaire le panchen-lama, soit 45 % de la population de cette province.
Dans un premier temps, le rapport est étudié avec attentation et des mesures d'assouplissement sont envisagées. Mais, au meme moment, le climat politique se tranforme à Pékin. Mao, qui engage une campagne de reprise en main du pouvoir central, condamne l'audace du panchen-lama. Ce dernier est envoyé pendant près de dix ans en prison, puis placé en résidence surveillée. Il ne sera libéré qu'en 1978.
Dix ans plus tard, le panchen-lama reprend, dans un discours devant l'Assemblée nationale, les principaux thèmes de sa pétition de 1962, qu'il estime toujours d'actualité. Jusqu'alors, rien n'a filtré hors des couloirs du Parti sur le bras de fer que livre le panchen-lama. En janvier 1989, alors que les émeutes de protestation sur la présence chinoise se multiplient depuis près de deux ans dans les grandes villes tibétaines, l'agence Chine nouvelle rend publique, pour la prmière fois, l'une des interventions critiques du panchen-lama: "Depuis la libération (avènement du régime communiste en 1949, ndlr), il y a certainement eu des développements mais le prix à payer a été supérieur aux gains". Trop polémique? Quelques jours plus tard, le panchen-lama meurt brutalement d'une crise cardiaque, dans des circonstances restées, jusqu'à ce jour, confuses.
Au début des années 80, les cris d'alarme du panchen-lama avaient trouvé une oreille en la personne de Hu Yaobang, le chef réformiste du Parti communiste, dont la mort a provoqué les événements de Tiananmen en 1989. Mais, depuis lors, le joug chinois n'a cessé de se resserrer et les quelques réformes qu'avait réussi à faire adopter le panchen-lama, notamment en facilitant l'accès des Tibétains à l'éducation, sont de nouveau restées lettre morte. Quant au successeur du panchen-lama, il a été l'objet d'une bataille entre les autorités tibétaine et chinoise autour de sa "réincarnation". Deux enfants, agés aujourd'hui de 8 ans, ont été désignés. Le jeune panchen-lama choisi par les Tibétains a été enlevé et semblerait se trouver à Pékin en résidence surveillée. Quant au candidat des Chinois, il étudie sous haute surveillance afin d'acquérir les compétences d'un "bon" panchen-lama aux yeux de Pékin...