Un rapport d'Amnesty, accablant pour les autorités sénégalaises, n'épargne pas la guérilla.
liberation / Marie-Laure Colson
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Ce sont de petits dessins, maladroites mais expressifs. Des scènes de tortures, légendées avec précision: le nom du village ou du cantonnement militaire où la scène s'est déroulée, ou la signature de l'auteur: "J'ai été victime de ce que vous voyez là." Ce que l'on voit, c'est un corps à moitié enfoui dans un trou et trois militaires en train de frapper à coups de baton et de bottes ce qui dépasse, des jambes liées. Ces dessins viennent du Sénégal, pays démocratique qui a modifié son code pénal en 1996 pour y inscrire que tout acte de torture est une infraction à la loi, meme en cas "de guerre, de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure".
Comment faut-il donc appeler ce qui se passe en Casamance depuis bientot quinze ans? La terreur, répond Amnesty International, qui a publié hier un rapport (1) qui fait le point sur la sale guerre opposant l'armée sénégalaise aux rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), dans le sud du pays. Ce conflit qui s'éternise, malgré des tentatives de dialogue chaque fois avortéees, est en train de briser lentement une population d'agriculturs, de ruiner une région autrefois promise à une relative prospérité. La violence, utilisée de part et d'autre, et de préférence devant témoins, les délations anonymes et les "disparitions" ont crée un climat de peur et de suspicion qui, au fur et à mesure que le temps passe, réduit les espoirs de réconciliation nationale.
PLASTIQUE EN FUSION. Si le MFDC porte sa part de responsabilité, "le violations des droits de l'homme en Casamance sont essentiellement le fait de l'armée et de la gendarmerie, qui agissent depuis des années en toute impunité" , écrit Amnesty International, qui a recueilli de nombreux témoignages lors de deux missions, en janvier et en septembre 1997. "Si l'on fait le bilan sur quinze ans, dit Salvatore Sagues, spécialiste de l'Afrique à Amnesty, il se passe, mot pour mot, les memes choses, ce sont les memes techniques de torture." Dans une guerre, on tue, on fait des prisonniers. En Casamance, on verse du plastique en fusion sur le corps, on bat des vieillards on couvre les femmes d'excréments pour obtenir des aveux, pour les humilier, pour l'exemple. On emprisonne sans jugement, puis on libère en disant: " Rentre chez toi et raconte ce qu'on t'a fait."
Le phénomène des "disparitions" a pris une nouvelle ampleur depuis la mort de vingtcinq soldats, le 19 aout 1997, dans une embuscade du MFDC. Cinq jours plus tard, l'un des quatre membres du bureau exécutif du mouvement indépendantiste, Sarani Badian, a été arreté en présencede nombreux témoins. Sa famille ne l'à jamais revu. A Ziguinchor, la capitale régionale, des femmes continuent de faire le tour des casernes, des hopitaux et des prisons, à la recherche d'un parent emmené un jour par des militaires. "La détresse économique et psychologique de ceux qui restent est terrible, dit Salvatore Sagues. La plupart du temps, les autorités mentent et leur racontent que les disparus sont partis en Guinée-Bissau", de l'autre coté de la frontière, où le MFDC dispose de bases arrière.
Selon Amnesty International, les civils partecipent bien d'une stratégie de la terreur. Comment croire que les militaires bien formés de l'armée sénégalaise, forces de maintien de la paix dans d'autres pays du continent, puissent commettre tant de bavures ?
Amnesty a également recueilli de nombreux témoignages sur les "homicides délibérés et arbitraires commis par le MFDC ". Depuis des années, ses combattants lancent des raids contre les villages pour obtenir nourriture et argent de la popolation. Plusieurs villages ont été vidés afin de permettre aux hommes du MFDC de s'emparer du carburant et du bétail. En septembre 1997, ils ont fait irruption dans le foyer de jeunes d'un village et tiréP dans le tas, parce qu'ils dansaient et s'amusaient tandis qu'eux se battent pour l'indépendance. Bilan : neuf morts, pour la plupart des enfants.
VILLAGES VIDES. Harcelés de toutes parts, les Casamançais sont de plus en plus nombreux à quitter leurs champs pour se réfugier dans les villes, sans moyen de subsistance. Les responsables politiques du MFDC assurent pourtant à Amnesty qu'ils ont donné des instructions à leurs combattants. Que si les villages sont vidés, c'est non pour spolier leurs habitants, mais pour les protéger... Les autorités sénégalaises sont tout aussi réticentes à reconnaitre leurs responsabilités.
Elle se sont toujours refusées à enqueter sérieusement sur les violations des droits de l'homme commises par leurs propres forces de sécurité, malgré des listes très précise de personnes arretées devant témoins et depuis disparues, malgré les témoignages, y compris de militaires révoltés par les scènes auxquelles ils avaient assisté. Comme l'a clairement signifié un militaire à un cultivateur torturé en septembre 1997, avant de le relacher, les Casamançais sont des otages avec lesquels on ne prendra pas de précautions: " Nous, les militaires, nous allons peut-etre mourir, mais les civils vont souffrir le plus"