D'où l'extreme difficulté qu'ont les forces de l'ordre à le réduire.LE MASSACRE
COMME STRATEGIE.
Paul-Marie de la Gorge / J.A.
--------------------------------------------------
<< Terrorisme >> : le mot a été si galvaudé que l'on hésite souvent à l'employer .
Dans le pays occidentaux, et à plus forte raison en Israel, toute action violente contre le positions et les forces israéliennes, que ce soit en territoire palestinien, dans les frontières de l'Etat hébreu ou ailleurs, était qualifiée de "terroriste", alors que toute résistance, où que ce soit dans le monde, a eu logiquement recours à des actions violentes. Quand était-il donc légitime de parler de "terrorisme" ? Sans qu'elle soit entièrement satisfaisante. la réponse sur laquelle on s'est accordé en général est la suivante : on peut parler de " terrorisme" quand il s'agit d'actions aveugles visant indistinctement la population au lieu de viser délibérément des cibles comme on le fait en temps de guerre ou de guérrilla. C'est en ce sens que l'on peut parler de "terrorisme " en Algérie.
On a affaire ici à un terrorisme spécifique. Faute de le voir et de le comprendre, il est impossible de rendre compte de ce qui ce passe là -bas, de la nature des actions armées, de l'extraordinaire difficulté que les forces de sécurité éprouvent à réduire la violence sans mesure de leurs adversaires. Tout a commencé, pourtant, de manière relativement ordinaire et bien identifiée. On se souvient qu'aprés l'arret des procédures électorales, en janvier 1992, la direction du FIS ( Front islamique du salut ) décide de passer à la clandestinité et d'entamer une lutte armée contre le pouvoir. Ce n'est pas pour cette organisation, un choix qui va de soit et il suscite d'apres discussions en son sein.
D'autres organisations islamistes. comme le Hamas ou Ennahda, ont fait le choix inverse et se retrouvent aujourd'hui avec de grandes possibilités d'agir au sein des institutions élues et de l'appareil d'Etat. Quoi qu'ilen soit, l'islamisme armé est né.
En ce temps où tous ceux qui s'occupent des affaires algériennes prennent le plus grand soin de distinguer les divers courants de l'islamisme armé clandestin, on recence les mouvements "algérianistes" et "salafistes". On s'interroge sur l'autorité que conserve Abassi Madani, ou plus encore Ali Benhadj. On essaie de préciser leur implantation, on situe leurs maquis et leurs bases arrière. Puis vient le temps de l'éclatement des organisations armées issues du FIS et de ses dissidences. On voit apparaitre les GIA, Groupes islamiques armés, dans l'Algérois, dont on vérifie très vite qu' ils l'emportent sur leurs rivaux par leur extrémisme et leur activisme. Déjà il n'est plus question, pour eux, de séduire les populations et d'améliorer leur image à l'extérieur : c'est la terreur, avant tout, qu'ils veulent répandre. Une certaine stratégie de la violence subsiste alors, toujours inspirée, semblet-il, par la direction clandestine du FIS. C'est ainsi qu'est décidée, par exemple, la liquidation systematique des
ressortissants étrangers en Algèrie, à l'instarde ce qu'ont fait les extrémistes islamistes en Egypte dans l'espoir de ruiner le tourisme et de provoquer une crise majeure de l'économie. En Algérie, les résultats, en aucun cas, ne peuvent etre les memes.
Mais près de soixantes-dix ressortissants étrangers en sont victimes, dont plus de la moitié de Français et, pendant une longue période, personne ou presque ne vient d'Europe ou d'Amérique en Algérie : l'auteur de ces lignes s'en souvient, absolument seul étranger dans son hotel, à Alger au printemps de 1994...
On sait qu'en juin 1996 le groupe spécialisé dans l'assassinat des étrangers est décimé ainsi que celui qui prend systématiquement pour cibles les intellectuels, artistes ou journalistes.
Cette période est finie. Depuis l'échec de la campagne de terreur menée en vue d'empecher l'élection présidentielle de novembre 1995, puis de toutes les tentatives pour empcher les élections suivantes, depuis la dislocation de l'AIS, la branche armée du FIS et de sa direction extérieure, on est entré dans une phase nouvelle. Il ne faut pourtant pas s'y tromper : elle provient directement des phases antérieures. L'arme en est déjà l'assassinat, meme quand les cibles sont plus précises : jpurnalistes, écrivains, policiers, familles d'officiers et de soldats. Mais les objectifs visés apparemment n'ont pas été atteints. L'Etat reste en place, l'économie fonctionne, les élections ont lieu, les institutions sont en place. Pardessus tout, la société algérienne a réagi de telle sorte que l'islamisme armé a perdu toute chance de l'emporter. Le tournant se situe au milieu de 1994 quand le gouvernement et l'état major acceptent la formation de groupes d'autodéfense, partout où la population le souhaite. Une décision
inévitable. l'armée ne comte en effet que 165000 hommes, ce qui signifie que 50ooo à 60000 seulement peuvent etre engagés sur le terrain. Il est donc hor de question qu'elle controle un immense territoire peuplé de quelque 30 millions d'habitants. Or l'enjeu de la crise, c'est la volonté de la population : la seule manière de montrer que les groupes armés ne la représentent pas, de les isoler et de les réduire, c'est de la mobiliser et de l'armer.
Ainsi la prouve en a-t-elle été faite : dans un pays aussi hétérogène que l'Algérie, malgré une crise sociale aigue, en grande partie due au rétablissement des grands équilibres économiques avec pour conséquence l'existence de grandes zones de pauvreté et d'amertume, les groupes armés ne peuvent plus compter sur l'appui de la population. Ils ne peuvent plus compter sur l'appui de la population. Ils ne peuvent plus que la terroriser. Non qu'ils n'aient encore quelques sources de recrutement : familles trop engagées du coté de l'islamisme armé pour faire machine arrière, jeunes s'étant heurtés aux forces de sécurité et menant contre elles une sorte de vendetta, secteurs de criminalité et, beaucoup plus rarement, fanatiques religieux. Mais cela ne change rien à leur isolement dans la société, pas plus qu'à l'affaiblissement de leurs moyens d'action. Du coup, c'est la fuite en avant : recours systématique à l'arme blance -couteaux, haches, scies - massacre systématique des populations, en particulier les femm
es, les jeunes filles, les enfants, les nourrissons. On peut trouver parfois des explications à tel ou tel massacre : dans le Sud oranais, il s'agit de vengeances à l'encontre de villages qui avaient soutenu l'AIS, La branche armée du FIS, après que celle-ci eut abandonné la lutte, ou encore, dans un village de l'Algérois, l'exécution de familles qui ne veulent plus aider les groupes armès.
Mais ces cas ne doivent pas faire illusion. Si l'on peut trouver quelques "esplications" locales, l'essentiel, c'est bel et bien le massacre aveugle des habitants, partout sur le territoire, là où les groupes armés peuvent encore agir.
Ce terrorisme n'est comparable à aucun autre. Quand les "brigades rouges" en Italie ont voulu déstabiliser la société, ils ont pris pour cibles des magistrats, des policiers, des patrons, des hommes politiques. Quand des organisations terroristes israéliennes ont voulu briser l'esprit de résistance des Palestiniens, ils se sont attaqués à eux, et quand des Palestiniens ont cru qu'en frappant la population israélienne ils l'inciteraient à satisfaire leurs revendications nationales, c'est contre elle qu'ils ont commis leurs attentats. Rien de tel en Algérie. C'est contre leurs compatriotes que les groupes armés multiplient leurs massacres. Et contre n'importe quelle fraction de la population, dès lors qu'elle est sans défense.
Le vocabulaire, ici, est trompeur. On qualifie ces groupes d'"islamistes", quitte à préciser "islamistes armés". Mais le Hamas palestinien, si sévère que l'on soit à l'égard de son idéologie et de ses méthodes, incarne une option défendable de la lutte contre Israel, la lutte armée. Le Hezbollah libanais, quoi que l'on pense de ses liaisons extérieures et de son dogmatisme religieux, est un mouvement de rèsistence national. Rien de tel en Algérie : l'islamisme armè y est tout simplement massacreur de la population du pays.
De là vient l'extreme difficulté de le réduire. On peut protéger- et on a pu le faire dans bien des pays- telle catégorie de la société, tel milieu, telle profession, telle minorité, du terrorisme qui les menace. On l'a fait en Algérie, par example, pour les ressortissants étrangers. On ne peut le faire quand il s'agit de la population entière. Quels que soient les défautts et les erreurs des forces de sécurité, quels que soient leurs qualités et leurs succès, elles ne peuvent réduire des groupes résolus à massacrer n'importe où et n'importe qui, sinon à force de temps et par la mobilisation systématique de la population elle-meme. Telle est la spécificité