LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN ALGERIE EN QUESTION DEVANT L'ONU A GENEVE
par Jean-Pierre Tuquoi
Le Monde, mardi 14 avril 1998
UNE PARTIE de bras de fer est engagée entre l'Algérie et les organisations humanitaires à Genève. Au coeur du problème: la situation des droits de l'homme en Algérie. Les cinquante-trois pays membres de la commission des droits de l'homme des Nations unies réunis à Genève doivent-ils en débattre ou pas? Les organisations non gouvernementales - Amnesty International, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Human Rights Watch... - le souhaitent, tandis qu'Alger milite activement contre. Les visites de délégations parlementaires étrangères, de personnalités diverses et le séjour durant les dix derniers mois de près d'un millier de journalistes ont permis à la communauté internationale d'appréhender correctement la réalité, a fait valoir le ministre algérien des affaires étrangères, Ahmed Attaf, dans un discours prononcé le 18 mars devant la 54, session de la commission des droits de l'homme. De fait, jusqu'ici, l'Algérie a manoeuvré avec adresse. Depuis l'ouverture de la session, l
e 16 mars, seuls quatre pays ont mentionné la situation en Algérie dans leur discours officiel : les Etats-Unis, la Suède, l'Autriche et l'Allemagne. Encore l'ont-ils fait brièvement et en termes vagues. La terreur en Algérie défie tout entendement, a dit, par exemple, le ministre allemand des affaires étrangères, Klaus Kinkel. La France, elle, n'a pas eu un mot pour son ancienne colonie. L'Espagne, l'Italie, la, Belgique non plus. Ce silence quasi général est de mauvais augure, aux yeux des ONG, alors que la commission va s'intéresser, à compter du mercredi 15 avril, aux violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme où qu'elles se produisent . Les ONG, qui disposent d'un bref temps de parole à Genève (trois minutes environ), évoqueront bien entendu l'Algérie, où quatre-vingt mille personnes ont été tuées depuis le début du conflit en 1992 , selon la FIDH. Mais combien de pays oseront-ils suivre ? Guère plus d'une poignée, redoutent les organisations humanitaires. Les Etats-Unis et le Canada,
sans doute, quelques Etats de l'Europe du Nord, peut-être. Quant aux autres - dont plusieurs pays de l'Union européenne -, ils hésitent à encourir les foudres d'une Algérie pourtant montrée du doigt par les ONG. Les autorités algériennes accusent les groupes "terroristes" d'être à l'origine de tous les massacres et tueries. Elles n'ont toutefois pas donné d'explication convaincante aurait que beaucoup de ces massacres qui ont eu lieu dans des régions qui comptent parmi les plus militarisées du pays [... 1 se sont déroulés sans que l'armée et les services de sécurité interviennent pour faire cesser ces tueries massives ou pour arrêter les assaillants qui, apparemment, ont fui sans être inquiétés , rappelle la FIDH dans son dernier bulletin. Entre la nomination d'un rapporteurspécial (comme ce fut le cas pour la Yougoslavie ou le Rwanda), d'un expert indépendant, ou d'un représentant du secrétaire général des Nations unies, la commission des droits de l'homme de l'ONU dispose de toute une palette d'options si
elle souhaite se saisir du dossier algérien. Mais la faible mobilisation internationale observée jusqu'ici à Genève a conduit à éliminer de facto ce type de réponse lourde. Au mieux, les ONG présentes à Genève espèrent obtenir le vote d'une résolution sur l'Algérie. Elle ne serait suivie d'aucune obligation pour celle-ci mais c'est ça ou rien du tout, observe le responsable d'une organisation humanitaire. Encore faut-il que l'un des cinquante-trois Etats membres ose en présenter une. Ce pourrait être les Etats-Unis.