PYONGYANG SUSPEND LE DIALOGUE INTER-COREEN
par Philippe Pons
Le Monde, 19/20 avril 1998
S'il est significatif qu'après quatre ans d'interruption, le dialogue entre les deux Corées ait repris depuis une semaine à Pékin à la demande de Pyongyang, les atermoiements de ces derniers jours semblent indiquer que le régime nord-coréen ne se départit guère de sa coutumière diplomatie en dents de scie, soufflant tour, à tour le chaud et le froid. Après avoir frôlé la rupture, les pourparlers semblaient, vendredi 17 avril, s'orienter vers un compromis avec l'accord de principe de Pyongyang de commencer des négociations au niveau des Croix-Rouges sur la question de la réunion des familles séparées à la suite de la partition de la péninsule et dont le Sud faisait la condition à la fourniture au Nord d'une assistance en engrais chimiques. Jusqu'alors, Pyongyang avait accusé Séoul de politiser la question des fournitures d'engrais qui lui sont indispensables pour les semailles du printemps, et exigeait que le problème des familles séparées soit examiné après l'octroi de cette aide.
Les pourparlers auraient dû se poursuivre samedi mais, en milieu de journée, le chef de la délégation nord-coréenne annonçait à brûle-pourpoint qu'il était inutile de les reprendre. Ce qui ne signifie pas qu'il y ait rupture des pourparlers, devait-il cependant déclarer selon l'agence Chine nouvelle... Aucune date n'a cependant été fixée pour leur reprise.
VOLTE-FACE
Commentant les volte-face de Pyongyang, le quotidien japonais Asahi écrit que Pyongyang pourrait essayer de tester là position de la Corée du Sud, plus conciliante depuis l'arrivée au pouvoir du président Kim Dae-jung. La situation alimentaire continue d'ailleurs à se dégrader en Corée du Nord et les organisations humanitaires internationales qui apportent assistance à Pyongyang exigent de pouvoir contrôler à qui leur aide est remise. La semaine dernière, Médecins sans frontières (MSF) a publié des témoignages recueillis par une de ses équipes dans la région frontalière de la Chine avec la Corée du Nord (Le Monde du 14 avril) faisant notamment état de l'accaparement de l'aide par l'élite du régime et l'armée. Grave, voire dramatique dans certaines régions comme l'indiquent ces témoignages, la situation alimentaire de la Corée du Nord et ses conséquences sur la population suscite des débats. Une organisation bouddhiste sud-coréenne, qui a enquêté comme MSF dans la région du fleuve Tumen séparant les deux pays
, vient d'estimer à 3 millions de victimes (sur 22 à 23 millions &habitants) le nombre,des morts causés par la pénurie alimentaire au cours des trois dernières années. Les autorités sud-coréennes et la directrice du Programme alimentaire mondial (PAM), Catherine Bertini, qui séjourne à Séoul, ont contesté ces estimations. Selon un fonctionnaire du ministère sud-coréen pour la réunification, cité par l'agence Reuters, on ne peut exclure que 2 à 3 millions de personnes soient touchées par la pénurie alimentaire mais 3 millions de morts est une estimation exagérée. Mme Bertini, quant à elle, juge ces chiffres inacceptables.