EN FINIR AVEC MILOSEVIC
Le Monde, mardi 9 juin 1998
COMME si, par une sorte de fatalité, l'histoire devait sans cesse se répéter dans les Balkans, les mêmes images nous parviennent depuis quelques mois du Kosovo et donnent la même impression de désarroi et d'impuissance de la communauté internationale qu'à propos de la Bosnie, il y a quelques années. Tandis que, dans les cénacles diplomatiques, s'amorce à peine le débat sur ce qu'il conviendrait de faire, le temps joue tragiquement contre les Albanais du Kosovo: chaque jour se compte en morts et en milliers de civils fuyant la terreur de Milosevic. N'a-t-on donc rien appris ? Combien de temps encore traitera-t-on le président de ce qui reste de la Fédération yougoslave comme l'indispensable partenaire de la paix ? Ne se souvient-on pas qu'il ne céda sur la Bosnie que parce que ses alliés étaient militairement défaits sur le terrain et que l'aviation de l'OTAN, finalement, les bombardait ? Sa récidive au Kosovo ne l'exclut-elle pas sans appel du concert international ? Qu'est-il d'autre qu'un criminel de guerr
e ? Attendra-t-on quatre ans pour mettre fin au drame? La communauté internationale ne peut pas se dire surprise par l'accélération des violences au Kosovo et la plongée de cette province dans la guerre. Cela fait dix ans que le problème lui est posé. Cela fait presque autant d'années qu'elle prodigue au valeureux Ibrahim Rugova ses encouragements à maintenir la rébellion albanaise sur les rails du pacifisme. Qu'a-t-elle obtenu en échange pour le leader des Kosovars ? Rien. Rien, par déférence envers Slobodan Milosevic, qu'elle tient pour tout-puissant et vers lequel elle se tourne une fois de plus pour éteindre un incendie qu'il a lui-même allumé.
Est-on aveugle ? Ne voit-on pas que le maître de Belgrade chancelle, que son ancien allié monténégrin se rebelle, que des centaines de policiers désertent pour ne pas aller combattre au Kosovo, que Milosevic tente de se refaire dans cette province comme il s'y était fait il y a dix ans, mais que la rhétorique qui le porta au pouvoir n'a plus prise sur une très large partie de la population serbe ? Ne voit-on pas qu'il commet au Kosovo ce qui peut lui valoir sa fin: des crimes de guerre, avoués, dont il prend ostensiblement le commandement. A-t-on créé pour rien, en oubliant fort opportunément de lui fixer des limites dans le temps, le Tribunal international pour les crimes commis dans l'ex-Yougoslavie? Mme Arbour, procureur de ce tribunal ne s'est pas trompée: elle a fait savoir, il y a deux mois, qu'elle commençait déjà à instruire le dossier du Kosovo. Va-ton la laisser seule? On ne peut plus continuer à ménager le président yougoslave sous prétexte qu'un règlement négocié ne saurait passer que par l
ui. Il faut le menacer vraiment - militairement, politiquement, judiciairement. Il faut même envisager de refuser à la Russie l'aide financière qu'elle réclame de l'Occident si Moscou continue de protéger l'homme de Belgrade. Bref, il faut que les occidentaux osent enfin se donner un nouvel objectif dans les Balkans: en finir avecSlobodan Milosevic.