éditorial / le monde
Le rapport sur les << problèms posés par la dangerosité des drogues >>, révélé dans nos éditions du 17 juin est à marquer d'une pierre blanche. Pour la première fois en France, ce débat à haute pesanteur idéologique va pouvoir s'engager sur des bases aussi objectives que l'état actuel des avancées de la science le permet. On raisonne enfin sur la pharmacologie des substances et non plus sur les images préconçues, sociales, culturelles et politiques qu'elles véhiculent.
Cette nouvelle approche, qui permet en particulier de risutuer la réelle nocivité de l'alcool et du cannabis, met en lumière les incohérences du dispositif législatif actuel, sanitaire et répressif, de lutte contre le consommation de drogue. Elle souligne à quel point la distinction qui est fait entre drogues licites et illicites ne repose pas sur des bases scientifiques. Comment peut-on raisonnablement soutenir qu'il est légal de consommer la quantité d'alcool que l'on souhaite et qu'il est interdit de fumer du cannabis, fut-ce quelques milligrammes?
Mais la pharmacologie ne peut, à elle seule, résumer l'ensemble des problèms liés à la consommation de drogues. La dangerosité d'un produit tient aussi à la manière dont il est introduit dans l'organisme: de ce point de vue, l'injection demeure le mode d'administration le plus dangereux. Il importe également de tenir compte du contexte économique et socio-culturel.
Quoi de commun entre l'adulte aisé et inserré socialement qui fume un << pétard >> ou <> de la cocaine et un jeune marginalisé qui cherche à tout prix à consommer du crack ? Dans son rapport, Bernard Pierre Roques rappelle le pricipe éthinique énoncé par Spinoza: << L'effort pour se conserver est le premier et unique fondement de la virtu.>> Pour s'exercer, cette force vitale doit s'appuyer sur une satisfaction d'etre. Or, rappelle le rapport, << le développement rapide des sociétés industrielles a rompu l'équilibre en pronant comme vertu l'individualisme forcené et la performance comme passport obligatoire de la reconnaissance sociale >>. Comment s'étonner, dès lors, qu'amplifiant les situations conflittuelles sociales, familiales et scolaires, les plus démunis psychologiquement perdent l'estime d'eux-memes? Ne faut-il pas repenser le débat à cette aune en convenant que c'est sur un tel terrain qu'ont pu prospérer les pourvoyeurs et les trafiquants de drogues ?
Politiquement symbolique, la question de la dépénalisation de la consommation des << drofues douces >> est accessoire du point de vue de la santé publique. Autrement plus redoutable pour les pouvoirs publics est de savoir comment lutter efficacement contre les polytoxicomanies et contre ces maux endémiques que sont l'alcoolisme et le tabagisme tout en prenant soin de distinguer entre un usage << récréatif >>, voire culturel s'agissant du vin, et l'abus qui engendre des états de dépendance. N'en déplaise aux lobbies qui ne manqueront pas de se manifester, il s'agit-là d'un débat essentiel.