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Partito Radicale Roma - 25 luglio 1998
Chine, mirage démocratique

Le Monde - Samedi 25 juillet 1998

De Frédéric Bobin

LA CHINE se trouverait-elle à l'aube d'une nouvelle ère politique ? Le numéro un Jiang Zemin, nimbé d'une nouvelle aura internationale et conforté dans son assise intérieure, se sentirait-il assez en confiance pour engager un déverrouillage du système d'une amplitude comparable à la perestroïka soviétique tentée par Mikhaïl Gorbatchev ? Après des années de scepticisme sur l'avenir d'un régime chinois présenté comme inamendable, perclus d'archaïsmes, désespérant pour tout dire, l'heure est aux spéculations les plus débridées sur l'imminence d'une accélération de l'Histoire dans l'empire du Milieu.

La presse américaine, qui vient de troquer la "pékinophobie" pour la "pékinophilie", s'emplit de reportages ébahis sur un nouveau "printemps" dont Pékin serait le théâtre. On prête à Jiang d'audacieux projets de "réforme politique" mûris dans la discrétion fébrile de think tanks réformateurs à son service. L'homme aurait été touché par la grâce libérale au contact vivifiant de Bill Clinton, avec qui il a échangé deux visites d'Etat en neuf mois. Après deux décennies d'ouverture économique, la Chine - enfin ! - s'apprêterait à s'ouvrir politiquement. Ou, plus précisément, elle reprendrait le cours d'une évolution naturelle que le massacre de Tiananmen (juin 1989) avait tragiquement suspendue.

L'empressement de ces analystes à voir se déblayer miraculeusement l'horizon politique chinois serait, en soi, un beau sujet d'étude. On y décèlerait la manie récurrente des Occidentaux à projeter leurs fantasmes sur la Chine. On y entreverrait aussi la paresse de commentateurs à la remorque des options diplomatiques de leur gouvernement sur l'"engagement constructif" vis-à-vis de Pékin. On y découvrirait enfin - et peut-être surtout - l'obsession de certains observateurs à ne pas rater le coche de l'Histoire. Avait-on moqué leur cécité face à la perestroïka soviétique ? On louera leur lucidité de grands annonciateurs de la fonte des neiges totalitaires chinoises.

Il n'est pas question de contester ici que la Chine bouge. Chaque jour, la "société civile" teste avec plus d'inventivité les limites de l'interdit.

Le monde de l'édition connaît une étonnante révolution silencieuse avec des traductions du gourou autrichien ultra-libéral Friedrich Hayek ou de constitutionnalistes américains apôtres de la séparation des pouvoirs. Les médias n'hésitent plus à dénoncer des abus de pouvoir. Sur les planches, on joue Sartre, Beckett ou Jules Romains dont les messages codés ravissent des audiences gouailleuses. Quant au chaud Pékin by night, il faut parfois se pincer devant le spectacle d'une jeunesse chichement vêtue et électrisée par les rythmes techno ou rap.

CONTRESENS

Oui, il se "passe quelque chose" en Chine. On respire mieux. L'étau du pouvoir se desserre. Faut-il y voir pour autant l'amorce d'un dégel politique de grande envergure ? C'est là que les contresens surgissent. A la source de l'illusion, il y a banalement l'oubli d'une donnée de base : la Chine est dirigée par un Parti communiste qui n'a nullement l'intention de jeter dans les douves de la Cité interdite son statut de détenteur exclusif du pouvoir. Aux étrangers tentés d'"y croire", les intellectuels chinois, échaudés par les enseignements du passé, ne cessent de répéter cet axiome premier, cette vérité têtue.

M. Jiang Zemin aimerait probablement entrer glorieusement dans l'Histoire, comme l'architecte d'une réforme politique comparable à la réforme économique laissée en héritage par Deng Xiaoping. Mais il faudra se rendre à l'évidence : personne au sommet de la direction chinoise ne prendra la responsabilité d'engager un processus qui comporterait le moindre risque d'implosion du système - surtout en une période ultra-sensible, où la restructuration des entreprises d'Etat attise de vives tensions sociales.

On n'a pas assez prêté attention à l'irritation du premier ministre, Zhu Rongji, devant le qualificatif de "Gorbatchev chinois" dont l'avait gentiment gratifié une presse anglo-saxone séduite par son réformisme. C'est que Gorbatchev est considéré en Chine comme le fossoyeur du système soviétique. Flatteuse du point de vue occidental, la comparaison est très fâcheuse, voire offensante, pour un communiste chinois. Le Parti est aux commandes, entend bien le rester, et ceux qui lui contestent ce privilège sont embastillés sans faiblesse.

Une fois posé ce cadre, on peut ensuite tolérer beaucoup de choses. Il n'y a plus guère de tabous idéologiques qui vaillent. Qu'importe Hayek, Mickael Jackson ou Santa Barbara, s'ils ne menacent pas directement le monopole du Parti. Les nostalgiques du maoïsme s'inquiètent-ils des effets débilitants à terme de tous ces poisons du capitalisme ? Jiang Zemin y voit au contraire un moyen de consolider son pouvoir. Plus qu'une conversion philosophique au libéralisme, c'est une conception purement instrumentale de la "liberté" qui dicte la souplesse dont il fait preuve.

En panne d'idées neuves, le régime a besoin d'encourager la réflexion critique dans les cercles universitaires. Puisque les modèles clés en main ont vécu, les intellectuels chinois sont invités à proposer des solutions. La crise asiatique, et notamment l'effondrement des chaebols (conglomérats) sud-coréens qui avaient tant fasciné les dirigeants chinois, n'a fait que rendre plus pressante l'urgence de combler ce vide de la pensée. Pétri d'idéologie technocratique, le nouveau gouvernement de Zhu Rongji se fiche de savoir si les experts consultés sont rouges, verts ou bleus.

RÉCONCILIATION

A cette quête de l'efficacité s'ajoute une nouvelle configuration des alliances. On sent le régime désireux de se réconcilier avec un groupe social - les intellectuels - que la répression de Tiananmen avait traumatisé. Tel est le sens de la récente visite, la première depuis 1989, de Jiang Zemin à l'Université de Pékin (Beida), foyer historique de la contestation en Chine et qui fut le berceau du printemps de 1989. A un moment critique où il s'aliène des pans entiers d'une classe ouvrière déstabilisée par les licenciements massifs, il n'est plus indifférent au Parti de s'assurer, sinon l'adhésion, en tout cas la neutralité des campus. Une jonction de type Solidarnosc entre intellectuels démocrates et syndicalistes libres serait un scénario catastrophe pour le régime. Tout sera fait pour le prévenir.

On touche là la motivation centrale du pouvoir dans toutes les initiatives qu'il peut prendre : l'obsession de la stabilité. C'est elle qui motive son ralliement de principe à la rhétorique de l'"État de droit". Il s'agit certes de fournir aux investisseurs étrangers un environnement juridique sûr mais, par dessus-tout, l'objectif est de lutter efficacement contre la gangrène de la corruption.

Celle-ci est la principale source de l'impopularité du régime, lequel semble convaincu de l'impérieuse nécessité d'enrayer une dérive au fort potentiel déstabilisateur. Gestes inédits : la télévision retransmet désormais des audiences de tribunal ; la presse est encouragée à enquêter sur les affaires de corruption de cadres ; le président demande aux militaires de renoncer au "business".

Mises bout à bout, ces avancées petites et grandes ne font guère une "réforme politique" digne de ce nom, même si le pouvoir - rompu aux techniques de marketing - va lancer le produit ainsi étiqueté sur le marché international des médias et des chancelleries. La démocratie, entendue comme le droit reconnu au peuple de congédier ses dirigeants, reste le grand "impensé" des projets de Jiang Zemin.

Le régime se détend, s'assouplit, se décrispe, mais il se réserve simultanément le privilège de reprendre, à la première alerte, ce qu'il n'a qu'"octroyé" dans son infinie bienveillance. On ne niera pas le progrès accompli. On ne contestera pas non plus que des germes sont plantés qui peuvent lever à très long terme. Mais, dans l'immédiat, la bonne foi minimale impose de ne pas prendre des ravalements de façade pour de grands ébranlements systémiques.

 
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