PENDANT CE TEMPS, AU KOSOVO
Le Monde, jeudi 27 août 1998
Le début de la campagne de répression lancée par Belgrade au Kosovo avait mobilisé les capitales occidentales. Réunions diplomatiques, communiqués, appels à la raison et au dialogue assortis de menaces contre Belgrade: les Occidentaux juraient que Slobodan Milosevic ne les y prendrait plus; les leçons de la Bosnie avaient porté leurs fruits; du Quai d'Orsay au département d'Etat en passant par la chancellerie à Bonn, ce if étaient que déclarations autosatisfaites sur la rapidité de réaction dont, cette fois, on savait faire preuve devant la crise aiguë qui s'ouvrait au Kosovo.
C'était il y a six mois. Depuis, 230 000 personnes, au bas mot, ont été chassées de leurs foyers par les forces spéciales et l'armée serbes. Et le nettoyage continue. Au nom, cette fois, de la lutte contre le terrorisme, on vide des villages à l'arme lourde, on brûle les maisons pour s'assurer que la fuite de leurs occupants sera bien sans retour, on nettoie des régions entières pour en finir avec la rébellion et rétablir durablement le joug serbe sur l'ensemble de la province, peuplée à 90 % Albanais et privée de ses droits par M. Milosevic.
Dans le même temps, la communauté Internationale offre la pathétique réédition de son impuissance d'antan: l'ONU appelle au cessez-le-feu, les émissaires américains font des navettes, l'OTAN se réunit quasiment chaque semaine pour étudier sans fin les différentes options d'intervention possible; de temps à autre, elle se livre à quelques gesticulations en Albanie ou en Macédoine; et elle vient de proposer son aide au HCR pour l'aider à porter assistance aux populations déplacées. La plus puissante organisation militaire mondiale au service de l'humanitaire, cela ne vous rappelle pas la Bosnie ? La détermination à Intervenir affichée au printemps par certaines capitales, dont Parts, bute sur les réticences des autres et sur un désaccord quant aux modalités: avec ou sans la bénédiction de l'ONU, c'est-à-dire avec ou sans le feu vert de Moscou? Mais, surtout, les Occidentaux ne savent pas ce qu'ils veulent pour le Kosovo. incapables depuis dix ans d'imaginer un plan de règlement politique qu'ils auraient eu po
ur mission d'imposer aux deux parties, lis sont perpétuellement à la traîne des événements: dépassés par l'offensive serbe, puis effrayés par les succès de la résistance des Kosovars au point de donner cet été une sorte de feu vert tacite à Milosevic pour la réduire, puis de nouveau dépassés par la brutalité avec laquelle le président yougoslave s'attelle à la tâche... A l'impuissance s'ajoute le ridicule de s'être vanté un peu vite qu'on ne laisserait pas se renouveler l'expérience bosniaque. S'y ajoute aussi - alors que, de nouveau, c'est dans la vieille Europe qu'un pouvoir bafoue les droits élémentaires d'un peuple et qu'une armée s'en prend à des populations civiles - quelque chose de pire par rapport à laBosnie. le silence, comme si les démocraties occidentales avaient épuisé jusqu'à leurs capacités d'indignation et de compassion.