LIBERATION
Par JACQUES AMALRIC
Le vendredi 27 novembre 1998
La raison d'Etat n'a jamais fait bon ménage avec les
droits de l'homme. C'est parce que cette évidence a
pu être vérifiée mille fois qu'on ne sait trop s'il faut se
réjouir ou s'interroger après les martiales déclarations
que nos deux principaux dirigeants ont consacrées à la
courageuse décision des lords britanniques. »Il n'est pas
acceptable que des crimes puissent demeurer impunis ,
a déclaré Jacques Chirac. »C'est une joie, c'est un
mauvaise nouvelle pour les dictateurs , s'est exclamé de
son côté Lionel Jospin.
Notre expectative devant tant de fermeté apparente est
d'autant plus profonde que la France officielle, qui se
soucie comme d'une guigne des crimes en tous genres
accumulés par Saddam Hussein et qui a accepté que
Slobodan Milosevic ne soit pas poursuivi pour crimes
de guerre par le Tribunal international chargé de
l'ex-Yougoslavie, reçoit en ce moment même un
dictateur qui a sans doute bien plus de sang sur les
mains que le tyran retraité chilien : Laurent-Désiré
Kabila. Existerait-il donc pour nos dirigeants deux
catégories de criminels internationaux, les »inutiles ,
sans pouvoir, dont les forfaits mériteraient d'être punis,
et les »utiles , toujours au pouvoir, forts de leurs
capacités de nuisance et auxquels on reconnaîtrait
l'impunité pour des raisons politiques, diplomatiques ou
commerciales ? Force est de répondre par l'affirmative.
Et force est de reconnaître que Jacques Chirac comme
Lionel Jospin ont un peu beaucoup joué avec les mots et
l'émotion publique.
Il leur reste cependant une solution s'ils veulent,
demain, apparaître aussi résolus et déterminés que des
lords britanniques ou le président de Démocratie
libérale : accélérer au maximum, comme vient de le
demander Alain Madelin, la ratification de l'acte
fondateur de la Cour criminelle internationale, signé par
la France en juillet à Rome. Ce texte non rétroactif est
certes imparfait, truffé d'échappatoires, miné par de
multiples restrictions, mais il a au moins le mérite
d'exister et d'en finir avec le principe d'impunité et le
dogme de respectabilité des criminels au pouvoir ainsi
que de tous leurs affidés. Plus qu'une réforme, son
entrée en vigueur constituerait une révolution.