Le Monde p.20 8 DEC 1998
Editorial: Actualiser l'universel
La commémoration est un art difficile. Et lorsqu'il s'agit de droits de l'homme, le premier péril est celui
de la répétition. Voilà cinquante années maintenant que l'on débat de l'universalité des principes
énoncés en 1948. La venue à Paris cette semaine de plusieurs centaines de militants des quatre
coins du monde est en elle-même une réponse à cette polémique éculée. Partout, depuis un
demi-siècle, se sont levés des hommes, ont fleuri des mouvements qui, quelle que soit leur culture -
souvent même au nom de leur culture et de leur patriotisme -, se sont réclamés de la Déclaration de
1948 contre toutes les formes d'oppression et exigent encore le respect effectif des droits et libertés
fondamentales qu'elle énonce.
Ce sont eux aujourd'hui qu'il convient de soutenir contre une répression qui s'est accrue à mesure
que les principes de 1948 s'imposaient de plus en plus comme des normes universelles. La chute des
régimes communistes d'Europe de l'Est a porté un coup fatal à la contestation idéologique de ces
principes ; si de fortes résistances subsistent, au nom de certaines interprétations de l'islam en
particulier, les pays du Maghreb ont changé de discours ; la Chine elle-même commence à le faire, et
les acrobaties auxquelles viennent de se livrer les dirigeants français, de crainte de heurter des
susceptibilités qui, en fait, semblent en voie de céder à Pékin, paraissent bien dérisoires.
Changer de discours pour ne pas se mettre au ban de la communauté internationale n'implique pas,
on le sait, de changer de pratiques. Tous les prétextes sont bons pour violer des principes qu'on
n'ose plus récuser de front. Cinquante ans après l'énoncé des droits, le problème est celui de leur
respect effectif par les Etats et de leur garantie par des instruments internationaux. C'est dans cette
optique que les organisations non gouvernementales ont convoqué cette semaine à Paris leurs »
états généraux , qui se tiendront parallèlement aux célébrations officielles et qui entendent produire
leur nouvelle mouture de la Déclaration universelle, totalement orientée vers des revendications
concrètes. On peut regretter que la mission interministérielle chargée de la commémoration n'ait pas
davantage tenté de mener avec les hommes de terrain une réflexion pouvant déboucher sur des
initiatives précises.
La France peut en revanche se prévaloir d'avoir été à l'origine du texte sur la bioéthique, qui doit être
adopté ces jours-ci par l'ONU, et qui témoigne du souci de moderniser la Déclaration universelle en la
protégeant des périls que lui font courir certains développements récents des sciences et des
techniques. Elle pourrait encore saisir l'occasion de ce cinquantenaire pour faire ouvre utile dans un
autre domaine, devenu une revendication largement partagée par les » citoyens du monde : celui
de la lutte contre l'impunité. En annonçant, par exemple, que la ratification du traité signé l'été dernier
à Rome sur la création d'une Cour pénale internationale ne se fera pas attendre éternellement et
qu'après les nombreuses tergiversations passées, Paris entend désormais montrer l'exemple.