APRES PINOCHET, CASTRO ...
Un avocat français vient de déposer trois plaintes contre le président cubain. Deux pour crimes contre l'humanité et une pour trafic de drogue.
Le Figaro, jeudi 7 janvier 1999
Comme Augusto Pinochet, Fidel Castro va-t-il devoir affronter la justice? Argument de polémiste hier, cette hypothèse est aujourd'hui envisageable: Serge Lewisch, un avocat parisien, vient de déposer trois plaintes contre le chef de l'Etat cubain, deux pour crimes contre l'humanité et une pour trafic international de stupéfiants. Ces plaintes, avec constitution de parties civiles, sont assorties d'une demande d'arrestation provisoire de Fidel Castro. Tout juste déposées, ces plaintes n'ont pas encore été examinées par le parquet de Paris, qui devra les juger recevables ou non. Compte tenu des rejets récents de plaintes pour crimes contre l'humanité visant l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet et le président congolais Laurernt-Désiré Kabila, la démarche de MI Lewisch demeure bien aléatoire.
L'affaire Ochoa
Les deux plaintes pour crimes contre l'humanité émanent d'un photographe français, Pierre Golendorf, et d'un peintre cubain, Lazaro Jordana, condamnés tous deux à des peines de quatre ans de prison par la justice cubaine, en 1 971 et en 1982. Les deux plaignants affirment avoir été les victimes d'une campagne de répression visant les intellectuels. lis invoquent également les chefs de pratique massive et systématique de la torture et d'actes inhumains, inspirés par des motifs politiques en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile. Ces deux plaintes vont a priori être rejetées en l'état actuel du droit français, le crime contre l'humanité n'est applicable qu'à ceux commis par les puissances de l'Axe, lors de la Seconde Guerre mondiale, tandis que la convention de New York de 1984 contre la torture n'est entrée en vigueur en France qu'en 1994, soit bien après les faits dénoncés. En revanche, la troisième plainte déposée par MI Lewisch apparaît plus problématique. Accusant Fide
l Castro de trafic international de stupéfiants, séquestration, tortures, assassinat et complicité, elle fait référence à une des pages noires du régime cubain. A la fin des années 80, les Etats-Unis
découvrent qu'un trafic de drogue est organisé à partir de Cuba pour faire face à l'embargo américain et financer l'expédition militaire cubaine en Angola. Mis en cause, Fidel Castro aurait alors décidé de s'exonérer en sacrifiant des proches prêts à céder aux sirènes de la perestroïka défendue par l'ex-président Gorbatchev lors d'un voyage à La Havane en avril 1989. C'est en tout cas la thèse présentée par la plaignante, Ileana de la Guardia, fille du colonel Antonio de la Guardia, condamné à mort par un tribunal militaire et fusillé à La Havane le 13 juillet 1989 pour actes hostiles contre un Etat étranger, trafic de drogues toxiques et abus de pouvoir dans l'exercice d'une charge. En même temps que le colonel de la Guardia avait été fusillé le général Arnaldo Ochoa, héros des corps expéditionnaires cubains en Ethiopie et en Angola. En tout, quatre personnes avaient été condamnées à mort et dix à des peines de dix à trente ans de prison. L'onde de choc de cette affaire a, selon Me Lewisch, entraîné la dest
itution de quatorze ministres, vice-ministres et présidents de sociétés nationales, l'expulsion de 5 % des membres du comité central et les mutations de milliers d'officiers.
Immunité couturière
Selon Ileana de la Guardia, une partie de ce trafic de drogue organisé au plus haut niveau de l'Etat était dirigée vers la France, ce qui donne corps à sa plainte dénonçant un crime de droit commun non prescrit et dont une partie se serait déroulée en France. Son action se heurte cependant à l'immunité coutumière accordée aux chefs d'Etat. Elle témoigne toutefois d'une profonde tendance à la judiciarisation de la vie internationale. Dans une interview accordée au Monde, Lionel Jospin vient de déclarer que, face à l'horreur du génocide cambodgien, il serait inacceptable que ses auteurs restent impunis. Un juge fédéral argentin pourrait, lui, par ailleurs, entamer une procédure de demande d'extradition à l'encontre de trois officiers britanniques suspectés d'avoir exécuté des soldats argentins durant la guerre des Malouines, en 1982.
P.S.-E. (avec AFP)