Le Monde, vendredi 8 janvier 1999
Trois plaintes contre Fidel Castro ont été déposées auprès des tribunaux français
L'une d'elles concerne l'un des épisodes noirs du castrisme: l'affaire Ochoa
Trois plaintes, deux pour crimes contre l'humanité et une pour trafic international de stupéfiants, visant le chef de l'Etat cubain, Fidel Castro, ont été déposées, mercredi 6 janvier, auprès du doyen des juges d'instruction de Paris. Ces plaintes, avec constitution de partie civile, ont été déposés au nom de deux ressortissants cubains, vivant à Paris, et d'un Français.
L'ARRESTATION à Londres, le 16 octobre 1998, de l'ancien dictateur chilien, qui fait l'objet d'une demande d'extradition de l'Espagne pour les meurtres et tortures perpétrés sous son régime (1973-1990), n'en finit pas d'inspirer toutes les victimes des dictatures du monde entier. Deux ressortissants cubains, résidant à Paris, et un Français viennent de déposer plainte contre le chef de l'Etat cubain, Fidel Castro. Ils accusent le dictateur cubain de crimes contre l'humanité, pratique massive et systématique de la torture et d'actes inhumains et de trafic international de stupéfiants, séquestration, tortures, assassinat . Ces plaintes, avec constitution de partie civile, ont été déposées, mercredi 6 janvier, en fin de matinée, auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris. Elles devraient entraîner l'ouverture d'une information judiciaire à Paris et la nomination d'un juge d'instruction dans un délai d'une semaine à deux mois, selon le conseil des plaignants, Me Serge Lewis
ch.
ACTES INHUMAINS
Les deux plaintes pour crimes contre l'humanité émanent d'un photographe français, Pierre Golendorf, et d'un peintre cubain, Lazaro Jordana, emprisonnés et torturés par les autorités cubaines en 1971 et 1982. Elles se fondent principalement sur les chefs d'accusation de pratique massive et systématique de la torture et d'actes inhumains, inspirés par des motifs politiques en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile . La troisième plainte, qui accuse Fidel Castro de trafic international de stupéfiants , a été déposée au nom d'Ileana de la Guardia, la fille du colonel Antonio de la Guardia, condamné à mort par un tribunal militaire cubain et fusillé à La Havane, en juillet 1989, pour actes hostiles contre un Etat étranger, trafic de drogues toxiques et abus de pouvoir dans l'exercice d'une charge, en même temps que le général Arnaldo Ochoa, héros du corps expéditionnaire cubain en Angola. La plainte d'Ileana de la Guardia reprend en fait toute l'histoire du procès Ochoa, qu
i s'est soldé par quatre condamnations à mort et dix peines de dix à trente ans de prison. Le général Ochoa était accusé d'être en relation avec le cartel colombien de Medellin, qui, selon l'accusation cubaine de l'époque, aurait versé 3,4 millions de dollars pour pouvoir fairetransiter de la cocaïne par Cuba. Dans un texte publié par Le Monde, le 31 juillet 1992, Patricio de la Guardia affirmait que les plus hautes instances de Cuba étaient au courant des opérations pour lesquelles lui et son frère avaient été condamnés. Il révélait comment le régime cubain, à l'identique de ce qui s'était passé avec les vieux dirigeants bolcheviques lors des procès de Moscou, cinquante ans auparavant, avait laissé entendre aux futurs condamnés que, pour rendre service à la révolution, ils devaient reconnaître leur culpabilité. Le procès fut engagé, en fait, à la suite de la découverte par les Etats-Unis, à la fin des années 80, d'un trafic international de drogue organisé depuis Cuba, pour faire face à l'embargo américain
et financer, entre autres, l'expédition cubaine en Angola. Fidel Castro, directement visé par ces accusations, aurait décidé, pour s'exonérer, selon Ileana de la Guardia, de sacrifier les opposants à sa ligne politique au sein de son propre parti en leur faisant porter la responsabilité de ce trafic de drogue .
IMMUNITÉ COUTUMIERE
Elle soutient, elle aussi, que le trafic a été organisé au plus haut niveau de l'Etat cubain, que la drogue était acheminée vers les Etats-Unis et en Europe, en particulier en France. Cela étant, la plainte déposée n'apporte aucun élément sur la véracité de l'implication du trafic en France. Il appartiendra au juge qui sera nommé de conduire les investigations destinées à éclairer la réalité des faits soumis, selon M, Lewish. L'issue de ces plaintes, en particulier celles pour crimes contre l'humanité, risque de connaître le même sort que lés récentes, classées sans suite par les autorités judiciaires françaises, contre l'ancien dictateur chilien et contre le président de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), Laurent-Désiré Kabila. La demande d'arrestation provisoire du dictateur cubain se heurte, de plus, à l'immunité coutumière accordée aux chefs d'Etat en exercice. En novembre 1998, un tribunal espagnol a rejeté les plaintes d'exilés cubains en vue de l'arrestation et du jugement de Fidel C
astro, de son frère Raul et d'autres dirigeants cubains accusés de génocide, terrorisme et torture . Si la troisième plainte, pour trafic de drogue, rencontre ce même obstacle, elle présente cependant l'intérêt juridique de dénoncer un crime de droit commun non encore prescrit. Mais plus encore, elle replace sous les feux de l'actualité l'un des épisodes les plus noirs du régime castriste.