Jeudi 27 janvier 1999
Débat sur le Rapport Bernard-Raymond pour un partenariat global UE-Chine
Dupuis (ARE), rapporteur pour avis de la commission des libertés publiques et des affaires intérieures. - Monsieur le Président, chers collègues, je crois que le tableau que nous a dressé le rapporteur, M. Bernard-Reymond, est vraiment exemplaire quant à la faillite de la politique dite de dialogue constructif menée par l'Union européenne à l'égard de la Chine depuis, maintenant, de nombreuses années. M. Bernard-Reymond a rappelé tout ce qui ne va pas, ou en partie en tout cas, et il s'agit vraiment d'une faillite, une faillite importante. Il faut rappeler que l'Union et les pays membres ont eu la même attitude condescendante à l'égard des citoyens de l'Union soviétique qui n'en étaient pas. Pendant des années, on a estimé que ce qui valait pour nous, la démocratie, n'avait pas cours pour eux, et aujourd'hui, et depuis longtemps, nous faisons à l'égard de la Chine la même analyse, nous proposons la même politique, celle de ne pas reconnaître que les citoyens chinois ont droit, comme nous, à la démocratie. C'
est d'autant plus grave que la Chine se trouve dans une situation dramatique, beaucoup plus grave que ce que l'on entend souvent. Les contradictions sociales et économiques sont en train de provoquer des dizaines de millions de chômeurs. Contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, ce n'est pas le système communiste - parce que c'est bien de cela qu'il s'agit - qui pourra garantir la stabilité dont nous parlait notre collègue socialiste, mais c'est la démocratie, avec ses garde-fous, avec ses contre-pouvoirs, avec ses mécanismes de contrôle de la part des citoyens, qui pourrait, elle seule, permette à coup sûr à la Chine de sortir de ces contradictions.
Il faudrait plutôt pousser la Chine, exiger de la Chine et de sa classe dirigeante communiste - parce que c'est d'elle qu'il s'agit, on l'oublie toujours - qu'elle renonce au monopole du pouvoir, au monopole de la violence, à cette violence quotidienne, sur des dizaines, des centaines de millions de personnes, qui fait - et ce sont des chiffres officiels - des dizaines de milliers de prisonniers politiques. J'invite tous les collègues à penser un instant aux conditions d'un individu prisonnier politique aujourd'hui en Chine, au Tibet, en Mongolie intérieure, au Turkestan. On oublie, on écoute les dissidents quand ils sortent de prison, on les applaudit, mais on oublie que des dizaines de milliers d'autres prisonniers politiques, aujourd'hui, au moment où nous discutons ce rapport, sont dans les mêmes conditions de torture, de violence et, très souvent, de mort. Telle est la politique de dialogue constructif avec la République populaire de Chine que l'Union européenne sanctionne, et c'est la faillite. Nous av
ons eu des exemples, avec les emprunts russes au début du siècle, et même si l'on ne peut pas tout comparer, je pense qu'au niveau de nos entreprises, on pourrait peut-être commencer à s'inquiéter un peu des risques pour les capitaux énormes qui ont été investis par les entreprises des pays membres de l'Union européenne, qui risquent de se retrouver demain dans une situation de confusion sanspareille devant la perte d'énormes investissements. A côté, il y a la plus grande démocratie du monde, l'Inde. L'Union européenne fait semblant de ne pas se souvenir que ce grand pays, cette grande démocratie existe, qu'on pourrait miser là sur des classes dirigeantes démocratiques. Mais non, on s'obstine, on crée des autoroutes privilégiées vers la Chine et on oublie ces exemples. Vous avez parlé des tigres de l'Asie, cher collègue socialiste, mais vous oubliez que la Corée du Sud a, suite à la crise économique récente, une crise de croissance, approfondi ses institutions démocratiques. Vous oubliez que Taïwan, qui est
un pays chinois, a une démocratie qui fonctionne de mieux en mieux. Vous oubliez les exemples positifs, mais vous oubliez aussi la Corée du Nord, qui est un vassal de la République populaire de Chine. Dans quelques années, quand le régime de la Corée du Nord se sera écroulé parce que, pour une raison ou une autre, il n'aura plus le soutien de la communauté internationale, on découvrira qu'il y a eu des millions de morts en Corée du Nord, et on fera semblant d'être surpris. Tels sont les régimes que nous encourageons avec nos politiques de dialogue constructif. Nous n'avons enregistré aucun progrès en République populaire de Chine. Le rapporteur a rappelé la signature des conventions internationales et nous assistons, quelques semaines après la ratification de ces conventions internationales, à l'arrestation de nouveaux dissidents, à leur envoi dans les fameux "laogaï", les camps de concentration chinois. On assiste à l'arrestation de jeunes chinois qui naviguent sur Internet. C'est cette Chine-là que nous vo
ulons soutenir et que nous soutenons de facto avec notre politique, avec la politique de dialogue constructif. Je suis heureux que Sir Leon Brittan soit avec nous parce que notre Parlement, dans ses résolutions d'urgence, avait une politique quelque peu différente: il avait présenté pas moins de vingt résolutions au cours de ces cinq dernières années demandant en particulier que des dissidents soient relâchés. Aucun d'eux n'a été relâché sous la pression européenne. Deux ou trois l'ont été grâce à la pression américaine: Wong Dan, Wei Jingsheng. Nous n'avons rien obtenu. M. Hada, le leader démocratique de la Mongolie intérieure, est toujours en prison, comme sont en prison les dissidents du Turkestan oriental, comme sont toujours en prison des dizaines de milliers de prisonniers politiques. Nous n'avons pas de haut représentant de l'Union européenne au Tibet, comme notre Parlement l'a demandé. Nous n'avons sur ce plan, sur celui des droits de l'homme, sur celui des libertés politiques, rien obtenu.