CONTRE L'EXCEPTION CHINOISE
Le Monde, lundi 1 mars 1999
UNE nouvelle fois, les Etats-Unis constatent que les droits de l'homme sont bafoués en Chine. Une nouvelle fois, le chef de la maison Blanche rappelle aux occupants de la Cité interdite communiste qu'ils ne peuvent » acheter la stabilité - c'est-à-dire leur survie - au prix de la liberté des Chinois dans leur ensemble. Une nouvelle fois, le gouvernement chinois plaide en réponse pour que le monde le » comprenne mieux. Ce dialogue de sourds n'attirerait guère l'attention s'il ne venait après les efforts déployés par les dirigeants occidentaux pour tenter d'obtenir par la diplomatie ce que les opinions publiques n'avaient obtenu par l'expression indignée: que le gouvernement de Pékin accepte de faire siennes certaines normes de gouvernement communément admises de par le monde. Que les libertés fondamentales soient respectées pour tous. Que le gouvernement du droit remplace le gouvernement des hommes. Que les nationalités minoritaires voient leur intégrité préservée. Dévoilant un »Tibet interdit , le report
age dont nous commençons la publication rappelle la brutale colonisation et l'asservissement culturel du Pays des neiges. A cette exigence -qui n'est pas seulement celle des Occidentaux mais, plus important, celle des Chinois eux-mêmes -, les maîtres de Pékin répondent qu'ils y travaillent à leur rythme et que ce n'est pas à l'Occident de leur dicter une conduite. L'un des hommes qui les connaissent le mieux, le Singapourien Lee Kuan Yew, précise en leur nom que la culture chinoise -jadis foulée au pied par Mao Zedong - interdit la pratique »confrontationnelle qui serait chère aux Occidentaux. Force est de constater que cet alibi culturel, qui repose sur les célèbres » valeurs asiatiques , cache la réticence marquée des dirigeants chinois à rendre impossibles des méthodes honteuses que, dans leur discours officiel, ils affirment réprouver eux-mêmes: violations de la dignité humaine et tortures à l'encontre de prisonniers, attaques répétées contre les pratiques religieuses échappant au contrôle de l'autorit
é, avortements forcés, trafic d'organes humains... Ce sont ces faits que les dissidents et démocrates chinois tentent de faire abolir en encourant de lourdes de peines de prison pour faire admettre l'existence d'un parti d'opposition constructive. Et ce sont ces dissidents que les Occidentaux devraient encourager au lieu, comme ils font fait ces derniers temps, de laisser Pékin les brimer en se montrant » compréhensifs envers les arguties culturalistes. La controverse occidentale entre ceux qui ont compris cette nécessité et ceux qui la récusent au motif qu'il ne faudrait à aucun prix » isoler la Chine n'a que trop duré. C'est la Chine qui s'isolerait d'elle-même s'il était permis à ses gouvernants de croire qu'ils bénéficient d'une exception à la liberté. Ce pays, qui s'arrache à la misère où l'avait maintenu le communisme, a vocation à redevenir, au XXIe siècle, une des plus grandes nations de la planète. Cette raison est en soi suffisante pour qu'on exige qu'elle respecte les droits de l'homme.