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Partito Radicale Centro Radicale - 7 aprile 1999
Kosovo/action de l'OTAN/réactions en Europe

Le Monde du 7 avril 1999

Pourquoi cette rage anti-américaine

POINT DE VUE

par Pascal Bruckner

A peine les premières bombes larguées sur la République fédérale de Yougoslavie par l'OTAN, s'est réveillée l'une des plus vieilles passions de l'intelligentsia et de la classe politique françaises : l'anti-américanisme. Mais il a pris une forme démesurée qu'on ne lui avait pas vue depuis longtemps, comme si une rancoeur mal contenue depuis la chute du mur pouvait s'épancher en toute innocence. Tout de suite a triomphé le principe d'équivalence : parce que cette guerre est » une forfaiture , » un conflit destructeur voulu et décidé par les Etats-Unis (Jean-François Kahn dans Marianne), on renvoie dos à dos les frappes euro-américaines et la politique de déportation de Belgrade. » Ni bombardements ni purification ethnique , proclamaient les banderoles de la manifestation organisée à Paris le 1er avril par le Parti communiste français et le Mouvement des citoyens. Bref, on met sur le même plan ceux qui veulent sauver les Kosovars et ceux qui veulent les liquider. Ou bien, dans une pétition signée notamment

par Pierre Bourdieu et Pierre Vidal-Naquet, on exige simultanément l'arrêt immédiat des missions de l'OTAN et l'autodétermination des Kosovars. Par quel bond magique passera-t-on de l'un à l'autre ? Mystère. L'essentiel, c'est la pose anti-impérialiste, si frivole soit-elle. Amérique : il faut être contre. Ainsi l'exige le conformisme intellectuel, à gauche comme à droite. Il y a plus : pour beaucoup, cette guerre injuste, ignoble, qu'une superpuissance mène contre un petit pays souverain (pour des broutilles, explique avec délicatesse Jean-François Kahn : » Parler d'épuration ethnique au Kosovo est une formidable sottise ) devrait nous inciter à une tâche primordiale : libérer l'Europe. » Pour la paix et l'indépendance de l'Europe , réclament à la une du Monde, le 2 avril, Max Gallo et Charles Pasqua. Car nous sommes occupés: individuellement et collectivement. C'est Régis Debray qui, dans un long article (Le Monde du 1er avril) nous explique que l'Amérique, laquelle, par parenthèse, a pratiqué la purifi

cation ethnique avec les Indiens, siège désormais dans nos têtes et fait de nous des ventriloques, des robots soumis malgré eux à la volonté de l' oncle Sam grâce à l'action conjuguée de CNN, de MacWorld et de Walt Disney. Avec Debray, nous quittons le thème de l'aliénation pour entrer dans le domaine de la sorcellerie : nous sommes littéralement tous possédés par l'Amérique sans le savoir, à l'exception sans doute d'un petit nombre d'élus, bons républicains, qui échappent au sortilège. Forme ultime de l'impérialisme : je crois parler librement mais c'est l'ordre yankee qui parle à travers moi et me dicte mes pensées. Quoi que je dise, je suis disqualifié puisque je ne reproduis que la voix de mon maître. Cela explique que la France ait, dans cette affaire, » perdu toute capacité d'initiative (Gallo-Pasqua), ce que le bulletin Balkans Infos illustrait par un dessin représentant Bill Clinton tenant en laisse un chien à tête de Chirac. Et tous de déplorer l'absence de De Gaulle qui n'aurait jamais toléré, lu

i, cette confiscation de l'indépendance de la France par quelques militaires ivres de sang. Elle est curieuse cette référence constante au général par les gaullistes posthumes : elle sert souvent à justifier, non le sursaut, mais le reniement, non la résistance, mais l'esprit munichois. Où l'homme du 18 juin disait »Levez-vous , ils répondent en l'invoquant : »Couchez-vous! Primaire comme Jean-François Kahn ou raffiné comme Régis Debray, tous ces anti-Américains disent la même chose : à travers l'expédition guerrière menée contre Belgrade, c'est à une mauvaise action contre l'Europe que se livre l'Amérique afin d'enfoncer cette dernière dans l'impuissance. En d'autres termes, à travers la petite Serbie, c'est au Vieux Monde tout entier que l'Amérique a déclaré la guerre. Et déjà Jean-François Kahn prévoit une Alsace réclamant son indépendance et occupée par 30 000 soldats de l'OTAN venus garantir son autonomie. Bref, Serbie-France : même combat, même ennemi. Pour ces rancis de la guerre froide qui fustigent

le manichéisme benêt de la Maison Blanche et son moralisme hypocrite, Satan parle anglais et paye en dollars ; et pour eux, le pire crime de Milosevic et Dieu sait si le cher homme se surpasse en ce moment ne pourra jamais égaler le crime fondamental des Américains : celui d'exister, tout simplement. Pour toute cette gauche qui n'a jamais pris la mesure du totalitarisme communiste, l'Amérique est coupable fondamentalement, non pour ce qu'elle fait mais pour ce qu'elle est. Elle cumule deux forfaits majeurs: le capitalisme et la suprématie. L'ignominie économique et l'horreur impériale, les pires traits de l'Occident. Progéniture déshonorante de l'Europe, et qui l'a trahie, elle représente le chancre lové dans nos têtes et dans nos coeurs et qu'il faut extirper à tout prix. Ce fanatisme anti-yankee oblitère même, chez les plus lucides, les plus modérés, toute capacité de jugement. Et ils manifestent du même coup non pas de la sympathie à l'encontre du maître de Belgrade seule l'extrême droite idolâtre

Milosevic qui a le courage de faire au Kosovo ce qu'elle rêve d'accomplir dans nos banlieues mais une certaine indulgence. Quiconque est attaqué par l'Amérique a droit à notre respect. Au fond, Milosevic, ça n'est pas si grave ! Ce que semblent dire les manifestants de la CGT qui arborent des badges ornés d'une cible en solidarité avec les Serbes bombardés. Il est vrai que s'identifier avec tous ces pouilleux de Pristina ou de Pec qui se pressent en haillons aux frontières de la Macédoine, de l'Albanie ou du Monténégro serait moins chic. Ce que confirme encore Vidal-Naquet lorsqu'il compare très sérieusement Milosevic à Nétanyahou : puisqu'on ne bombarde pas Israël pour sa politique coloniale en Palestine, pourquoi s'en prendre à la Serbie ? On croit rêver : si réactionnaires et chauvines que soient les positions de l'actuel gouvernement israélien, elles ne sont en rien semblables à la politique de terreur, de déportation et d'élimination menée par le régime serbe depuis Vukovar, en 1991. Qu'importe que le

grand frère yankee nous ait libérés, il y a 50 ans, du nazisme et nous ait, jusqu'en 1989, grâce à l'OTAN et son parapluie atomique, protégés de l'expansionnisme soviétique. On pardonne difficilement une assistance qui souligne de telles faiblesses. Cette dette est intolérable. La haine de l'Amérique, bouc émissaire idéal, tient tout entière du ressentiment, surtout de la part de vieilles nations impériales comme la France qui lui doivent tout simplement d'être encore debout. On déteste l'Allemagne de nous avoir occupés, on déteste l'Amérique de nous avoir libérés : nous aurions simplement changé de maître, d'assujettissement. En définitive, la violence des réactions suscitées par l'intervention de l'OTAN (surtout de la part de personnalités qui par conformisme, lâcheté ou indifférence, n'ont jamais protesté depuis 10 ans contre les exactions du régime de Milosevic) vient peut-être d'une certitude qu'Alain de Benoist, dans un article paru il y a quelques années, avait exprimée : que la seule guerre qui comp

te, la seule à laquelle il faut se préparer est celle qui opposera l'Europe aux Etats-Unis, la civilisation à la barbarie mercantile et dégénérée Ce que la propagande serbe exprime aujourd'hui à sa manière brutale en superposant une croix gammée à la bannière étoilée, en comparant Clinton à Hitler, Chirac à Mussolini. Le vaincu a dévoré son vainqueur, le chancelier du Reich s'est réincarné dans le Kid de l'Arkansas et les Serbes sont les nouveaux juifs, les nouvelles victimes de cette croisade d'extermination menée par l'Amérique contre l'Europe éternelle. Face à ce déchaînement de sottises, il faut répondre très simplement que les Américains ne nous ont pas embarqués malgré nous dans cette aventure belliqueuse : nous étions consentants et même demandeurs. C'est nous qui les avons entraînés alors qu'ils n'ont d'autre intérêt dans cette région que de garantir la crédibilité de l'Alliance. On peut déplorer que les Européens ne disposent pas d'une structure de défense propre mais pour l'instant il n'existe que

l'OTAN et c'est sur elle qu'il faut s'appuyer. Il est assez plaisant, d'ailleurs, d'entendre les farouches défenseurs de la souveraineté française réclamer depuis deux semaines plus d'Europe alors qu'ils la vouent régulièrement aux gémonies.

On peut avoir vis-à-vis de l'Amérique toutes sortes de divergences philosophiques et politiques, critiquer son cynisme, son arrogance, son appétit de pouvoir (mais, sur ce plan, valons-nous mieux ?). Le Vieux et le Nouveau monde n'ont, à l'évidence, pas toujours les mêmes intérêts et il serait souhaitable que le premier puisse rééquilibrer sur le plan politique et militaire l'hégémonie de fait du second. Mais face à l'horreur perpétrée en ex-Yougoslavie par le dictateur serbe, il faut réaffirmer que nous partageons avec l'Amérique les mêmes valeurs, les mêmes idéaux même si l'on peut juger incohérente l'actuelle stratégie de l'OTAN. Oui, mille fois oui, l'ordre occidental plutôt que l'ordre serbe : la liberté, le droit, le pluralisme plutôt que la pureté ethnique, l'obsession du sang, la mémoire folle et le crime contre l'humanité.

 
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