Extraits du Colloque organisé par le sénateur Michel PELCHAT au Sénat Français:
DEVELOPPEMENT ET DEMOCRATIE AU VIETNAM, PERSPECTIVES ET REALITES
mercredi 29 avril 1998
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MONSIEUR HERVE DE CHARETTE:
Juste un mot, mais je crois que Michel Pelchat a dit l'essentiel de ce qu'il fallait dire. Je comprends bien que, quand on s'adresse à vous, vous exprimiez une impatience; vous êtes du côté de ceux qui veulent la liberté tout de suite, parce que cela fait trop longtemps que vous avez le sentiment d'en avoir été injustement privé, du moins que votre peuple l'a été. Je comprends très bien cela. je voudrais vous dire que je suis très attentif à ce que vous ressentez, je vois bien que si on parle devant vous de réalisme, de sagesse, de prudence, j'ai l'impression que cela vous ennuie, ce n'est pas ça que vous êtes venus dire, exprimer, chercher ici, et vous avez raison. D'un autre côté, je ne voudrais pas que vous ayez un sentiment pessimiste parce qu'il y a des moments où la roue de l'histoire tourne dans un sens et il y a des moments où elle tourne dans un autre sens. Eh bien aujourd'hui, je crois vraiment qu'il est tout à fait clair que l'histoire joue de votre côté, cela n'a pas été le cas pendant dix, vingt
, trente ans, pas du tout. Mais maintenant elle est avec vous, vous êtes du bon côté du manche, du manche de la Liberté. Et c'est vrai que le Vietnam est sans doute l'un des derniers pays à avoir un régime qui est communiste. Il a appartenu à un ensemble dont vous pouvez dire qu'il a été l'une des cellules, l'un des éléments mais tout cela a disparu. Le Komintern, le Kominform, tout cela est tombé aux oubliettes de l'Histoire, ça a sauté avec l'internationalisme communiste. Et en réalité, quand on regarde ce qui se passe dans les pays où ces régimes sont encore en place, très peu nombreux, on voit que ce sont des structures et des groupes qui cherchent à conserver le pouvoir; démarche somme toute assez classique de la part de tous ceux qui exercent le pouvoir dans l'histoire des hommes. Et c'est ainsi que des régimes qui étaient autrefois inspirés par une philosophie, par une doctrine, par des théories qu'ils mettaient en pratique, sont en train d'évoluer à vive allure, vers des systèmes disons dictatoriaux,
ou autoritaires, selon que l'on veut être plus ou moins agréable, de type assez classiques. Or, ces pouvoirs-là négocient en pratique leur survie dans le corps social dans lequel ils sont. Et ils le négocient en ouvrant des espaces de liberté qu'ils essayent d'enfermer dans des frontières bien limitées. Malheureusement pour eux, la Liberté, c'est comme les torrents des montagnes, ça ne s'enferme pas. Et donc, on peut pendant un certain temps détourner le cours du torrent mais l'heure vient où le torrent emporte tout. Et, puisque je parle à des vietnamiens, faisant référence à ce que disait Michel Pelchat à l'instant, je ne parlerai d'aucun pays particulier. Mais mon expérience, dans les fonctions qui étaient les miennes., m'a montré très précisément et très clairement, comment dans telle grande capitale mondiale on négocie cela. Comment on ouvre des espaces de liberté économique à condition qu'on ne touche en rien à la sphère du politique. Et quelqu'un tout à l'heure disait il ne faut pas croire que le dév
eloppement induit la Liberté . Rien n'est absolument donné d'avance. Mais je vois moi, dans telle grande ville d'Asie, ce qui se passe, qui est bouleversant, du point de vue de l'essor économique, du développement économique, de l'initiative individuelle; donc je voisbien qu'irrésistiblement, cela viendra sur le terrain politique. Et c'est ainsi que se conquièrent les libertés, une à une. Une à une. La liberté économique un jour, la liberté politique le lendemain. Ou telle liberté dans tel endroit un jour, ou telle autre dans tel endroit le lendemain. Et c'est ce travail là, patient, déterminé, s'appuyant sur la force de l'Histoire, et sur le formidable mouvement de développement de l'Asie qui est pour votre pays le meilleur espoir et pour votre peuple la meilleure garantie. Et je ne vois pas comment, croyez-moi, comment dans ses immenses bouleversements que connaît l'Asie aujourd'hui, et dans cet immense appétit qu'expriment les peuples de pouvoir être, à la fois, vivre, et posséder, eux qui ont été privés
des trois pendant des générations, je ne vois comment aucun régime autoritaire pourra résister. Voilà pourquoi je regarde tout ce qui se passe avec beaucoup d'optimisme. Naturellement, ça prend du temps. Et vous êtes légitimement pressés, je le disais tout à l'heure. Naturellement aussi l'histoire a des soubresauts. Et naturellement enfin, les meilleurs chemins connaissent des difficultés. Mais quelles que soient ces prudences et ces réserves, je suis intimement convaincu que votre pays désormais est inexorablement et heureusement engagé dans un chemin dont l'issue est connue, c'est la liberté du peuple vietnamien.
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MONSIEUR Bui:
Monsieur Paolo Atzori qui est italien, qui vient de Bruxelles, trouve que la politique pas à pas, cela n'est ne marche pas. Monsieur Atzori est Attaché parlementaire au Parlement européen à Bruxelles.
MONSIEUR ATZORI:
Je viens de lire les lettres de prison de Wei Jingsheng, et dans une des lettres que Wei Jingsheng a écrites après les affaires de Tian'Anmen, il disait à Den Xiaoping à peu-près ceci : ne vous inquiétez pas trop, de toutes façons, vos homologues européens, quand ils viennent parler avec vous, ou qu'ils reçoivent vos Ministres en Europe, ils ont tellement l'air de revenir de Munich! Donc ne vous inquiétez pas, vous resterez encore quelques dizaines d'années. C'est avec amertume que je dis ça. Daladier et Chamberlain aussi étaient convaincus de devoir être soulagés et nous savons de quel genre de soulagement il s'agissait. Ils revinrent de Munich et eurent le déshonneur et la guerre. Je crains que ce soit la même attitude avec les régimes communistes du Sud-Est de l'Asie, c'est la même chose que avec la Chine, avec le Vietnam. Mais cette attitude, c'est ce qui permettra à ces régimes qui vont certainement mourir, c'est ce qui leur octroiera encore dix ans peut-être de vie. C'est notre renoncement, notre dési
stement devant les Droits de l'Homme et les Libertés fondamentales, qui leur garantit encore dix ans, vingt ans de survie. Tout ce que l'on a, c'est l'expulsion de Wang Dan, ou de Wei Jingsheng, les seuls dont on connaît les noms, mais il y à dans ces pays des dizaines de milliers de prisonniers politiques dont on ne connaît pas le nom.