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Partito Radicale Centro Radicale - 28 aprile 1999
Kosovo/OTAN/intervention terrestre

DEVANT L'ECHEC

par Pierre Hassner

Le Monde, mecredi 28 avril 1999

Le sommet de l'OTAN s'est achevé sur une déclaration d'unité, de détermination et de confiance dans la stratégie adoptée en Yougoslavie. On ne peut que saluer les deux premiers aspects, qui tranchent avec les divisions et les hésitations du temps de la Bosnie. Mais au risque de se voir reprocher une impatience fébrile ou une propension pour la stratégie de Café du Commerce on ne peut qu'exprimer son scepticisme et son inquiétude pour le troisième.

Comment nier, en effet, que les craintes exprimées il y a un mois (selon lesquelles les bombardements, s'ils n'étaient accompagnés d'une action au sol, loin de protéger les populations albanaises, risquaient de durcir la politique de Milosevic, de lui rallier le peuple serbe et d'aggraver encore la situation des Kosovars En cas d'échec , dans Le Monde du 27 mars 1999) se sont vérifiées ? Même si, comme il faut ardemment l'espérer, la situation devait se retourner d'ici quelques semaines ou quelques mois, même si la catastrophe suprême d'une victoire de Milosevic est écartée et si les Kosovars rentrent dans leurs foyers, comment ne pas voir que l'échec est déjà là, dans les souffrances des déportés, dans les destructions infligées à la Serbie, dans la déstabilisation de la Macédoine et du Monténégro, dans le fossé creusé, à travers les Balkans, entre gouvernements pro-occidentaux et populations hostiles, dans l'immense tâche de reconstruction économique et sociale, psychologique, politique et morale à entre

prendre ?

Comment les traces de ce mois interminable, où l'infrastructure serbe était progressivement détruite mais où les forces de Milosevic et consorts restaient libres de poursuivre leur oeuvre barbare, s'effaceraient-elles de sitôt ? Il y a peu de chances que l'année 1999 ne reste pas, pour la paix et la démocratie, l'Europe et l'Amérique, et les Balkans, une annus horribilis , faisant pendant à l'annus mirabilis de 1989.

On voudrait ici, plutôt que des récriminations ou des recettes miracles, proposer quelques leçons de ce qui vient de se passer menant à quelques avertissements pour l'avenir proche et lointain. Ils portent sur les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis, entre les buts de guerre et les moyens adoptés, enfin entre la stratégie, la politique et la morale, aujourd'hui.

Entre l'Europe et les Etats-Unis, au-delà des unanimités de façade qui cachent des soupçons ou des irritations réciproques, il convient d'écarter les faux procès sur le passé, le présent et l'avenir. La décision d'intervenir (commecelle de tenir la conférence de Rambouillet) a été européenne au moins autant qu'américaine. Celle de se limiter aux frappes aériennes a été unanime, aucun gouvernement n'ayant proposé, il y a un mois, d'engager des forces terrestres. Aujourd'hui même, il semble qu'au sommet de Washington, du 23 au 25 avril, seul le premier ministre britannique Tony Blair ait plaidé pour l'engagement au sol, et que l'opposition la plus forte soit venue d'autres pays européens, y compris la France et l'Allemagne, les Etats-Unis restant hésitants et divisés.

Ce qui est certain en tout cas, c'est que les querelles entre le nouveau concept stratégique de l'OTAN prôné par les Américains, et l'identité européenne de défense, ou la politique extérieure et de sécurité commune (PESC) projetées par les Européens, sont rendues dérisoires ou en tout cas mises entre parenthèses par le conflit actuel. Autant les deux perspectives continuent à s'affronter sur le papier et autant ces affrontements pourront redevenir une réalité concrète après une éventuelle victoire, autant, aujourd'hui, leurs sorts sont liés. L'intervention en Yougoslavie est le coup d'essai de l'une et de l'autre : les Européens ont fait preuve de cette initiative dont on les croyait incapables, l'OTAN s'est embarquée au-delà de ses missions et de ses limites géographiques traditionnelles. Il est encore loin d'être prouvé que c'est un coup de maître. En cas d'échec, le nouveau concept et la PESC seront également tués dans l'oeuf, au profit d'une série de nationalismes isolationnistes ou agressifs selon le

s cas. Européens et Américains sont dans le même bateau, mais il s'agit de savoir si ce n'est pas un bateau ivre.

Précisément, dans la tempête, l'alliance refuse de changer de cap mais semble tentée de donner un coup de barre dans deux directions opposées. L'une, à l'initiative de plusieurs pays européens, et malgré certaines réticences américaines, consiste à chercher le contact avec Milosevic, en particulier par l'intermédiaire de la Russie, en vue d'un compromis sur les conditions de l'arrêt des frappes, sur le caractère de la présence militaire internationale en cas de règlement, voire sur le contenu de ce règlement lui-même à propos duquel des notions comme celle de partage ou d'échange de territoires ont pu être évoquées. L'autre, à l'initiative des Etats-Unis, et malgré certaines réticences européennes, consiste à intensifier les frappes en incluant de plus en plus d'objectifs symboliques ou économiques non directement militaires. Les deux semblent comporter plus de dangers que d'avantages.

Un compromis ou un arrêt des frappes aujourd'hui, surtout négocié avec Milosevic, équivaudrait à une victoire de celui-ci, surtout s'il obtenait une formule plus favorable que celle de Rambouillet. Il ne s'agit pas d'imposer à la Serbie une capitulation sans conditions, mais il s'agit que celles-ci s'inscrivent dans le cadre des cinq points de l'ONU, sans concessions, notamment, sur le retrait des forces serbes, le retour des réfugiés et la présence d'une force militaire internationale efficace, donc avec la participation de l'OTAN. Il faut que Milosevic, le nettoyage ethnique, le nationalisme serbe soient vaincus sans équivoque. Certes, il ne s'agit pasde renoncer à une réconciliation avec la Serbie. L'amitié franco-allemande ou la place éminente de la RFA parmi les démocraties européennes supposaient la défaite claire et nette de l'Allemagne nazie, ce qui fut le cas en 1945 par opposition à 1918. Aujourd'hui, c'est à une Serbie dénazifiée (selon l'expression de la dissidente serbe Sonia Byserko) que l'Eu

rope doit ouvrir les bras.

Mais s'il s'agit de vaincre clairement le régime et les forces militaires et paramilitaires de la Serbie, il ne s'agit pas de détruire son économie, qu'il faudra reconstruire, et sa société, encore moins sa population et celle du Monténégro. C'est pourquoi la troisième phase, intensifiée, des frappes aériennes, ne peut pas ne pas susciter de sérieuses réserves. Moralement, car elle risque d'augmenter le nombre de victimes civiles, que la précision des frappes avait jusqu'ici heureusement réussi à limiter à un niveau étonnamment bas pour un mois de bombardements. Politiquement, car elle risque d'unir et de mobiliser la population serbe, et de diviser ou de retourner les opinions occidentales. Stratégiquement, car elle risque de nuire davantage à la Serbie qu'à son armée, ou du moins au type d'actions à laquelle celle-ci se livre au Kosovo, par opposition à une grande guerre classique. Et surtout, le but dernier (affecter le calcul de Milosevic ou de son entourage pour les amener à conclure qu'il y a plus d'in

convénients à continuer qu'à se rendre) a peu de chances d'être atteint (du moins avant que le nettoyage ethnique ait achevé son oeuvre) étant donné la nature du régime : Milosevic se soucie de son pouvoir plus que de son pays, et il peut préférer entraîner celui-ci dans son propre suicide plutôt que d'accepter une défaite qui provoquerait sa chute.

En fait, il s'agit moins d'affecter les calculs de Milosevic ou de le renverser que de le mettre devant le fait accompli en libérant le Kosovo. Ce dont il s'agit, c'est d'en éliminer ou d'en expulser les forces serbes et d'y faire revenir les victimes du nettoyage ethnique, en espérant, évidemment que le pouvoir de Milosevic n'y survivrait pas. Et pour cela il n'y a pas de substitut à une opération terrestre (peut-être commençant par la constitution d'une tête de pont ou d'une zone protégée) au Kosovo.

Certes, celle-ci est difficile, toute voie d'accès comportant de graves inconvénients politiques ou géographiques. Certes la préparation et l'exécution d'une grande opération prendraient plusieurs mois (c'est pourquoi il est si dangereux de reculer indéfiniment la décision, à la fois parce que le nettoyage ethnique continue pendant ce temps, et parce qu'à trop attendre on risque de finir par affronter le général Hiver). Certes, elle implique des bombardements qui ne peuvent se limiter au territoire du Kosovo, ni éviter d'infliger des dégâts aux populations. Mais il s'agit de déplacer l'accent, en donnant la priorité à la protection des populations prisonnières et à l'attaque des forces ennemies. Et cela soulève l'objection qui est la clé de tout : celle des pertes militaires du côté allié.

Il semble que les dirigeants des sociétés occidentales (qu'onles appelle démocratiques, libérales ou bourgeoises) considèrent qu'elles ne peuvent faire la guerre qu'en cachette ou à moitié, sous peine de perdre l'appui de leurs opinions publiques. Comment expliquer autrement non seulement qu'on évite à tout prix l'intervention terrestre ou qu'on la retarde indéfiniment en permettant ainsi à Milosevic de s'y préparer à loisir, mais que, contrairement à la logique stratégique la plus élémentaire, on annonce et répète à tout bout de champ qu'on ne la fera pas, permettant ainsi à l'adversaire d'éviter de se découvrir ou de se disperser en se protégeant de divers côtés ? Et que, quand on commence à préparer quelque chose qui y ressemble, on le fasse sous couvert d'aide humanitaire ou de mise en place d'une future force d'interposition ? Comment, sinon parce qu'on s'adresse plus à sa propre opinion publique, ou à celle des tiers, qu'à l'adversaire ? Pourquoi ne voler qu'à plus de 5 000 mètres d'altitude au risque

de multiplier les bavures qu'on veut éviter et d'épargner l'aviation serbe sinon pour éviter de mettre en danger la vie des pilotes ?

Ce souci d'épargner les vies humaines et de mener une guerre sans morts où l'on s'efforce de paralyser l'adversaire grâce à sa propre supériorité technologique au lieu de le détruire n'a rien de scandaleux en soi. Au contraire, il marque un progrès décisif dans le respect de la vie individuelle. Mais il pose, outre le problème de la dissymétrie entre adversaires, celui de la hiérarchie des valeurs accordées à la vie des différentes catégories d'individus.

Il est clair que pour les Etats-Unis les vies, qui, de loin, comptent le plus, sont celles de leurs propres soldats, d'où l'importance extraordinaire accordée à la récupération des deux seuls pilotes contraints de s'éjecter, respectivement, pendant les guerres de Bosnie et du Kosovo. En deuxième lieu, il est clair que, contrairement à leur pratique de la deuxième guerre mondiale, ils évitent de bombarder les populations civiles de l'adversaire (encore que, dans le doute, ils préfèrent le risque de le faire involontairement à un risque accru pour leurs pilotes). Mais les centaines de milliers de victimes qu'il s'agit de protéger de la déportation ou du massacre semblent n'arriver qu'en troisième lieu. D'où le paradoxe d'une guerre qui ne fait guère que des victimes civiles.

C'est là que le bât blesse, sur le plan moral autant que sur celui de l'efficacité stratégique. Peut-on se mêler de jouer un rôle de justicier, de gendarme, de shérif ou de pompier sur le plan mondial ou régional, en refusant d'en assumer les risques ? Peut-on se livrer à une hiérarchisation du prix des vies humaines où celle de ses soldats vaut plus que celle des victimes ? Le nouvel internationalisme ou le droit d'ingérence sont-ils compatibles avec une hiérarchie des solidarités qui distingue le degré de risque assumé selon des critères de nationalité ou de familiarité ?

Ces problèmes sont particulièrement visibles dans le cas des Etats-Unis, puissance impériale traumatisée par l'expérience vietnamienne et fascinée par la technologie, plus soucieuse par ailleurs de protéger la vie de ses soldats que celle deses écoliers. Mais ils sont communs à tous nos pays, trop ouverts sur l'extérieur et trop conscients des principes universels pour se détourner complètement des horreurs qui les entourent, mais souvent trop habitués à la paix et tentés par le repli, individuel et collectif, pour aller jusqu'au bout de leur engagement. D'où le risque de perdre sur les deux tableaux.

Pierre Hassner est chercheur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI).

 
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