AIDER L'UCK

Le Monde du 7 mai 1999

Face aux massacres, viols, pillages, destructions et déportations de masse, l'OTAN continue de se refuser à toute intervention terrestre au Kosovo, seule issue pour sauver à temps ce peuple martyr. Restera-t-il, avant qu'on ne se décide, un seul Kosovar libre au Kosovo ? Ou les hommes, les femmes, enfants de ce pays seront-ils tous déportés, morts de faim et d'épuisement sur place, voire exterminés par les sbires de Milosevic, Seselj et Arkan ? Les responsables occidentaux le répètent à l'envi : pas d'intervention avant l'évacuation des troupes serbes au profit d'une force internationale de paix. L'attentisme le dispute à l'absurde !

Pendant ce temps, 800 000 Kosovars, pourchassés, affamés, tentent, au Kosovo même, d'échapper à l'encerclement et à l'horreur. A la différence des déportés en Albanie, en Macédoine et au Monténégro, nulle aide ne leur parvient, par parachutages ou autrement. Cela s'appelle non-assistance à peuple en danger. Pis : un mouvement national de résistance, l'UCK, signataire des accords de Rambouillet et fort, désormais, du soutien des Kosovars de tous bords, se bat le dos au mur contre la barbarie. Stratèges et dirigeants européens rejettent ce mouvement de libération, taxé, pêle-mêle, de maoïste , d' islamiste , d' aventuriste , d' indépendantiste , partisan à terme d'une Grande Albanie . Six millions hypothétiques d'Albanais, mués en épouvantail pour opinions publiques ! La réunification démocratique de 85 millions d'Allemands, il y a dix ans, émut moins nos chancelleries. Face aux nazis, les Anglo-Américains, surmontant leurs réserves, soutinrent la Résistance française. Churchill soutint le communiste Tito.

On ne choisit pas toujours les résistants d'un pays sous la botte et, même si les situations ne sont évidemment pas comparables, il convient de soutenir, aujourd'hui, les résistants de l'UCK. L'UCK a le mérite d'exister. Elle l'a payé, ô combien !, au prix du sang. Acculée ici, décimée là, elle protège tant bien que mal les siens dans ses derniers réduits, harcèle la soldatesque serbe avec des moyens de fortune. Elle fournit à l'OTAN, pour ses frappes aériennes, de précieuses indications sur les forces et les mouvements de l'ennemi. En cas d'intervention, elle serait un auxiliaire tout trouvé, préparant le terrain, entravant le dispositif serbe, jetant le trouble sur ses arrières. Pragmatiques, les Américains découvrent l'UCK. Nos responsables européens, eux, invoquent, comme hier à l'encontre de la Bosnie, l'embargo sur les armes à destination de l'ex-Yougoslavie. Les soussignés affirment qu'au même titre que les déportés d'Albanie et d'ailleurs les Kosovars de l'intérieur méritent notre compassion et notre

aide. L'UCK se bat pour un Kosovo libre, contre le même adversaire terroriste et raciste que l'OTAN. Reconnue de facto à Rambouillet, elle a constitué un gouvernement provisoire qui, le jour venu, qu'on le veuille ou non, participera aux destinées du pays. On peut ne pas épouser la rhétorique de l'UCK, réprouver certaines deses méthodes, voire ne pas partager son but ultime. Il n'en est pas moins juste de soutenir ces résistants abandonnés à eux-mêmes. Et c'est, aussi, notre intérêt bien compris. Aider l'UCK, moralement, politiquement, financièrement : à chacun de se déterminer.

Marie-Françoise Allainest maître de conférence à l'université Paris-VIII, membre du comité Kosovo.

Pascal Brucknerest écrivain, membre du comité Kosovo.

Paul Garde est professeur émérite à l'université de Provence.

André Glucksmann est philosophe et écrivain.

Romain Goupil est cinéaste.

Pierre Hassnerest membre du comité Kosovo et directeur de recherches au Centre d'études et de recherches internationales (CERI).

Gilles Hertzog est membre du comité de rédaction de la Règle du jeu .

Ismaël Kadaré est écrivain.

Bernard-Henri Lévy est écrivain et directeur de la Règle du jeu .

Olivier Monginest directeur de la revue Esprit et membre du comité Kosovo.

Véronique Nahoum-Grappeest membre du comité Kosovo et chercheuse en sciences sociales.