M. RUGOVA ATTENDU EN HEROS DANS LES CAMPS DE MACEDOINE
par José-Alain Fralon
Le Monde du 23 mai 1999
Viendra viendra pas ? Samedi 22 mai, en fin de matinée, la plus grande incertitude régnait dans la capitale macédonienne quant à l'arrivée d'Ibrahim Rugova, le leader modéré des Albanais du Kosovo. Annoncée officiellement dès jeudi par l'ambassadeur de France à Skopje, cette visite a été successivement démentie et confirmée, sous des motifs bien peu convaincants. En fait, les représentants des Albanais de Macédoine, comme certains responsables de l'UCK, l'armée de libération du Kosovo, semblent avoir tout mis en uvre pour que le président de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) ne vienne pas en Macédoine. Les relations entre les différents mouvements de défense des Kosovars restent très tendues, même si Hashim Thaqi, le chef de l'UCK, qui se trouvait à Tirana, a invité vendredi M. Rugova à venir le rencontrer. Pour le moment, ces divergences n'apparaissent pas parmi les réfugiés qui vivent dans les camps de Macédoine. Rugova, c'est notre président, il doit venir ici, pour rencontrer son peuple, résume Shaba
n Krasniqi, soixante-dix ans, ancien partisan antifasciste durant la seconde guerre mondiale. S'il n'avait pas été là, ajoute-t-il, notre peuple aurait été massacré il y a déjà dix ans. C'est très bien qu'il vienne, renchérit Ibrahim Idrizi, cinquante-cinq ans. Nous pourrons lui montrer dans quelles conditions nous vivons ici et lui demander quand nous pourrons rentrer chez nous. Rugova pourrait-il être sifflé à son arrivée dans les camps, comme l'affirment certains ? Personne, ici, ne pourrait faire cela ; dans tout le camp, il n'y aura pas un seul mot contre Rugova, s'insurge Ibrahim. Il ne veut pas entendre parler de différences entre l'UCK et Rugova. Les deux veulent la même chose : un Kosovo libre. L'UCK en se battant, Rugova sans guerre. Son fils Bexhet, vingt-trois ans, intervient : Rugova n'est pas un militaire ; sa tâche est d'être modéré. Même distinction pour Ekrem Sopa, vingt-huit ans, qui loue tout à la fois le pacifisme de Rugova et le courage de l'UCK. Quant à la poignée de main entre Milosevi
c et Rugova, montrée à l'envi par la télévision serbe au début du conflit, Ekrem ne peut pas croire qu'elle ait été spontanée. On l'a forcé à faire cela, dit-il. Se contenteraient-ils d'une autonomie du Kosovo ? S'il y a un contrôle de l'OTAN, et non de l'ONU, pourquoi pas ? Mais une chose est sûre : nous ne voulons pas d'une quelconque domination des Serbes. Plus jamais, plus jamais, après ce qu'ils nous ont fait. Assises par terre devant leur tente, préparant le repas de midi sur un feu artisanal, Kefsere et Nazmije Hasani n'ont pas vu à la télévision la rencontre entre le maître de Belgrade et le leader autonomiste. Et pour cause : elles ont passé cette semaine-là cachées dans la forêt, pendant que les Serbes brûlaient nos maisons. Artan Qukovli, sept ans, est assuré : Rugova, c'est notre président, le président de la République du Kosovo. Ilest maigre, il a des lunettes et toujours une écharpe autour du cou. Un temps, et puis sa conclusion : Je préfère l'UCK à Rugova car, eux, c'est l'armée qui nous prot
ège.