LES RADICAUX MONTENT AU CRENEAU
La poussée du parti d'Emma Bonino en Italie à la faveur des élections européennes trouble le traditionnel clivage gauche-droite
par Frédéric Hacourt
La Libre Belgique, le 22 juin 1999
Etre belge, inscrit sur une liste concoctée à Rome, se faire élire dans un des cinq collèges italiens pour aller siéger à Strasbourg : une difficile quadrature du cercle dont Olivier Dupuis, secrétaire du Parti Radical transnational commence à maîtriser la formule.
"Formellement', constate-t-il, 'je ferai partie de la délégation italienne. Ce qui en soi ne devrait rien signifier : je suis désigné député par des électeurs européens, quelle que soit leur nationalité. L'idéal serait que 10 pc du Parlement de Strasbourg soient déterminés par des listes internationales. Mais nous n'y sommes pas encore. Au contraire, la dérive strasbourgeoise voit grandir le pouvoir des sous-groupes à l'intérieur du PSE comme du PPE. Ce qui contredit l'idée même de l'intégration européenne.'
Olivier Dupuis, assis entre deux ordinateurs, reçoit dans un petit bureau de la centrale radicale à Rome. Dans la salle voisine, la tête de liste Emma Bonino, flanquée de Marco Pannella, l'ineffable "père" de tous les radicaux, tient une conférence où elle revendique son fauteuil de commissaire européen et met Romano Prodi, le nouveau président, en demeure de justifier sa très probable exclusion du prochain exécutif. Elle défend à belles dents ses 8,5 pc des suffrages obtenus lors du scrutin européen. Et elle ne s'arrête pas là : son projet comporte une "révolution libérale" qui doit "désengoncer" les PME, fer de lance de l'économie italienne, et conférer une flexibilité réelle au marché du travail en tant que remède au chômage européen. Pour la première fois depuis leurs luttes civiles des années 70 (pour l'avortement et pour le divorce) et après une longue léthargie, les radicaux parlent d'économie. "Rien d'extraordinaire', commente Olivier Dupuis, "notre parti est né pour engager des batailles, les gag
ner, abandonner le succès et recommencer ailleurs. Notre objectif actuel est de casser l'énorme pouvoir corporatif des syndicats qui étouffe l'Europe du travail. Nous nous battons aussi pour les Etats unis du vieux continent : la validité de notre programme nous a permis de ratisser des votes dans Refondation Communiste comme dans l'extrême droite et surtout chez les jeunes, très sensibles à la problématique de l'emploi.'
MARCHANDAGE?
Prisonniers de leur logique partisane, les adversaires n'ont pas vu venir le "cyclone" Emma Bonino. Ils s'en mordent les doigts. Mais les grands vain-queurs italiens de ces européennes sont contraints à investir leur succès au plus tôt: privée d'une base parlementaire nationale, l'équipe de "SuperEmma" (sept élus) n'a d'autre choixque pousser la majorité de centre gauche à lancer les réformes institutionnelles sous menace d'une rafale de référendums paralysants. Olivier Dupuis est bien conscient de la difficulté. 'Mais d'autre part', note-t-il, 'le Parlement italien est aussi fragmenté qu'impuissant. Mieux vaut solliciter directement les deux centres de décision, la majorité et l'opposition, déconcertés par notre manque de couleur politique mais obligés de nous courtiser.' Simple débat italo-italien ? "Non, la Belgique se trouve dans une situation semblable", tranche Olivier Dupuis, 'en l'absence de partis fédéralistes, le gouvernement s'y pose comme la dernière instance de tous les marchandages.'