ET PENDANT CE TEMPS, A PEKIN, LES DISSIDENTS SONT TOUJOURS DES CRIMINELS
Par Frédéric Bobin
Le Monde, 17-18 octobre 1999
Une nouvelle fois, Pékin a échappé à l'infamie d'un prix Nobel de la paix accordé à des dissidents chinois. Nul ne sait le poids exact dont a pesé la real-diplomatie dans le secret des délibérations, mais, par précaution, les autorités chinoises avaient multiplié ces derniers jours les gesticulations pour décourager toute tentation de récompenser deux des grandes figures de la contestation - aujourd'hui exilées-, Wei Jingsheng et Wang Dan. Pour le régime communiste chinois, ces deux porte-drapeaux du mouvement démocratique, qui ont passé des années en prison avant d'être bannis de leur pays -dix-huit ans pour Wei et près de sept ans pour Wang -, ne sont que des criminels . Leur couronnement par le comité Nobel ne pourrait donc que constituer une grossière ingérence dans les affaires intérieures de la Chine, selon la formule rituelle du ministère chinois des affaires étrangères.
Les autorités chinoises ont laissé transparaître une grande nervosité à l'approche de la décision. Le secrétaire du comité Nobel, Geir Lundestad, a reconnu avoir été contacté à plusieurs reprises par des émissaires de l'ambassade de Chine à Oslo, qui s'inquiétaient de voir circuler avec insistance les noms de Wei et Wang comme nobélisables . L'ambassadeur de Norvège à Pékin a été convoqué par le ministère chinois des affaires étrangères. La pression est montée d'un cran dans les heures qui ont précédé l'annonce du lauréat, quand on a appris, de source diplomatique, que la municipalité de Pékin se préparait à organiser une manifestation devant l'ambassade de Norvège dans l'hypothèse d'une consécration des deux criminels chinois. Par précaution, le personnel résidant dans le périmètre de l'ambassade a dû passer la nuit dans un hôtel. Cette pression du régime n'a pas épargné la famille de Wang Dan. Sa mère, Wang Lingyun, a reçu la visite de la police, vendredi 15 octobre, et son téléphone a été coupé quelques
heures. Le régime chinois peut donc maintenant souffler. Les chancelleries européennes aussi. Car une victoire des deux dissidents aurait jeté une ombre brutale sur la très prochaine visite d'Etat du président Jiang Zemin en Europe (Grande-Bretagne, France), fin octo-bre. Ce voyage est d'autant plus important pour le numéro un chinois que Pékin cherche à consolider ses relations avec les Européens, dans l'espoir de multipolariser une scène internationale trop dominée à son goût par les Américains. Heureusement, il faudra plus que ce nouvel échec des dissidents à Oslo pour que le régime chinois soit exonéré de toute critique en matière de droits de l'homme. La chasse aux sorcières dont sont victimes les mouvements religieux non assermentés, et les arrestations et condamnations qui continuent de frapper les dissidents infligent un cruel démenti aux diplomates occidentaux,qui avaient placé beaucoup d'espoir dans une amélioration des droits de l'homme en Chine. Un rapport de l'Union européenne sur les libert
és en Chine, publié lundi 11 octobre, n'a pu que constater que la détention administrative et la rééducation par le travail forcé sont encore largement utilisées de façon arbitraire . Comme de coutume, Pékin a récusé cette mise en cause sans fondement ...