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Tunisie/réportage-enquête du Monde

La Tunisie sous Ben Ali (1) : une machine policière

Le Monde, jeudi 21 octobre 1999

Premier volet de l'enquête de Catherine Simon.

A quelques jours de l'élection présidentielle, Le Monde commence la publication d'une série en trois volets sur la Tunisie. Si le régime du successeur de Habib Bourguiba dispose d'une assise réelle dans les classes moyennes, il fait la vie dure aux opposants, sur fond de méthodes claniques et de relative prospérité.

Tout a commencé, un matin, par un banal coup de sonnette à la porte de son domicile. Mon fils est allé ouvrir et quelqu'un lui a donné un paquet, se rappelle Sihem Ben Sedrine. Un paquet. Un simple paquet. Quoi de plus anodin, quand on travaille dans l'édition ? Sauf que ce paquet-là, note la jeune femme, portait l'en-tête de la FIDH [Fédération internationale des droits de l'homme]. C'est la première chose qui m'a intriguée. La FIDH, comme Amnesty International, n'a jamais été en odeur de sainteté en Tunisie. Ses rapports y sont régulièrement censurés. Quant à la Ligue tunisienne de défense des droits de l'homme (LTDH), c'est peu dire qu'elle sent le soufre. En ce début des années 90, alors que la répression anti-islamiste bat son plein, la LTDH est devenue la bête noire du régime. Or Sihem Ben Sedrine en est, à l'époque, la secrétaire générale adjointe.

J'ai ouvert l'enveloppe et, d'abord, je n'ai pas compris. C'était plein de photos pornos. Les photos montrent un couple en train de copuler sur une plage. Le visage de la femme est flou. Mais la légende est claire : Sihem la pute, lit-on sous les clichés. Ce matin-là, sans crier gare, le cauchemar vient d'entrer, pour longtemps, dans la vie de Sihem Ben Sedrine. Car, cet album photo, elle n'est pas seule à l'avoir reçu. Il a été envoyé aux journaux, aux associations, aux partis politiques et même à des particuliers, avocats, médecins, universitaires, bref, à toute l'intelligentsia tunisoise. Plutôt que de hurler au scandale et d'avertir Paris ou Londres, Sihem Ben Sedrine, que des années de militantisme d'extrême gauche ont, croit-elle, endurcie, décide de réagir en politique. Elle adresse donc un courrier au ministre de l'intérieur, l'informant de l'incident et lui expliquant qu'elle se sent menacée. Son courrier reste sans réponse. Sihem Ben Sedrine ne s'en étonne pas. Elle a son idée sur l'identité des su

spects : Pour monter une affaire pareille, il faut le fric et le mailing. Et ça, en Tunisie, il n'y a que la police qui le possède. A-t-elle pensé que cette découverte allait gêner, en haut lieu ? L'a-t-elle dit et répété trop fort ? Une semaine plus tard, son mari trouve, coincée sous le pare-brise de sa voiture, une nouvelle liasse de photos, accompagnées d'un moineau décapité. Ce jour-là, j'ai compris qu'ils ne s'arrêteraient pas. Et j'ai commencé à avoir peur qu'ils s'attaquent aux enfants.

De tous ceux que nous avons rencontrés, Sihem Ben Sedrine est la seule à avoir accepté d'être nommément citée. L'ancienne éditrice - aujourd'hui réduite au chômage - est privée de passeport.Plusieurs centaines de ses concitoyens sont dans le même cas en Tunisie. Ses enfants, comme elle le craignait, ont été harcelés. Deux ou trois jours après l'histoire du moineau, un type en civil a suivi ma fille, qui sortait de l'école maternelle, et il est rentré avec elle à la maison. Il y est resté une bonne partie de l'après-midi, à bavarder. Quand j'ai appris ça, ça m'a rendue folle, j'avais envie de tuer. Ses deux fils, eux aussi, sont approchés par des inconnus. On les aborde dans la rue, on leur susurre des grossièretés, les menace de viol. Ou on évoque, comme en passant, le cas de ces jeunes gens, arrêtés avec de la drogue dans la poche et jetés en prison. Qu'ils sabotent mon ordinateur, qu'ils piratent mes manuscrits, qu'ils demandent à la banque de me couper les vivres, tout ça, je peux le supporter. Mais les g

osses... Soudain, la jeune femme éclate en sanglots.

Symbole de la douceur de vivre, îlot de modernité dans un Maghreb prisonnier de ses archaïsmes, la Tunisie aime à donner d'elle-même une image lisse et conquérante. Petite (9,4 millions d'habitants) mais prospère (4,5 % de taux de croissance annuel), la nation du président Ben Ali, héritière d'Hannibal, de Kairouan et de la grandeur de Carthage, entend être à l'avant-garde du mouvement de progrès qui entraîne le monde (programme électoral du chef de l'Etat). En fait, tous ces discours, c'est du pipeau, maugrée un vieux Tunisois. Au Maroc, Hassan II a préparé le terrain et Mohammed VI est en train de tourner la page. En Algérie aussi, avec Abdelaziz Bouteflika, ils essayent de sortir de l'ornière. Même la Libye change un peu. Mais, ici, rien ne se passe. On dirait que tout est bloqué.

Est-ce au moment de l'Algérie et de la montée du péril islamiste que le piège s'est refermé ? - comme le suggère Alya, professeur d'université à Sousse. Au nom de la lutte contre l'intégrisme, dit-elle, la Tunisie entière a fermé les yeux et on a laissé Ben Ali installer sa machine policière. Aujourd'hui, on voit le résultat. Les intégristes, c'est fini, d'accord. Mais la machine s'est emballée et le pays est quadrillé comme il ne l'a jamais été. Vous savez à quoi elle ressemble, maintenant, la Tunisie ? ajoute-t-elle en baissant la voix. A un commissariat!

7 novembre 1987. Au nom de Dieu, clément et miséricordieux, nous, Zine El Abidine Ben Ali, premier ministre... Ce matin-là, en allumant leur poste de radio, les Tunisiens comprennent que le palais de Carthage a changé de locataire. En application de l'article 57 de la Constitution, nous prenons en charge, avec l'aide du Tout-Puissant, la présidence de la République et le commandement suprême de nos forces armées, annonce le général Ben Ali, de sa voix monocorde. Exit Habib Bourguiba. Agé de quatre-vingts ans, le Père de l'indépendance, artisan de la Tunisie moderne, vient de passer la main. On la lui a quelque peu forcée, il est vrai. Face à la sénilité et à l'aggravation de son état de santé, l'ex- Combattant suprême est déclaré dans l'incapacité absolue d'assumer les charges de la présidence de la République.

Dans le pays, le soulagement est grand. Le coup d'Etat médical, selon la formule consacrée, dont vient d'être victime Habib Bourguiba, est d'abord ressenti comme une libération. L'époque où nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'Etat, promet le nouveau président. Il prône le multipartisme, la démocratie responsable et la souveraineté populaire. De Tunis à Gafsa etde Sfax au Kef, tout le monde applaudit.

Pionnier de l' ère nouvelle, le président Ben Ali, que son thuriféraire préféré, l'Italien Salvatore Lombardo, compare à un héros de l'Antiquité - voire au Mahatma Gandhi ou au colonel Lawrence d'Arabie -, aime à se présenter comme celui qui a sauvé la Tunisie de l' automne mortel intégriste. Entre 1991 et 1992, selon les associations de défense des droits de l'homme, plus de 9 000 personnes, soupçonnées d'appartenir au parti islamiste Ennahda, sont arrêtées et jetées en prison. En 1999, 2 000 d'entre elles y sont encore. La torture et l' arbitraire, qui avaient été systématiquement pratiqués au plus fort de la répression anti-islamiste (1991-1993), ont malheureusement perduré, s'élargissant progressivement, depuis cinq ans, aux défenseurs des droits de l'homme, aux démocrates et à l'opposition non religieuse, souligne, en juin, un rapport de la FIDH. Sihem Ben Sedrine et les siens ne démentiront pas.

Assis au milieu du jardin, à l'abri des oreilles indiscrètes, l'homme s'exprime d'une voix lasse. Il vaut mieux parler dehors, c'est plus sûr qu'à l'intérieur. A cause des micros, vous comprenez ? Dans certaines maisons de Tunis, on a pris l'habitude, quand on veut parler politique, d'allumer la radio, pour brouiller le son des voix. Certains préfèrent discuter en voiture. La Tunisie n'a jamais connu, pourtant, même aux heures les plus noires, les horreurs marocaines du bagne de Tazmamart. Ce régime a fait de nous des trouillards. La peur, c'est sa plus grande réussite ! dit l'homme, en éclatant d'un rire amer. Ils savent doser la menace, selon les gens et leur degré de résistance, corrige sa compagne. Cela commence toujours de manière banale. Un matin, par exemple, vous trouvez votre voiture avec les quatre pneus crevés. C'est un premier message. Quand ça ne suffit pas, on passe un cran au-dessus : si vous êtes homme d'affaires ou médecin, on vous envoie le fisc ; ou bien, si vous êtes prof, on glisse de la

drogue dans votre attaché-case ; ou alors, en pleine rue, un groupe de voyous vous casse la figure. La liste est infinie... L'homme acquiesce. Lui-même a vu sa promotion de carrière stoppée net, sans raison officielle. On vous attaque toujours de biais. Et vous n'avez aucun moyen de vous défendre. Le plus vicieux, dans ces histoires, c'est qu'on vous dénie jusqu'au droit d'exister comme personne politique. C'est ça la grande différence entre un Bourguiba et un Ben Ali. Le premier nous combattait en tant qu'opposants. Celui-ci, il nous traite comme des droits communs, il veut faire de nous des minables, des petits.

Propos d'aigris ? Exagérations militantes ? Officiellement, la Tunisie est une démocratie pluraliste. Le nombre des organisations non gouvernementales (ONG) - que les esprits frondeurs ont rebaptisées OVG (organisations vraiment gouver-nementales) - atteint aujourd'hui les 7 000, alors qu'il ne dépassait pas les 2 000 à la veille du changement, dit-on au palais de Carthage. Signe supplémentaire d'ouverture : pour la première fois, deux candidats affrontent le président sortant, lors du scrutin du 24 octobre. La bataille électorale, dont parle la presse locale, semble pourtant finie avant même d'avoir commencé : Toutes nos propositions vont dans le sens de la politique du président Ben Ali, propositions que celui-ci réalisera, c'est sûr, au cours de son troisième mandat, déclare l'un des challengers désignés du chef de l'Etat, dans l'hebdomadaire Réalités du 23 septembre. Et c'est avec la mêmecandeur que les journaux annonçaient, un mois avant le scrutin, que les partis de l'opposition disposeront, au lendema

in des législatives, d'au moins 20 % des sièges du Parlement, tandis que le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), va rafler les 80 % des sièges restants...

Comment devient-on opposant dans de telles conditions ? On ne le devient pas !, ironise Sihem Ben Sedrine. Le Conseil national des libertés en Tunisie (CNTL), dont elle fait partie, a été créé en décembre 1998, mais n'a pas reçu l'agrément du ministère de l'intérieur. En clair, le CNTL n'existe pas. Ni le Forum démocratique, qu'avait tenté de lancer, en 1994, le docteur Mustapha Ben Jaffar. En Tunisie, dit Sihem Ben Sedrine, la moindre critique fait de vous un opposant. La moindre nuance rend suspect. Même le silence devient douteux - car il peut être interprété comme une marque de distance vis-à-vis du régime.

Le temps est loin où l'on osait signer des pétitions pour dénoncer la répression. Il y a encore cinq ou six ans, on arrivait à rassembler jusqu'à cent cinquante signatures. Chaque mot était pesé. Les universitaires, les professions libérales, même dans la classe moyenne, beaucoup de gens signaient, rappelle un opposant. Aujourd'hui, on n'arrive même plus à trouver soixante signatures... Les gens ont peur. A l'université, le RCD fait du rentre-dedans auprès des enseignants, et la plupart acceptent. Pour être tranquilles, comme ils disent. C'est ainsi qu'une circulaire ministérielle, faisant obligation aux organisateurs de colloques de soumettre, au préalable, la liste des intervenants au ministère de l'intérieur, est passée, il y a deux ans, comme une lettre à la poste.

Dans les jardins de Tunis, le soir, on raconte à l'étranger la blague des deux chiens. Le premier, un chien algérien, maigre, efflanqué, couvert de plaies et de cicatrices, arrive en Tunisie, où il ne souhaite qu'une chose : se reposer, manger et oublier la guerre. Le second, un chien tunisien, bien mis, grassouillet, avec gourmette et after-shave, trottine vers l'Algérie, à la grande surprise de son ami de rencontre, qui ne voit pas l'intérêt d'un tel voyage. Pourquoi aller en Algérie ? Tu vas te faire tuer. Et si jamais tu arrives à survivre, tu ne trouveras rien à manger, s'étonne le chien algérien. Pourquoi je vais en Algérie ? rétorque le chien tunisien. Pardi, pour aboyer!

 
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