ETATS-UNIS: ON ACHEVE BIEN LES INNOCENTS
Clinton envisage de décréter un moratoire sur la peine de mort au niveau fédéral.
Par Patrick Sabatier
Libération, le 9 février 2000
Le Président examine de près les problèmes soulevés par le gouverneur de l'Illinois : Joe Lockhart, le porte-parole de la Maison Blanche, a ainsi confirmé en fin de semaine dernière que le Président envisage de décréter un moratoire sur la peine de mort au niveau fédéral (21 condamnés sont en attente d'exécution dans les prisons fédérales). Il y avait été invité par le sénateur démocrate du Wisconsin, Russ Feingold, dans la foulée du moratoire annoncé par George Ryan, gouverneur républicain de l'Illinois. Celui-ci avait justifié sa décision de mettre fin, au moins provisoirement, aux exécutions dans son Etat par »la honteuse série de condamnations à mort d'innocents qui y ont été mises à jour. Elles l'ont convaincu de »l'impossibilité de défendre plus longtemps un système dont la mise en ouvre est aussi souvent déficiente . Le moratoire de l'Illinois n'est que la manifestation la plus spectaculaire à ce jour d'un changement d'attitude des Américains à l'égard de la peine de mort.
L'an dernier, l'assemblée législative du Nebraska avait voté pour un moratoire des exécutions - mesure à laquelle le gouverneur avait mis son veto. Des projets de lois abolissant la peine capitale, ou imposant un moratoire des exécutions, ont été déposés dans 12 des 38 Etats de l'Union où celle-ci est en vigueur. Certains des principaux journaux du pays (New York Times, Chicago Tribune, St Louis Post Dispatch) font campagne pour l'abolition. Le barreau américain, prône un moratoire depuis 1997. La conférence des évêques s'est prononcée contre la peine de mort et le pape a lancé l'an dernier un appel dans ce sens. Un des succès au box-office, The Hurricane, conte l'histoire d'une célèbre erreur judiciaire qui envoya dans le quartier des condamnés à mort un boxeur, Rubin Carter, innocenté et libéré. Il y a un an, l'histoire exemplaire d'Anthony Porter, innocenté et libéré après avoir passé seize ans dans l'antichambre de la mort, avait eu un retentissement d'autant plus grand qu'il avait été sauvé par un group
e d'étudiants en journalisme de l'université Northwestern, dans l'Illinois (Libération du 2 mars 1999).
L'Illinois a reconnu 13 cas d'innocents condamnés à mort et libérés depuis 1977, pour 12 criminels mis à mort. Mais, comme l'explique Lawrence Marshall, qui dirige le Centre sur les erreurs judiciaires à Northwestern, »le problème n'est pas limité à l'Illinois... . C'est en fait en Floride qu'a été mis à jour le plus grand nombre d'erreurs judiciaires (18). Au total, calcule Richard Dieter, qui dirige à Washington le Centre d'informations sur la peine de mort, ce sont 85 condamnés qui ont été innocentés et libérés depuis 1973, parfois à quelques jours de leur exécution. Une enquête récente du Chicago Tribune a montré que 40 % des 285 condamnations à mort prononcées dans l'Illinois étaient entachées de doutes sérieux - y compris dans 33 cas où la défense, assurée par des avocats tellement incompétents ou véreux, que ces derniers ont été interdits de pratique.
Le mouvement pour un moratoire est aussi le contrecoup de l'augmentation du nombre des exécutions - le record annuel a été battu l'an dernier avec 98 mises à mort. Les Etats-Unis font de plus en plus figure de paria sur une scène internationale où 105 pays ont aboli (totalement ou en partie) la peine capitale. »Il n'existe pas d'autre problème qui isole autant les Etats-Unis, écrit Richard Dieter dans un rapport récent (1). Ils font de plus en plus figure de violateurs des droits de l'homme , surtout parce qu'ils sont l'un des seuls pays à exécuter des criminels mineurs au moment des faits. »La tendance à exécuter de plus en plus rapidement, de donner de moins en moins de moyens à la défense et à requérir la peine de mort pour un nombre de crimes de plus en plus élevé... rend inévitable la multiplication des erreurs judiciaires , ajoute Dieter. Pourtant aucun des candidats à la présidentielle de novembre n'ose se prononcer pour l'abolition ou le moratoire sur les exécutions.
Le favori pour la nomination républicaine à la présidentielle, le gouverneur du Texas, George W. Bush, se vante d'être le »champion des exécutions - il en a signé 35 l'an dernier. C'est que l'opinion publique reste massivement acquise à la peine de mort. Pourtant, un sondage effectué en janvier par la chaîne ABC a montré que le soutien à la peine capitale a chuté de 77 % en 1996 à 64 % aujourd'hui. Des tentatives pour rétablir la peine de mort ont été rejetées par l'électorat dans plusieurs Etats (Iowa, Maine, Massachusetts, Michigan) et un sondage du Public Policy Institute révèle qu'en Californie, Etat souvent annonciateur des évolutions en profondeur du pays, les »anti peine de mort sont aussi nombreux que les »pro .
(1) International Perspectives on the Death Penalty.
voir le site www.essential.org/dpic