»Deux tiers des peines de mort sont remises en cause
Le juriste James Liebman analyse les dérapages du système judiciaire américain.
Par FABRICE ROUSSELOT
Libération, le 9 février 2000
James Liebman est professeur de droit criminel à l'université de Columbia, à New York. Il répond aux questions de Libération.
Le débat autour des »innocents dans les couloirs de la mort est des plus actifs aux Etats-Unis. Le système judiciaire est-il en cause?
Depuis des décennies, les Etats-Unis fonctionnent avec un système de peine capitale que l'on pourrait presque qualifier d'irrationnel. Nous envoyons environ 300 personnes par an dans les couloirs de la mort. Aujourd'hui, 4 000 détenus attendent leur exécution. Mais dans le même temps, de plus en plus de prisonniers voient leur condamnation revisée du fait d'erreurs de procédure. Dans ce pays où le public reste toujours favorable à la peine de mort, les politiciens commencent à se rendre compte des anomalies d'un système qui produit des condamnations dont près des deux tiers sont remises en cause.
Quels sont les problèmes?
Le problème principal est qu'au niveau des juridictions locales, la tendance du procureur est de rechercher avant tout la condamnation à mort, car c'est un réel argument politique et électoral. On se rend compte alors que nombre de ces procès sont bâclés pour aboutir à une condamnation. Et ce n'est que plus tard que l'on découvre que des erreurs ont été commises. Mais ceux qui les ont commises ne sont jamais tenus pour responsables. Quand un innocent passe quinze ans dans les couloirs de la mort avant d'être libéré, personne ne reçoit un quelconque blâme. Mais c'est en train de changer, les gens commencent à se poser des questions sur tout cela.
Au niveau fédéral, le Congrès a pourtant adopté une loi, en 1996, accélérant les procédures d'appel pour les condamnés à mort et ne leur permettant plus de bénéficier systématiquement d'un avocat pour les défendre...
Tout à fait, et la Floride vient d'adopter une législation similaire. Ce qui se passe, c'est que le gouvernement et les Etats se sont rendu compte qu'ils dépensaient des millions de dollars dans les procédures d'appel. Alors ils veulent réduire leurs coûts. Ce qu'ils ne réalisent pas, c'est que ces procédures d'appel coûteraient beaucoup moins d'argent s'il n'y avait pas d'erreurs judiciaires au départ. Et c'est là qu'il faut trouver un remède.
Que doit-on faire pour prouver son innocence aux Etats-Unis? Au Texas, par exemple, »l'innocence n'est pas un argument suffisant pour rouvrir le procès d'un condamné à mort...
Dans les cours fédérales, c'est encore pire. Pour permettre la réouverture d'une affaire, il faut désormais prouver que la Constitution a été violée durant le procès initial. Si vous avez condamné un innocent en respectant les règles, alors personne ne viendra vous importuner. Au Texas, les autorités affirment qu'il faut prouver »son innocence sans aucun doute possible , et admettent ne pas savoir comment on peut y parvenir.
Est-ce à dire qu'un innocent dans les couloirs de la mort n'a aucune chance de s'en sortir?
Disons simplement qu'à tous les niveaux de juridiction de ce pays, il est très difficile, sinon impossible, de sortir de prison pour un innocent. En Floride par exemple, 20 condamnés à mort on été reconnus innocents durant ces dernières années. Mais l'Etat et le gouverneur Jeb Bush (le frère du candidat républicain à la présidence, ndlr) font de plus en plus pression afin que les tribunaux ne reconsidèrent pas les cas de condamnés à mort. Il y a donc certainement beaucoup plus d'injustices qu'on ne peut le savoir.