Carte Blanche
FAUT-IL LYNCHER MARC VERWILGHEN?
par Anne-Marie Roviello
Le Soir, 25 février 2000
Nul besoin de partager toutes les options politiques du ministre de la Justice pour être ahuri, et plus, alerté par ce qui ressemble à une campagne de harcèlement médiatique contre un homme qui a été élu avec près de 420.000 voix de préférence.
Depuis son entrée en fonction, le ministre est pris en tenaille entre deux feux de critiques contradictoires. Déclare-t-il son intention d'inscrire la politique de la sécurité dans un cadre plus global social-économique, on s'inquiète d'une »tendance hégémonique . Insiste-t-il sur l'importance de la sécurité comme telle, on lui rappelle la dimension socio-économique du problème. De même, on reproche à son plan de sécurité de s'en tenir à des généralités »philosophiques , mais d'un autre côté, on déplore qu'il entre trop dans le détail avec ses 140 projets.
Lors du vote à la Chambre, il y a quelques jours, de son projet de justice accélérée, on a présenté au public l'avancée légale concernant les peines alternatives comme une contre-partie imposée au ministre.
Une justice expéditive ?
Or, celui-ci insiste, depuis le début, sur la nécessité de passer du répressif au préventif, d'une justice punitive à une justice reparative, aux peines alternatives et aux travaux d'intérêt général. Il répète que le répressif ne doit intervenir que comme »remède ultime . Il veut humaniser les conditions de détention. La réparation est clairement annoncée comme le coeur de sa politique de justice. Pourtant, la plupart des intervenants stigmatisent la »politique répressive et sécuritaire du ministre.
Concernant la procédure accélé-rée, sept jours paraissent, en effet, un délai beaucoup trop bref pour permettre une justice équitable. Mais, en faisant passer la critique sur la mesuré, et les modalités pour une critique du principe, on a escamoté le débat sur l'essentiel : la société et l'Etat peuvent-ils continuer d'accepter que la majorité des crimes concernés par la nouvelle procédure demeurent impunis, comme cela se passait jusqu'à présent ? La procédure concernera seulement des cas de flagrant délit et de violence grave, on a pourtant préten du qu'elle s'attaquait là à »la petite délinquance en général, et on a dénoncé une dérive vers »la tolérance zéro .
Concernant l'étude sur la criminalité »allochtone , on n'y est pas allé par quatre chemin: Verwilghen semait sur les platesbandes du Vlaams Blok! L'étude hollandaise à laquelle se réfère le ministre veut comprendre pourquoi certains crimes - tels les crimes d'horreur - sont perçus tout autrement selon les cultures.
Verwilghen raciste ?
Rien de raciste, donc, mais un outil pour travailler plus efficacernent au niveau de la prévention. D'un autre côté, en disant sa volonté que soit élucidé au plus vite l'assassinat crapuleux à Anvers d'un petit enfant roumain, Verwilghen montre qu'il a compris où se situe le vrai combat. Il doit se faire contre la criminalité organisée et pour les victimes de cette criminalité qui sont ici, avant tout, des victimes »allochtones .
Le ministre a déclaré, dès le départ, clairement et à plusieurs re prises, que la criminalité organisée était la première des priorités, dans sa note de politique générale il envisage différents moyens. Il a nommé Procureur au parquet d'Anvers, plaque tournante de toutes les mafias, Bart Van Lijsebeth (CVP), connu pour avoir lutté efficacement contre cette criminalité. Eh voulant lutter efficacement contre la délinquance urbaine, le ministre ne néglige donc pas la grande criminalité, au contraire: en s'attaquant au dernier maillon dans la chaîne des réseaux mafieux, notamment pour le trafic de voitures et la traite des humains, il s'attaque à la grande criminalité puisqu'il la coupe de son ancrage social. Et pourtant, un des reproches les plus récurrents faits au ministre est qu'il négligerait ce genre de criminalité.
Une justice de classe ?
Intervient un autre train de critiques: une telle politique ne s'attaquerait qu'aux symptômes et non aux causes socio-économiques de la criminalité; elle laisserait libre la criminalité en col blanc et financière.
La lutte contre la criminalité en col blanc et la criminalité financière est pourtant la deuxième des neuf priorités citées par le ministre. Un de ses premiers actes fut de reconduire - contre l'avis de la majorité des procureurs généraux - le mandat du juge Leys, qui mène l'instruction contre la KB-Lux.
Le ministre se propose de faire en sorte que l'OCRP, Office central pour la répression de la corruption soit opérationnel au plus vite.
Dans l'avant-propos au plan de sécurité, on peut lire: Dans une société anonyme, très individualisée et axée sur la prestation,... la sécurité et la sûreté de la société et des personnes ne sont plus garanties dans la même mesure pour tous les citoyens. La dualité socio-économique risque de trouver un prolongement dans les besoins fondamentaux de sécurité et de sûreté.. Et plus loin: la lutte contre l'exclusion sociale est également une condition importante pour une politique de sécurité réussie... Verwilghen veut également une concertation avec les ministères de l'Enseignement sur les moyens permettant d'augmenter les chances d'intégration des jeunes immigrés. Une justice de classe?
Lorsqu'il existe un tel gouffre entre l'opinion des citoyens et celle de leurs porte-parole -journalistes, intellectuels, politiques -, lorsque la plupart des contre-propositions des détracteurs ressemblent étrangement, aux propositions et projets présentés par le ministre lui-même dans ses déclarations et dans ses actes, lorsque la surdité semble se faire surdité volontaire, on est en droit de s'inquiéter sérieusement de l'état de santé de la communication, et donc de la démocratie, dans ce pays.
ANNE-MARIE ROVIELLO
Chargée de cours associée en philosophie à l'ULB
Université libre de Bruxelles