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Partito Radicale Centro Radicale - 25 maggio 2000
Tunisie/Droits de l'Homme/Cas de Taoufik Ben Brik

Je n'étais pas parmi les chômeurs et les lycéens arrêtés puis torturés, les lanceurs de pierres... J'ai écrit sur eux, c'est tout.

Je veux détruire le symbole que je suis devenu

Par TAOUFIK BEN BRIK

Libération, le mercredi 24 mai 2000

Qu'est-ce que j'ai fait, moi ? Une grève de la faim ? On peut se demander pourquoi. Je suis un journaliste qui n'avait plus rien à écrire. Ma grève de la faim est devenue le meilleur article que j'aie jamais fait. Aujourd'hui, certains me disent: il est bidon, ton mouvement. Peut être qu'ils sont dans le vrai. J'ai toujours été un arnaqueur, j'aime créer du faux-semblant. Comme au poker, le plus important, c'est le bluff. On pensait que j'avais un full aux as dans la main. Que je l'ai ou pas, qu'est-ce que cela peut faire ? L'important, c'est qu'on le croit. Avec ou sans, le Roi a été mis à nu, la Tunisie militante a été consolidée. Si je suis bidon, ces gens-là ne le sont pas.

Il y a une supercherie dans tout cela, cette bulle médiatique qui m'a propulsée. Je voudrais détruire ce symbole, que je suis devenu. Depuis le début, je ne suis qu'une sangsue qui vit sur le dos des véritables acteurs de la Tunisie militante. Alors que le pouvoir s'abattait sur l'UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens), ce n'est pas moi qui ait mené la dissidence syndicale. Eux ont été en prison. Pas moi. Lorsque Ben Ali a gagné sur tous les fronts dans les années 90, broyé les islamistes, fait main basse sur les partis et les associations, lorsque toute l'intelligentsia tunisienne a tourné sa veste acceptant d'être les conseillers du prince pour lui donner une couverture morale, il n'est alors resté à Tunis que quelques mouvements squelettiques qui remuaient encore. De toutes petites mais des choses. Presque rien, mais pas rien. Il y en a eu pour se battre avec des pétitions et des coups de gueule pour seules armes, sachant qu'ils seraient punis de mille persécutions.

Je dirais seulement un nom au hasard, celui de Nejib Hosni, cet avocat, ce seigneur du barreau. Il a envoyé un fax à Amnesty International et puis, il n'a jamais raconté comment il avait été mis à genou dans un commissariat, ce moment-là où l'homme est dépouillé de toute sa dignité. Moi, j'étais où? Pas avec eux. J'avais déserté la cité morte, parti dans les campagnes avec les contrebandiers, les trafiquants et leurs ânes. Je faisais des enquêtes sur cette Tunisie de la ruse, ces va-nu-pieds superbes qui continuaient à rire dans le pays dévasté. Je ne voulais pas écrire sur les perdants, je ne m'en délecte pas. Il y a un côté catin chez moi. Je ne suis revenu que lorsque la Tunisie militante est sortie de sa léthargie en 1998. Mais là encore, ce n'est pas moi qui ait jeté des pierres pendant l'Intifada de Gafsa. Je n'étais pas parmi ces chômeurs et ces lycéens arrêtés puis torturés. Je n'étais pas dans le stade Beja quand les émeutes ont fait 42 morts. Je n'ai pas créé le CNLT (conseil national des libertés

en Tunisie), cette association de hors-la-loi qui a pris tous les risques, acceptant de voir disloquer leur vie de famille. J'ai écrit sur eux, c'est tout. Ce n'était pas très difficile, la Tunisie était alors une caverne d'Ali Baba. Il suffisait d'avoir des yeux. Je n'avais ni leur courage, ni leur passion. Je les leur enviais. Et en plus, je n'en ai pas honte.

Qu'est-ce que j'ai fait, moi ? Une grève de la faim ? J'ai été comme la reine des abeilles dans la ruche, immobile, passive, juste bonne à perdre des kilos alors que s'affairaient autour de moi les abeilles. Sans elles, ma grève aurait pu être comme tant d'autres, anodine, isolée. Souvent quand quelqu'un se lance dans un acte comme celui-là, les gens se détournent comme devant une souillure. Les réseaux se ferment. Là, tout s'est ouvert, la Ligue des droits de l'homme tunisienne, l'Association des femmes démocrates, bien sûr le CNLT, l'Association des jeunes avocats, qui n'a jamais plié l'échine. Ils formaient tous une sorte de cordon autour de moi, me cajolant comme un enfant glouton et égoïste. Des femmes de la haute bourgeoisie qui n'avait jamais été insultée l'ont été par des policiers à cause de moi. Sans que jamais la peur ne les lâche, des épiciers ont traversé des cordons de police autour de ma maison pour m'apporter des présents. J'ai des caisses d'eau minérales jusqu'au plafond, dans mon salon à Tu

nis. Ma femme n'arrive plus à payer dans les magasins. La nuit, les gens venaient tuer le temps autour de moi, une sorte de veillée, un salon où tout le monde venait se rencontrer dans un apprentissage de la réconciliation entre frères ennemis de l'opposition. La reconnaissance n'est pas seulement du côté du pouvoir.

Le 25 avril, après plus de trois semaines de grève de la faim, j'avais échoué dans une clinique d'un quartier très chic de Tunis, la seule qui voulait de moi. Elle est tenue par des sours blanches. La flicaille était là. Elle est toujours là, partout chez elle, comme si le pays lui appartenait. Ils n'ont plus voulu me laisser sortir. Séquestré dans la citadelle, j'entendais du bruit dehors. Cela ressemblait à un film. Tu entends des hurlements. Mais qui hurle? Tu entends des coups. Mais qui frappe? Moi, j'ai toujours eu peur que l'ennemi débarque chez moi, tape ma grosse tronche, m'humilie. Eux, dehors, (je l'ai appris plus tard) se sont lancé dans une bataille rangée contre la police. C'est quelque chose d'incroyable en Tunisie où l'uniforme provoque une innommable frayeur. Sihem Bensédrine (militante et femme de lettre, ndlr) s'était transformée en panthère. Elle leur sautait au visage. Khamais Ksila (opposant politique qui fut incarcéré, ndlr) chargeait comme un taureau. Radia Nasraoui (avocate engagée do

nt le mari est en fuite depuis presque dix ans, ndlr) fut cette sorcière qui lance des youyous. La police a tabassé tout le monde. Ils ont kidnappé deux hommes, les ont battus, puis abandonné dans une forêt loin de Tunis. Mais tous arboraient leurs blessures, leur douleur non plus comme des humiliations mais comme les trophées de ceux qui reviennent du front. Au-delà de la peur, ils ont ce jour-là défié et aplati la créature. Mais moi, je n'étais pas parmi eux. J'étais à l'abri, juste capable de ne pas manger. Maintenant, je voudrais me la couler douce. Boire du vin et rentrer ivre mort à 7 heures du matin. Et prendre le large.

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