Dissidents chinois divisés sur l'Omc
La normalisation briderait les moyens de pression.
Par ROMAIN FRANKLIN
Libération, le mercredi 24 mai 2000
Imaginez qu'on vous donne un permis de conduire pour la vie, sans risque de sanction... au bout de quelque temps, vous vous mettriez à conduire comme un chauffard , expliquait voilà quelques semaines le dissident chinois Wei Jingsheng aux congressmen américains qui l'avaient invité sur Capitol Hill. »Eh bien, poursuivait-il, si vous votez pour accorder le PNTR (le statut permanent de partenaire commercial normal, ndlr) au régime communiste chinois, cela reviendra à lui accorder un tel permis de conduire... La Chambre des représentants américaine doit se prononcer aujourd'hui sur l'octroi de ce statut à la Chine. Un vote important puisque le PNTR est indispensable pour valider l'accord bilatéral d'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), conclu en novembre dernier.
Marchandage. Wei Jingsheng, dont les auditions au Congrès sont devenues routinières, s'est efforcé de convaincre les membres de voter non. Il brosse le portrait d'une Chine communiste dangereuse qu'il compare à l'Allemagne nazie des années 30. En bref : un adversaire qui ne comprend que les rapports de force. Pour lui, Washington ne doit pas se départir de ce moyen de pression que constitue le renouvellement annuel des clauses commerciales américano-chinoises, les NTR (»relations commerciales normales , qui s'appelaient voilà peu encore »statut de la nation la plus favorisée , ou MFN).
Pékin, qui a vendu 82 milliards de dollars de produits aux Etats-Unis en 1999, est donc incité à modérer ses instincts répressifs. Wei, qui a passé dix-huit ans dans les camps de travail et en prison, en sait quelque chose. C'est aux interventions américaines qu'il doit sa libération (en 1997) - comme d'ailleurs la plupart des dissidents chinois exilés. Certes, les NTR ont été renouvelées chaque année ; Bill Clinton a même déconnecté en 1994 la question des droits de l'homme du renouvellement de cette clause : il demeure que la Chine ne veut pas prendre le risque de voir ses exportations imposées au taux fort.
Echange de bons procédés. Certaines personnalités américaines, tel l'ancien président de la chambre de commerce américaine à Hong-kong, John Kamm, s'étaient même fait voilà quelques années une spécialité de négocier le nombre de dissidents libérés avant le renouvellement du MFN, en arguant auprès de Pékin qu'il fallait toujours davantage de libérations pour s'assurer un vote majoritaire au Congrès ; en échange, Kamm s'engageait à convaincre les congressmen de voter en faveur du renouvellement du MFN en arguant des »progrès de la Chine en matière de droits de l'homme. Cet échange de bons procédés, pour utile qu'il était, aboutissait à entériner un certain cynisme que des associations de défense des droits de l'homme ne se sont pas privées de dénoncer.
D'autres militants prodémocratiques en exil aux Etats-Unis appuient le point de vue véhément de Wei Jingsheng. Wang Xizhe, qui à l'instar de Wei a connu les prisons du régime pendant dix-huit ans, ou bien encore Harry Wu, qui a fréquenté le laogai (camp de travail) pendant dix-neuf années. »L'expérience nous a démontré que la seule chose qui importe réellement aux dictateurs chinois, plaidait ce dernier, c'est l'accès au marché capitaliste américain. Pour le militant syndicaliste Han Dongfang, basé à Hong-kong, le PNTR ne fera que »perpétuer l'exploitation des travailleurs chinois par les investisseurs américains qui, du fait que le débat annuel aura disparu, ne sentiront plus la pression de l'opinion publique .
La mise en place d'un système économique capitaliste renforce-t-elle une dictature, ou bien contribue-t-elle à promouvoir les libertés individuelles ? De plus en plus de voix dissidentes penchent, elles, pour la seconde proposition. Le leader étudiant Wang Dan (exilé aux Etats-Unis), le dissident Bao Tong (en résidence surveillée à Pékin), le leader d'opposition hongkongais Martin Lee, le dissident Wang Juntao (exilé aux Etats-Unis) ou encore la militante de l'environnement Dai Qing (qui vit à Pékin), tous se disent persuadés que les aspects rétrogrades du régime communiste se dissoudront dans l'ouverture économique sans précédent qu'entraînera l'entrée de la Chine dans l'OMC. Le chef spirituel et temporel du Tibet, le Dalaï-lama, qui vit en exil, partage aussi cette analyse. »La première des choses à faire, c'est de briser le monopole de l'Etat , expliquait ce mois-ci Dai Qing, qui a purgé plusieurs années de prison pour s'être opposé à la répression du mouvement de Tianan men, en 1989. »Et pour ce faire, n
ous avons besoin d'un marché plus libre et de la libre concurrence de l'OMC , ajoutait-il.
Casuistique. »Nous apprécions les efforts de nos collègues et amis qui se soucient du respect des droits de l'homme, expliquait ce mois-ci Bao Tong au Washington Post, mais cela ne sert à rien d'utiliser le commerce comme moyen de pression... ça ne marche pas. Voire... car rien n'est simple, pourtant, dans ce vieux débat de casuistique. Le fait est que Pékin, pour amadouer les congressmen avant le vote sur le PNTR, a fait plusieurs gestes. Entre autres, le régime communiste a recommencé à fournir des informations sur ses prisonniers politiques après une longue interruption, et a libéré par anticipation fin avril un dissident du Printemps de Pékin de 1989, Chen Lantao (36 ans) sept ans avant la fin de sa peine de 18 ans de prison
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