REUTER - 13/3/95
Par Jean Louis DOUBLET
BRUXELLES Les relations entre le Canada et l'Union européenne sont au plus mal après la décision prise lundi par les Quinze de geler leurs contacts formels avec Ottawa tant que le navire de pêche espagnol arraisonné jeudi dernier ne sera pas restitué et alors que le Canada doit en principe imposer des mesures de rétorsions commerciales à l'UE le 27 mars.
L'affaire de l'Estai, le bateau de pêche espagnol arraisonné dans les eaux internationales le 9 mars par les gardes côtes canadiens et immobilisé depuis à Saint Jean de Terre Neuve, est venue alourdir un climat déjà tendu non seulement sur le front de la pêche mais aussi des relations commerciales.
Les Canadiens avaient annoncé fin février une augmentation à compter du 27 mars des droits de douane sur plusieurs produits en provenance de l'UE (parfums, vodka, verre, chaussures de femme) faute d'avoir obtenu des -compensations suffisantes à l'élargissement de l'Union européenne à l'Autriche, la Suède et la Finlande.
La décision prise par les Quinze lundi de geler leurs relations formelles avec Ottawa tant que l'Estai ne sera pas restitué, ne va pas faciliter les choses pour tenter d'éviter d'ici le 27 mars la mise à exécution de ces menaces, a indiqué lundi à l'AFP un responsable de la Commission européenne.
Première conséquence de cette décision, une réunion entre haut fonctionnaires canadiens et européens qui devait se tenir mardi à Paris mardi a été reportée.
Mais les ambassadeurs des Quinze auprès de l'Union européenne n'ont pas évoqué lors de leur réunion mardi d'éventuelles sanctions commerciales contre le Canada pour répondre à l'arraisonnement de l'Estai.
"Nous ne voulons pas envenimer les choses", a précisé un diplomate européen. Madrid a cependant de son côté évoqué une possible rupture de ses relations diplomatiques avec Ottawa.
Mais le conflit risque rapidement de se porter sur le terrain juridique. Les Canadiens s'appuient sur une loi nationale qui leur permet d'arraisonner les navires sous pavillon de complaisance qui pêchent dans les eaux internationales des poissons dont les stocks sont menacés.
Cette loi a été étendue par un amendement aux navires espagnols et portugais car ceux ci ne respectent pas les clauses des accords internationaux comme l'OPANO (Organisation des Pêches de l'Atlantique Nord Ouest) qui engagent les Etats signataires à tout mettre en oeuvre pour protéger les stocks menacés dans les eaux internationales, fait on valoir à la mission canadienne auprès de l'Union européenne à Bruxelles.
Les Quinze et la Commission européenne rétorquent que l'arraisonnement de l'Estai dans les eaux internationales est contraire à toutes les dispositions du droit de la mer.
"Le Canada a indiqué que la Cour Internationale de Justice de La Haye n'est pas compétente dans cette affaire. Cela montre la faiblesse de la position canadienne", a affirmé le porte parole de la Commission Klaus Van der Pas lundi.
La Commission juge également que le Canada a "forcé" le vote lors de la réunion de l'OPANO à Bruxelles en février dernier. Il y avait été décidé de n'octroyer aux navires des Etats membres de l'UE en 1995 que 3.400 tonnes de prises sur un total de 27.000 tonnes de turbot (ou flétan noir), ce poisson que l'Estai pêchait au large des Grands bancs de Terre neuve au moment de son arraisonnement.
"C'est absurde. Il y a des votes au sein de l'OPANO régulièrement et l'Union européenne n'a été soutenue que par les trois Etats baltes et la Pologne alors que la Corée et le Danemark (qui siège individuellement à l'OPANO pour le Groënland) se sont abstenus et les autres membres ont soutenu notre position", souligne Elizabeth Mundell de la représentation canadienne auprès de l'UE.
L'OPANO regroupe quinze membres. Le Canada, la Bulgarie, la Corée, Cuba, le Danemark, l'Estonie, l'Islande, le Japon, la Lettonie, le Lituanie, la Norvège, la Pologne, la Roumanie, la Russie et l'Union Européenne.
Le Canada est cependant prêt à négocier pour que la quarantaine de navires espagnols et portugais qui pêchent régulièrement au large de Terre Neuve dans les eaux internationales puissent avoir accès sur une période transitoire au quota canadien de turbot (soit 16.300 tonnes), a souligné Elizabeth Mundell.
Mais elle a démenti que cette proposition puisse porter le quota pour les navires de l'Union européenne à plus de 40% des 27.000 tonnes comme cela a été avancé de source communautaire.