DEFIS-SUD - Mars 1995
1 marzo 1995
Eddy PENNEWAERT (entretien, Bruxelles, février 1995)
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SOMMARIO. Lunga intervista, nel corso della quale Emma Bonino chiarisce la linea su cui intende ancorare la sua attività come Commissario agli Aiuti Umanitari. Si dichiara soddisfatta perché il settore ha assunto autonomia e segnala i rischi di una distorsione "politica" del problema a seguito della differente valutazione che può essere fatta dei vari casi, dalla Cecenia all'Africa, un continente che sembra aver perso oggi di interese "politico". Auspica una maggiore visibilità per la ECHO, perché questo è un diritto del consumatore europeo, che deve poter sapere dove vadano a finire i suoi soldi. Mette in guardia contro le possibili distorsioni dovute all'informazione e analizza pregi e problemi della collaborazione con le ONG.
Le nouveau Commissaire européen en charge de l'aide humanitaire (et de la pêche), Madame Emma Bonino, ne va pas par quatre chemins dans ses déclarations. Son franc-parler est pour le moins inhabituel dans les hautes sphères administratives et politiques où la "diplomatie", cette forme officialisée de l'hypocrisie et de la prudence maladive, est trop souvent de mise. L'Europe du marché commun, pour cette Italienne issue du Parti radical et du monde associatif, c'est bien, même très bien mais, rappelle-t-elle, ses pairs ne l'ont pas envoyée à Bruxelles uniquement pour traiter des questions de courgettes et d'aubergines! Alors, va-t-on retrouver aux commandes de l'aide humanitaire européenne cette infatigable militante des campagnes de dépénalisation de l'avortement, des luttes contre le nucléaire, des actions contre la faim dans le monde et pour la défense des droits humains? L'Europe, c'est un grand rêve: celui de la paix. Un rêve presque réalisé, ajoute Madame Bonino, impatiente de construire la suite. Il
faudra cependant dresser le bilan le moment venu. Ce n'est pas en début de mandat - l'érosion de la machine Europe commence seulement - que l'on peut juger de la qualité et des résultats d'une politique, d'une équipe. Tout au plus, pouvons-nous aujourd'hui acter les intentions et les projets, les encourager et espérer y participer. Car les projets d'amélioration et de visibilité de madame Bonino sont...très séduisants.
Défis-Sud : n'aurait-il pas été plus cohérent pour la Commission de placer sous une seule autorité toutes les questions liées à la coopération au développement plutôt que de les avoir divisées en trois portefeuilles?
Emma Bonino : c'est plutôt positif d'avoir rendu l'aide humanitarie autonome. D'abord, parce que l'Europe n'intervient pas seulement dans les pays en voie de développement. Citons en exemples l'ex-Yougoslavie ou encore la Tchétchénie. En matière d'aide humanitaire, il est malheureusement prévisible que dans les prochaines années apparaissent de nouveaux protagonistes, issus de conflits dans l'ex-Union soviétique. Les différents dossiers, d'une part de l'Amérique latine et de la Méditerranée, et d'autre part des pays ACP, sont répartis selon l'extension géographique de nos interventions et les particularités régionales des problèmes posés. Cette division garantit aussi plus d'efficacité.
D-S : Les relations entre la Communauté européenne et les pays ACP semblent, sur le plan budgétaire, sinon se dégrader, en tout cas stagner...
EB: A l'époque où l'on concevait encore que le monde était divisé en deux blocs politiques, l'Afrique pouvait aisément jouer la carte stratégique des alliances. La valeur de certains pays se mesurait alors à l'importance de leur position géographique et au prix à payer pour qu'ils rejoignent l'un ou l'autre camp.
L'importance de certains pays d'Afrique dépendait essentiellement de leur attitude par rapport aux deux blocs et du poids de leur passé colonial. Après la chute du mur de Berlin, tout a changé. Le monde a cessé d'être bipolarisé, et l'Afrique a disparu de la priorité politique des pays puissants. Elle risque même aujourd'hui de disparaître de toute priorité. Les pays méditerranéens, pour d'évidentes raisons, ont beaucoup plus d'importance aux yeux des Européens. Quelques pays africains resteront présents sur la scène internationale car ils sont riches en matières premières ou conservent une importance stratégique, comme l'Afrique du Sud.
Mais je crains bien que le reste de l'Afrique ait perdu aujourd'hui toute importance politique ou économique immédiate. En matière de politique, on ne fait, hélas, jamais de projections à moyen ou long terme. L'intérêt se porte sur les pays de l'Est ou ex-soviétiques, "politiquement et économiquement" plus importants aujourd'hui.
DF: L'aide humanitaire dans les pays de l'Est ou de l'ex-Union soviétique, est-ce avant out pour l'Europe, une façon indirecte d'entretenir ses relations publiques ?
EB: Au cours de l'année 1994, avec le programme ECHO, les pays de l'ex-Union soviétique ont perçu 11.9% de l'aide totale. Je voudrais pouvoir mettre l'accent sur les crises oubliées, des catastrophes orphelines. Aujourd'hui, l'aide humanitaire est très concentrée: en 1993/1994, elle allait principalement à l'ex-Yougoslavie et aux pays ACP, un peu, pour les autres. Enfin, le Rwanda est entré dans la course. En 1995, la répartition sera différente vu que la crise en Tchéctchénie va entraîner des dépenses. Personnellement, je voudrais que l'on s'occupe beaucoup plus des crises orphelines. Tout le monde se précipite, certes là où il faut et c'est nécessaire, mais il y a aussi un incontestable effet médiatique. Prenons l'exemple de l'Afghanistan: le public a presque oublié l'existence de ce pays!
D.F. : Songez-vous à donner moins d'importance aux situations de crise, d'urgence...?
E.B.: Non! Les situations d'urgence sont importantes et doivent le rester, mais elles ne se situent pas seulement là où se trouve la CNN...Le cas du Soudan: on y fait de toutes petites choses pour le moment. Et pourtant, si on n'intervient pas sérieusement au Soudan de façon, dirais-je, "préventive", c'est là que la prochaine explosion aura lieu. Mon ambition est de donner à l'aide humanitaire l'importance qu'elle mérite, mais pas uniquement lorsque les crises occupent la une des journaux.
D.S.: Crises de plus en plus nombreuses...Espérez-vous disposer pour cette politique d'un accroissement de moyens ou bien envisagez-vous une réorientation de l'affectation budgétaire existante ?
E.B.: L'aide humanitaire a déjà été augmentée de sept fois. Je crains beaucoup une fatigue des donateurs. Voici quatre ans, nous avions pour l'aide humanitaire 114 millions d'écus. Aujourd'hui, on atteint 764 millions d'écus. Or, il est évident, et ceci sans cynisme, que ni l'Europe et les Etats-Unis n'auront jamais les moyens de soigner toutes les blessures du monde. C'est peut-être plus difficile, mais je suis convaincue que c'est plus "rentable" de les prévenir. De toutes façon, il est impossible de tout financer. En Tchétchénie, quelles sommes colossales ne faudrait-il pas pour un tel désastre? Le problème est donc moins d'augmenter les moyens financiers de nos actions que de mettre en place une politique différente. Mais c'est d'abord un problème de ressources humaines. Pour gérer 764 millions d'écus, ECHO dispose de soixante-dix personnes. L'année dernière, ECHO a géré quelque mille contrats. Une telle masse de travail demande un suivi sérieux de vérification et de coordination pour pouvoir répondre, e
n premier lieu, de l'usage de ces fonds devant le citoyen européen. Cela ne peut pas se réaliser correctement avec soixante-dix fonctionnaires.
D.S.: Augmenter les effectifs, sous-traiter ou renoncer ?
E.B.: Je ne souhaite pas trasformer ECHO en agence d'aide directe. Il est plus important - mais ce n'est pas un engagement définitif - de développer le rôle de la cordination et de la prévention. Les Etats membres font de toute façon de l'aide humanitaire bilatérale. Quand une crise est à la une des journaux, tout le monde se précipite et plus personne n'est en mesure de coordonner la demande et les nécessités. Les Etats membres, les ONG et d'autres, arrivent tous avec leur bonne volonté et parfois des produits qui seraient beaucoup plus utiles ailleurs. Il n'y a personne pour coordonner au niveau international, pour établir les priorités de l'aide humanitaire, évaluer ce qui est utile à un moment donné, dans une région donnée. De la farine au Rwanda ou à Sarajevo? Le rôle de ECHO devrait plus être celui-là, au lieu de devenir une agence d'aide directe sur le terrain. Peut-être le simple fait de mesurer les envois ou l'absence d'envois, ici ou ailleurs, pourrait-il faire l'objet d'un débat démocratique et pu
blic?
D.S.: La presse, vous ne manquez pas de le souligner, est un acteur important...
E.B.: Un acteur presque fondamental mais, comme tous les instruments, il faut l'utiliser et non être manipulé par elle. C'est toute la différence. L'objectif de la presse est aussi de vendre des journaux ...et nous pouvons aussi tirer parti de cela, mais nos responsabilités et nos objectifs sont autres. La presse doit faire son travail d'information: c'est très bien. Nous, politiciens, nos savons que le Soudan est un vrai problème. C'est à nous d'intervenir, même si la CNN n'est pas encore là. Ce sont des rôles différents.
D.S.: L'aide génère des dépendances, des rapports de force entre donateurs et "assistés", bref tout un système qui cache parfois mal des motivations plus politiques qu'humanitaires..
E.B. : Tout dépend de la gestion de l'aide. Ici, nons ne parlons plus d'urgence. Ainsi, les camps de réfugiés donnent de plus en plus une image de dérapage. Mais si nous avions deux millions de réfugiés à nos frontières, pensez-vous cette situation viable? Par contre, je vois un risque réel, surtout en Georgie et en Arménie. Ces pays ont davantage besoin d'une aide structurelle qu'humanitaire. Reste à savoir si on veut ou non apporter cette aide. Je crains que l'on continue l'aide humanitaire pour échapper à une aide structurelle. L'aide devient alors un alibi. Pour les pays en voie de développement ou les régions en difficultés, le danger est l'inaction économique ou politique. Nous pourrions très bien ne plus avoir la force de développer une aide structurelle, une médiation politique ou une coopération au développement, prétextant que, de toute façon, on apporte déjà une aide humanitaire.
C'est le risque de la bonne conscience. L'alibi. Je veux personnellement mener des missions, être credible, me faire une opinion, me rendre compte si on a déjà dérapé, et prendres les mesures en conséquence. Et si on arraivait à donner à l'aide humanitaire une nouvelle dynamique, qui tienne compte du développement, de la réhabilitation ?
D.S.: Les ONG jouent également un rôle médiatique, sur le terrain, ici...
E.B.: La plupart sont des héros méconnus. D'autres se plantent sur le terrain un peu comme les donateurs. En Europe, les ONG sont pratiquement les seules organisations qui continuent à poser le problème Nord-Sud, ce qui, au niveau politique, n'est pas du tout une priorité. Mais encore une fois, les rôles du politique et des ONG sont différents. Celui des ONG est parfois contradictoire, il est d'ailleurs important de trouver des synergies et de nous entendre. Nous sommes déjà si peu nombreux à nous préoccuper de ces problématiques.
Les expatriés travaillent parfois dans des conditions aussi précaires que celles des personnes qu'ils aident. Dès lors, leur réflexion est très différente des responsables installés à Bruxelles. Cependant, là aussi, il faut faire attention: les expatriés reviennent parfois très extrémisés par ce qu'ils ont vécu, sans voir le reste du spectre. Il faut donc se réunir, créer une médiation politique positive. Nos expatriés doivent former des gens sur place, assurer la diffusion de la connaissance et donc, du pouvoir, de la démocratie. C'est la dynamique du partenariat. Mais parfois les expatriés se constituent en corporation, et entretiennent une relation donateur-bénéficiaire...
D.S.: Et le citoyen européen dans tout cela, pensez-vous qu'il puisse, avec les informations dont on veut bien l'abreuver, mesurer pleinement les enjeux de cette politique de solidarité?
E.B.: Il est temps que l'Europe affiche plus clairement ce qu'elle fait, au moins pour rendre compte de ses dépenses envers les citoyens européens. Il faut que le public sache que si, pour le moment, l'Europe a choisi de soutenir la Croix Rouge dans telle région, c'est parce que celle-ci est la plus efficace là-bas et que son travail est extraordinaire, mais il faut aussi, si tel est le cas, que le public sache que c'est l'Europe qui finance cette action. Il est très important que l'on prenne conscience que l'Union européenne a financé soixante-dix pour cent de l'aide humanitaire en ex-Yougoslavie ces trois dernières années. Personne ne sait cela. Le citoyen européen n'a jamais entendu parler d'ECHO! Il pense que l'aide humanitaire émane surtout des Etats-Unis, ce qui est faux. Il ne sait rien de l'importante part européenne dans le financement des Nations Unies. Pour prévenir une certaine fatigue des donateurs, pour préserver au cours des deux années à venir les moyens nécessaires à notre devoir de solidari
té, il faut que nous affirmions nos résultats et que nous en rendions compte au public. Expliquer que notre devoir de solidarité, nous sommes en train de le remplir, dans certaines limites peut-être, mais que ce n'est en aucun cas un alibi à une inaction politique. Il faut dire tout cela, pour que nous ayons demain encore des moyens, pour que l'inaction politique ne soit pas l'alibi de l'inaction humanitaire. Il faut être très vigilants. Ce n'est pas du narcissisme. D'ailleurs les partenaires le savent très bien, eux qui dépensent un argent fou, souvent le nôtre, pour leur visibilité. Franchement, cela ne peut plus durer. Il faudra que Madame Ogata Sadako (ndlr. Haut commissaire du HCR), Médicins sans Frontières et les autres, prennent bien conscience que c'est aussi leur intérêt. Aux côtés du drapeau des Nations unies, flotte aussi le drapeau européen. C'est ainsi.