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Le Point - 22 aprile 1995
AIDE HUMANITAIRE - LES HEROS ONT DES ETATS D'AME

par Luc Ferry

LE POINT, 22 aprile 1995

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SOMMARIO. Importante analisi dei problemi relativi alle modalità con cui viene esercitata l'azione umanitaria nel mondo, da parte di individui e di associazioni che si dedicano a tale attività. In particolare viene analizzato il ruolo che svolge, come trait-d'union con l'opinione pubblica, la televisione o la presenza dei mass-media. Si discute anche dei rapporti che l'azione umanitaria deve avere con la politica. Documento da tener presente, nel momento in cui grazie all'iniziativa di Emma Bonino l'Ue sta riflettendo sui limiti, le modalità, gli obiettivi del suo intervento.

Parmi les volontaires s'elevent des voix pour contester les formes prises par leur action: un alibi pour les politiques ou l'illusion que l'humanitaire peut tenir lieu de politique?

Etrange retour des choses: il y a peu encore, le projet d'intégrer le souci humanitaire avec la politique pouvait passer pour une belle utopie. La création d'un ministre, puis la codification par l'ONU d'un droit d'ingérence semblaient couronner les efforts de ceux qui, au sein même des organisations non gouvernementales (ONG), avaient depuis longtemps mené la lutte contre le malheur des autres. Mario Bettati, le brillant juriste qui fut au coté de Bernard Kouchner, l'un des pères fondateurs de ce nouveau droit, le soulignait avec une légitime satisfaction : le nombre des ONG à vocation caritative a été multiplié par cent depuis 1970, signe d'un formidable succès, voir d'un espoir nouveau après l'effondrement des derniers grands desseins.

Malgré le travail accompli, les milliards investis et les vies sauvées, le sentiment qui prévaut aujourd'hui est souvent négatif. Tout cela n'aurait servi à rien, ne serait que poudre aux yeux, agitation fébrile et médiatique destinée à dissimuler la passivité de nos Etats du Nord devant les guerres de l'Est ou du Sud. Saddam Hussein est toujour là, Milosevic aussi. Le génocide du Rwanda a eu lieu en directe, presque sous nos yeux et tout laisse penser qu'il va se poursuivre au Burundi. Le conflit bosniaque n'est pas réglé, les combats fratricides reprennent de plus belle en Somalie, après un départ sans gloire des armées de l'Onu. Lassés par des interventions étatiques qui discréditent parfois leur action, des militants de la première heure en viennent dénoncer les prédateurs de l'action humanitaire (Xavier Emmanuelli), voire le crime (Rony Brauman) ou le piège (Jean-Christophe Ruffin), de cet humanitaire impossible (Alain Destexhe).

Tous membres de Médecins sans frontières (MSF), ils s'en prennent à la confiscation de la charité par des Etats plus soucieux de redorer leur blason terni que d'agir efficacement. Tous ils contestent la figure emblématique de Bernard Kouchner: le père fondateur et l'ami de jadis n'a-t-il pas trahi sa propre cause, dévoyé dans la politique et la médiatisation ? Leur diagnostic converge: l'humanitaire n'est pas une politique et c'est illusion, voire mystification, que de laisser croire qu'il pourrait en tenir lieu.

Que des intellectuels, voire des politiques, leur emboîtent aujourd'hui le pas, on le comprend sans peine: les actions caritatives hautement médiatisées sont devenues le symptôme le plus visible d'une société du spectacle dont beaucoup dénoncent les travers. Elles fournissent donc, droite comme gauche, une cible privilégiée, presque un passage obligé pour les contempteurs du monde politico-médiatique. On reproche même à certains hommes d'Eglise d'être plus cathodiques que catholiques. Mais que les piques les plus acerbes proviennent des humanitaires eux-mêmes, voilà qui est plus étrange au premier abord: ne sont-ils pas en train de couper la branche sur laquelle ils sont juchés ? Lisons, titre d'exemple, la première page d'un récent livre d'Alain Destexhe ( L'humanitaire impossibles, Armand Colin), le secrétaire général de MSF international: -Jamais le mot "humanitarisme" n'avait autant fait la Une des journaux. Jamais il n'a été autant célébré, encensé, porté au pinacle. Militaires, politiciens, industriels

, artistes et intellectuels se précipitent à son chevet dans une débauche de bonnes intentions médiatiquement affichées. L'engouement est général... L'ONU en fait une de ses principales préoccupations de l'après-guerre froide. Plus prés de nous, des "reality shows "mettent en scène la solidarité de voisinage et le courage des anonymes. Le public n'a jamais été aussi généreux ni les associations caritatives aussi prospères: ce secteur échappe, pour le moment, à la crise ambiante! Le monde, dans une surenchère permanente de charité, ne sait plus où donner de la tété, du coeur et du porte-monnaie. -Singulier courroux, qui stigmatise les élans dont il se nourrit. Etrange emportement, qui s'en prend à la générosité d'un public qu'il sollicite. N'avons nous pas connu, mémé dans l'Histoire récente, des passions plus funestes ? Que Destexhe se rassure: encore un effort et l'engouement qu'il dénonce aura fait long feu. Les donateurs modestes en auront un jour assez de voir leur geste dénigré, réduit à un souci, somme

toute minable, de s'acheter une bonne conscience peu de frais. Mais aussi incongru ou maladroit qu'il puisse paraître, l'assaut ne saurait être balayé d'un revers de main. Il a le mérite, c'est le moins qu'on puisse dire, d'éviter la démagogie. Il ne provient pas d'un intellectuel en chambre, mais d'un médecin qui a participé à de nombreuses missions sur le terrain et qui parle au nom d'une des plus importantes organisations humanitaires. Il faut donc essayer de comprendre.

Le livre d'Olivier Weber ( French doctors, Laffont), qu'on dévore comme un bon roman, rendra ici de précieux services. Aussi étrange que cela puisse paraître, l'histoire concrète de l'action humanitaire contemporaine n'avait jamais été conte. Il est vrai qu'il fallait pour cela prendre son temps, se donner la peine d'un réel travail. C'est maintenant chose faite, avec talent qui plus est, et, me semble-t-il, objectivité. Certains ne manqueront sans doute pas de reprocher à Weber ses partis pris kouchneriens . Mais il a pour cela de solides arguments, qu'il donne avec clarté et conviction. Chacun, s'il le souhaite, pourra les contester, et son livre a le mérite d'ouvrir le débat avec loyauté. On y percevra, en tout cas, par quels cheminements l'humanitaire en est venu s'associer si étroitement aux médias et à la politique, s'exposant ainsi aux critiques qui en contestent aujourd'hui jusqu'à la légitimité. Le temps est venu d'examiner ces critiques, de tenter d'en cerner la portée exacte. Le jeu en vaut bien l

a chandelle en cette époque où, tout compte fait, les utopies ne sont pas légion.

Les noces de l'étique et des médias: une fausse charité ?

Si la vertu de charité ne vaut que par le désintéressement qui l'anime, comment serait-elle compatible avec le narcissisme et les bénéfices secondaires tirés de la médiatisation? Sous diverses formes ( propos du bénévolat, par exemple), la question ne cesse de hanter les organisations caritatives. Au point que MSF, sous l'impulsion de Claude Malhuret, finira par adopter en assemble générale (1979) une motion stipulant que le fait d'appartenir MSF ne peut en aucun cas servir d'élément de promotion personnelle -. A l'époque, chacun sait bien dans la salle qui est visé: Bernard Kouchner, bien sur, et son projet de mener le tapage médiatique autour des boat people, ces malheureux qui fuient alors le Vietnam et traversent la mer de Chine dans des conditions réellement atroces. De cet épisode aujourd'hui historique, Weber nous conte le récit par le menu: car c'est sur ce point (déjà) que MSF va éclater en deux factions. D'un côte, Malhuret, Emmanuelli, Brauman, Charhon; de l'autre, Kouchner et les siens, souvent l

es anciens du Biafra. Au-delà des personnes (et il y en a beaucoup d'autres, bien sur). Au-delà des intrigues et des querelles de générations, ce sont, comme le dira Emmanuelli, deux cultures qui s'affrontent, parce qu'elles ne mesurent pas l'importance des médias la même aune. Pour Kouchner, le seul moyen d'agir est d'alerter l'opinion publique: il faut dans l'urgence réunir les fonds nécessaires pour affréter un bateau, l'Ile de lumière, qui deviendra un hôpital flottant, mais aussi un symbole. Il faut faire pression sur les gouvernants afin qu'ils accueillent les rescapés. Un prestigieux comité de soutien est réuni, où figurent artistes et intellectuels célèbres. Sartre et Aron se retrouvent à l'Elysée pour défendre le projet. Le sens de cette réconciliation est, à l'époque, hautement symbolique: ceux qui ont soutenu le Vietnam communiste se lèvent pour sauver des boat people... martyrs du régime victorieux! Ils acceptent de côtoyer enfin des anticommunistes de toujours, ceux mêmes qu'on traitait de - ch

iens il y a peu! Soljenitsyne est passé par là.

Xavier Emmanuelli, lui, est hostile à cette agitation, qu'il juge avec une sévérité sans appel: il publie dans Le Quotidien du médecin un article intitulé Un bateau pour Saint-Germain-des-Prés où il dénonce, entre autres, ce large cercle de mondains, marquis, mandarins, précieuses et autres faiseurs d'opinion des petits cénacles parisiens. Mis en minorité, Kouchner ira réaliser son projet ailleurs. Avec succès: la précision est importante. Il quittera l'organisation qu'il a tant contribué à faire exister. De là naîtra Médecins du monde.

Quinze ans après, Emmanuelli persiste et signe: le fameux bateau servit surtout selon lui ouvrir un nouveau genre aux télévisions, inaugurer un nouveau spectacle héroïque: la fiction-reportage chaud. Le bateau pour le Vietnam est bien arrivé destination: il a raconté une oeuvre grandiose et généreuse, frayé un chemin pour d'autres créations, il a promu ses armateurs. Il est bien arrivé Saint-Germain-des-Prés. Mais vient aussi cet aveu, qu'il faut citer mot pour mot, et qui, au final, plaide largement en faveur du choix fait par Kouchner: -Probablement, la présence du bateau pour le Vietnam, chargé de journalistes, de télévisions, d'agences de presse et de photographes en exclusivité, et de quelques médecins, put-il influencer les comportements, sauver de nombreuses vies et inciter les politiques de tous bords se montrer sur l'écran dans une surenchère de générosité... N'était ce pas là, très exactement, le but recherché?

Par où l'on voit que, dans cette première objection, les termes de la balance ne peuvent pas, sérieusement, être mis sur le même plan: d'un côte, le péché individuel de narcissisme; de l'autre, la nécessité objective, concédée par les critiques eux- mêmes, d'alerter une opinion publique seule capable en démocratie de secouer l'inertie des gouvernants. Faut-il, pour éviter l'un, renoncer à l'autre et de quelle pureté se prévaloir pour jeter ainsi la première pierre ?

Ah! le sac de riz porté par Kouchner aux enfants somaliens! Comme il tombe bien! Et dans quelle consternation ravie il plonge tous les vertueux qui, depuis belle lurette, avaient posé leur diagnostic: cet homme en fait trop! Nos évêques, si prompts aujourd'hui à condamner les excès de zélé, ne s'y sont pas trompés: réunis en assemblée plénière, ils ont, eux aussi, vigoureusement dénoncé la sécularisation et la médiatisation de la charité (Le Monde du 16 avril 1994). Chacun son rôle!

Mais soyons francs: si c'était de nos enfants qu'il se fût agi, si ce sac de riz leur était destiné parce qu'ils mourraient par milliers, aurions-nous tant fait la fine bouche? De toute évidence, le problème est ailleurs, et l'objection, pour frappante qu'elle soit, n'a guère de valeur face aux nécessités bien réelles de la loi du tapage. Et contrairement à une opinion reçue, cette fameuse loi ne date pas d'hier. Sans le formidable succès médiatique du livre d'Henri Dunant, Un souvenir de Solferino, la Croix-Rouge n'aurait sans doute pas vu le jour. Voici ce qu'écrivait déjà, à la fin du siècle dernier, Gustave Moynier, qui fut, un demi-siècle durant, son président: -Les descriptions que donnent les journaux quotidiens placent pour ainsi dire les agonisants des champs de bataille sous les yeux du lecteur et font retentir à ses oreilles, en même temps que les chants de victoire, les gémissements des pauvres mutilés qui remplissent les ambulances. -Mais sans doute la critique de la médiatisation dépasse-t-elle

les considérations morales, pour contester, plus en profondeur, une certaine vision sentimentale du monde.

L'émotion contre la réflexion": une fausse philosophie ?

Comme la télévision sur laquelle il s'appuie, l'humanitaire médiatique fait appel à l'émotion plus qu'à la réflexion, au coeur davantage qu'à la raison. A l'instar des reality shows tels que le Téléthon ou la Journée du sida, il serait un spectacle avant d'être une analyse, une savante mise en scène de bons sentiments , une dose convenable d'images culpabilisantes s'avérant propres à ouvrir la voie de la compassion et du portefeuille des plus réticents. Concédons, puisqu'il le faut, la nécessité du tapage mobilisateur. Mais l'émotion ne vaut pas démonstration, et, une fois passé le choc des photos, que reste-t-il dans les têtes? Quelle compréhension un tant soit peu sérieuse des causes réelles, culturelles, historiques ou politiques du 4 malheur des autres ? L'humanitaire médiatique excite la compassion du public en désignant à sa pitié des victimes abstraites , toutes interchangeables. La souffrance n'est-elle pas universelle? Au nom de l'émotion, il nous ferait perdre l'intelligence du contexte géographiq

ue et historique. L'arrière-fond de cette seconde objection ne saurait échapper: il ne s'agit plus seulement de dénoncer le narcissisme ou même la superficialité des médias, mais, bien au-delà, les dangers d'un règne de l'émotion en politique. De bons intellectuels ne cessent d'y insister: le primat du sentimental sur l'intelligence serait le fait des régimes fascistes, qui réclament l'adhésion sans discussion ni réflexion à des valeurs ou à des leaders charismatiques, pour ne pas dire à des Führer. La raison et l'esprit critique, cette distanciation que ne permet pas, justement, l'image, sont leurs ennemis naturels. L'humanitaire serait-il un fascisme doux?

La critique semble implacable. Elles passe, tout simplement, à côté de l'essentiel. Historiquement, en effet, l'idée d'assistance humanitaire s'inscrit dans l'héritage de la Déclaration des droits de l'homme. Or cette Déclaration repose, c'est même là tout son apport, sur l'idée que les hommes possèdent des droits, abstraction faite de leur enracinement danstelle ou telle communauté particulière - ethnique, nationale religieuse, linguistique ou autre. Voilà pourquoi l'humanitaire ne considère en effet, que des victimes abstraites Mais loin qu'il s'agisse d'un effet pervers, c'est son essence et sa grandeur qui sont en jeu: en sécularisant la charité, il l'étend au-delà des solidarité traditionnelles. Fort heureusement, il ne choisit pas les victimes, comme le faisaient les formes anciennes de l'assistance, en raison de liens communautaires qui nous unissent à elles, et c'est pourquoi le contexte lui est, au moins dans un premier temps, indifférent. Ce qui n'interdît pas, mais sur un autre plan, d'analyser

les situations, voire de condamner les coupables.

A cet égard, l'intervention en Somalie, malgré l'échec politique et militaire que tous soulignent aujourd'hui à juste titre, est exemplaire. Aucune solidarité communautaire ne nous relie aux Somaliens. Aucun intérêt économique ou stratégique ne fut vraiment décisif. C'est bel et bien sous la pression de l'opinion publique, via CNN, que l'opération a été déclenchée. On peut le regretter, mais n'est-ce pas là le lot des démocraties ? On ne voit du reste, dans l'histoire de l'action humanitaire depuis des millénaires, aucun autre exemple d'intervention qui soit exempte de toute solidarité de type traditionnel, ethnique, religieux ou autre. C'est là un phénomène qui mériterait d'être analysé plutôt que tourné en dérision - ce qui, bien entendu, n'excuse en rien les lenteurs, les erreurs monumentales, voire les fautes commises par l'armée. Il faut en tirer les leçons. Mais l'échec politique et militaire ne doit pas conduire à occulter le succès humanitaire. Il y a trente ou quarante ans encore, les Somaliens sera

ient sans doute morts au complet dans l'indifférence la plus totale. Plusieurs centaines de milliers furent sauvés. Et, de ce point de vue, le rôle de l'émotion n'est-il pas, tout bien pesé, indispensable? L'exemple du Rwanda montre pourtant qu'il est insuffisant.

L'alibi de l'inaction et de la lâcheté:

une fausse politique ?

On l'aura dit et répété à satiété: l'humanitaire n'est pas une politique. Il existe, d'évidence, une logique qui est celle des Etats qui ne font pas, comme chacun sait, dans les bons sentiments, mais plutôt dans la puissance et la force. La découverte , à vrai dire, n'est pas neuve. Hobbes, au XVII siècle déjà, l'avait dit, et tant d'autres après lui. Mais elle génère, contre l'humanitaire en politique, suspect d'accréditer l'illusion d'une politique morale, une série d'objections dont la présence est si fréquente dans les médias qu'on se contentera de les rappeler: en déculpabilisant les citoyens à bon compte (un petit chèque suffit), l'humanitaire

-les détourne de l'action réelle, qui est d'abord politique, puis diplomatique et militaire; bien plus, il risque, en s'attaquant aux effets plutôt qu'aux causes, de prolonger les conflits et, par là même, les misères qu'ils engendrent; une fois sur le terrain, il sert d'alibi à l'inaction des Etats, comme on l'a vu en Bosnie, où nos Casques bleus, censés séparer et protéger les populations en guerre, en devinrent des otages; l'humanitaire d'Etat, inefficace, menace ainsi l'humanitaire privé, qu'il discrédite auprès de ceux qu'il entend secourir;car, fausse politique, il est aussi une fausse justice et un faux droit. Non seulement l'ingérence est contraire au sacro-saint principe de la souveraineté des Etats et fait craindre à certains le retour d'un colonialisme déguisé, mais, en outre, les interventions qu'elle prétend légitimer sont arbitraires: pourquoi la Somalie ou l'Irak et pas le Tibet ou le Soudan? N'y a-t-il pas, d'évidence, deux poids et deux mesures?

Là encore, les choses ne sont pas si simples qu'il y paraît. Gardons-nous de confondre dans le même opprobre une sélectivité voulue, qui serait indécente, et une sélectivité imposée par la nécessité. Gardons-nous, surtout, de l'illusion selon laquelle il faudrait supprimer la diplomatie humanitaire pour redonner toute sa place à une diplomatie traditionnelle. Il n'est pas sûr (et c'est un euphémisme) que l'humanitaire soit concurrent du militaire. Qui croit sérieusement qu'en Bosnie, par exemple, nos Etats européens seraient davantage intervenus sans l'action humanitaire, que c'est à cause d'elle qu'ils sont restés silencieux?

Ces objections, qu'il faudrait discuter plus longuement, ont en tout cas le mérite de mettre l'accent sur la vrai difficulté: comment concevoir, désormais, des rapports convenables entre humanitaire et politique? Les confondre totalement, d'évidence, est impossible: les partis pris des Etats, quels qu'ils soient, risquent de mettre en péril l'action des organisations privées, et c'est pourquoi, du reste, la Croix-Rouge inventait, il y a près d'un siècle et demi, le principe de la neutralité.. Les séparer totalement et, pour marquer symboliquement cette séparation, supprimer le ministère de l'Action humanitaire ? Ce serait à nouveau renvoyer la politique au cynisme, et la morale au seul domaine privé. Erreur funeste en des temps où, plus que jamais, les citoyens expriment la volonté de voir leurs aspirations éthiques prises en compte, c'est-à-dire représentées par l'Etat. Il faudra donc, dans l'avenir, articuler les deux sphères: car s'il est vrai que l'humanitaire n'est pas une politique, il est tout aussi e

xact qu'une politique démocratique ne saurait faire l'économie de l'humanitaire.

 
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