PROCEDURE BUDGETAIRE POUR 1978: LE PROJET DE LA COMMISSION
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlernent examine l'avant-projet de budget de la Communauté, présenté par la Commission pour l'exercice financier 1978.
Ce débat constitue l'une des phases parlementaires de la procédure d'élaboration du budget, dans laquelle le Parlement représente une des deux branches de l'autorité budgétaire. Les phases parlementaires s'achèvent normalement par quatre débats en séance plénière, à savoir:
1.L'examen de l'avant-projet de la Commission, 2. l'examen du projet du Conseil, 3. la première lecture du Parlement, 4. la seconde lecture du Parlement et l'adoption définitive du budget.
Comme on le verra lors de certains discours de Spinelli, ces phases ont été parfois précédées d'un débat de caractère général sur les orientations financières de la Commission et du Parlement pour le budget suivant.
Altiero Spinelli a été, pendant cinq ans (1977-1981), l'un des principaux protagonistes de la politique budgétaire du Parlement européen: les étapes les plus significatives de son activité dans ce domaine sont celles relatives à l'élaboration des propositions sur les ressources propres de la Communauté (Spinelli proposa en septembre 1979 la constitution d'un groupe de travail ad hoc, dont il fut nommé président, et rapporteur du rapport d'ensemble élaboré par ce groupe de travail et adopté par le Parlement le 9 avril 1981), celles relatives à la position du Parlement européen sur la politique des emprunts et des prêts dans la Communauté (il fut le rapporteur de la commission économique et monétaire et de la commission des budgets en 1978, 1979 et 1980); et, enfin, celles relatives à l'élaboration du budget de la Communauté pour 1982 (il fut le rapporteur général du Parlement en 1981). In "Discours au Parlement européen 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, 7 juillet 1977)
Monsieur le Président, l'ouverture de ce débat budgétaire revêt, comme l'ont souligné divers orateurs, une importance particulière, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, en présentant le budget, la Commission a eu le courage de dire qu'elle l'aurait formulé en unités de compte européennes, bien que le Conseil n'ait pris aucune décision formelle dans ce sens, afin d'inciter celui-ci à le faire. En outre, la, Commission, en décidant de se fonder sur les ressources propres, exerce une certaine pression sur les Etats membres. Enfin, ce débat est important aussi en ce sens qu'il porte sur un des rares domaines dans lesquels le Parlement dispose de pouvoirs réels, fussent-ils limités. Il s'agit donc de montrer que le Parlement dispose de certains pouvoirs dont il peut faire usage.
On a célébré ici le mérite de quelques protagonistes de la vie politique européenne et, notamment, de mon ex-collègue, M. Cheysson, qui a préparé tous les projets, mais je tiens aussi à rendre hommage à notre Président Spénale qui a conduit le Parlement avec ténacité et courage tout au long de cette lutte difficile. C'est grâce à lui aussi que notre débat d'aujourd'hui prend une dimension différente.
Permettez-moi donc de faire certaines remarques en ce qui concerne les recettes budgétaires.
La première est la suivante: nous disposons désormais d'une réserve d'augmentation des fonds communautaires constituée par la partie non utilisée de 1% de l'assiette de la TVA, ce qui représente cette année environ 1 milliard 600 millions. Certes, dans ses prévisions triennales, la Commission considère que cette somme augmentera, mais les actions nouvelles et, donc les dépenses y afférentes ne sont pas prévues.
Nous arrivons à la limite des possibilités d'utilisation de nos ressources propres au moment même où nous en disposons. Il suffira de quelques »bourrasques sur les prix agricoles, pour qu'une bonne partie en soit absorbée. Si - comme je l'espère - la Communauté parvient à se mettre d'accord sur l'institution d'un fonds destiné à des mesures de reconversion, demandé par M. Ortoli, ces ressources subiront une nouvelle érosion.
Or, comme la Communauté se fonde sur un système fiscal véritablement archaïque dépourvu de tout principe d'équité qui obligerait les plus riches de chaque pays à payer proportionnellement plus que les pauvres, je souhaite qu'au cours d'un de ses débats, l'Assemblée invite formellement la Commission à mettre à l'étude l'application d'un article du traité qui prévoit justement la possibilité d'instaurer d'autres formes d'impôts et de doter la Communauté d'une fiscalité plus rationnelle et plus équitable que celle existant à l'heure actuelle.
Je voudrais maintenant passer au chapitre des dépenses. Si l'on tient compte de la mission, de la vocation de la Communauté telle qu'elle est définie dans nos débats et dans nos déclarations, on relève une contradiction flagrante entre ce qu'elle devrait être et ce qu'elle est réellement, entre les problèmes auxquels nous sommes confrontés et ceux que nous traitons en réalité.
Au regard des problèmes économiques importants et épineux que la Communauté devrait résoudre, l'action de celle-ci, traduite en chiffres, se révèle vraiment marginale, à une seule exception près, qui ne concerne même pas la politique agricole à proprement parler, c'est-à-dire la politique d'orientation, de transformation et d'aides à l'agriculture (laquelle est, en effet, traitée en parent pauvre, à l'instar de la politique de l'énergie, de la politique sociale, etc.). En fait, la seule politique qui ait une importante particulière, est la politique des prix agricoles, qu'il faut pourtant distinguer de la politique agricole.
Au moment de sa prise de fonction, la présente Commission avait annoncé qu'elle concevrait la politique agricole d'une façon différente. Je m'attendais à ce que qu'elle traduise, d'une manière ou d'une autre, cette volonté en termes de budget et que, en marge des observations pertinentes de M. Aigner selon lesquelles la Communauté exerce des tâches dont il convient de décharger les gouvernements nationaux, car elles seront mieux exécutées au niveau communautaire, elle fournisse une analyse des priorités et fixe les ressources financières qui doivent lui permettre de s'acquitter des tâches que nous avons évoquées, par exemple, juguler l'inflation, relancer les investissements, assurer la reconversion, résorber le chômage, promouvoir la recherche, réorganiser l'agriculture, éviter des fluctuations brusques des prix agricoles et aider les pays en vole de développement. Toutes ces tâches relèvent principalement de la compétence des gouvernements, mais pour que se mette en branle un processus d'intégration, il fa
ut qu'une partie de ces actions soient menées au niveau communautaire et non plus national.
Si nous avions présenté les choses de la sorte, nous ne serions pas taxés de gabegie ni accusés de vouloir accabler les citoyens d'impôts et de charges supplémentaires. Dans ce cas nous aurions répliqué aux gouvernements: c'est vous qui refusez de réduite certaines dépenses, bien que vous reconnaissez qu'elles doivent être effectuées en commun.
Or, il n'en a rien été; c'était pourtant la seule façon de faire comprendre pourquoi le budget de la Communauté doit avoir une certaine dimension et fixer certaines priorités.
Pourquoi cela n'a-t-il été fait? Les raisons sont essentiellement au nombre de deux: tout d'abord, parce que nous sommes suffoqués par les dépenses du FEOGA, car, après toutes les critiques possibles dont ont fait l'objet les dépenses de la politique agricole, les règlements subsistent, les engagements existent et doivent être maintenus. Il faut donc prévoir des sommes déterminées; après les avoir affectées on s'aperçoit qu'une bonne partie d'entre elles ont déjà été utilisées et que l'on n'a plus guère ni l'envie ni le courage d'en demander davantage.
Je conçois que l'on ne puisse changer le système du jour au lendemain. C'est pourtant une des questions à propos desquelles le Parlement devrait faire savoir à la Commission et au Conseil qu'il exige un changement de cap. De quelle manière? Par exemple, en refusant, lors de la prochaine période de session de septembre, de voter le budget si auparavant la Commission n'a pas présenté les critères fondamentaux du changement et si le Conseil n'y a pas apporté son adhésion de principe, sans pour autant exiger que les règlements relatifs aux prix agricoles aient été modifiés. Il ne s'agirait pas encore d'un changement effectif, mais nous saurons au moins qu'il existe un programme réel pour une refonte de la politique agricole et pas seulement des paroles en l'air.
Si nous nous contentons des bonnes paroles prononcées par M. Gundelach, dont je ne mets point en doute la bonne foi, car je le connais fort bien et je sais ce qu'il pense de la situation actuelle, nous perdrons la bataille et nous nous retrouverons l'année prochaine avec un budget dans lequel prédominera le système actuel, sans aucun changement de la politique agricole. Or, si les parlements, en se prévalant de leurs instruments de pouvoir et d'influence sont parvenus à imposer leur volonté, on ne voit pas pourquoi notre Parlement ne devrait pas adopter une position ferme.
La deuxième raison de cette étroitesse de vue réside dans le fait que la Commission, qui redoute que les sommes inscrites puissent paraître trop élevées et hésite à dire aux gouvernements de réduire certains postes de leurs dépenses, s'est contentée d'inscrire des »pour mémoire . Je conçois que l'on inscrive un »pour mémoire lorsqu'au cours d'un exercice donné, on ne doit pas procéder à une dépense, mais que l'on veut rappeler qu'elle sera effectuée au cours de l'exercice suivant. Mais je ne comprends pas que l'on inscrive un »pour mémoire lorsque, par exemple, le Conseil a décidé de donner à la Communauté la possibilité d'émettre des emprunts à concurrence d'un demi-milliard pour couvrir d'éventuels déficits budgétaires. Dans ce cas, la Commission aurait dû répliquer qu'elle n'a pas encore épuisé ses crédits, mais qu'elle les a inscrits parce qu'elle prévoit qu'ils seront nécessaires.
Je ne le comprends pas, alors que la Commission a déjà saisi le Conseil de propositions dans le secteur industriel, dans celui de l'aéronautique, de la politique de l'informatique, secteurs dont nous avons discuté de long en large, étant donné leur importance capitale. Pourquoi donc se contenter de »pour mémoire , alors qu'il existe des programmes ambitieux et sérieux comme celui - auquel je souscris sans réserve - exposé par M. Ortoli au Conseil et pour lequel il a demandé la possibilité d'émettre des emprunts destinés à des actions de reconversion structurelle.
Le budget actuel présente certaines innovations, mais il s'agit encore, pour une large part, d'un budget comptable. Il est essentiellement dépourvu de ce dynamisme réclamé par toutes les parties, y compris par nous, qui est indispensable à la mise en oeuvre d'une véritable politique communautaire.
J'espère que nous pourrons corriger certains défauts au cours du débat, mais il est essentiel de mettre le Conseil et la Commission au pied du mur et de dire que nous entendons engager un processus de révision, non pas pour démanteler la politique agricole, mais pour l'assainir.
Les collègues de langue allemande qui auront eu hier le temps de voir à la télévision les sacs de farine et les bidons de lait qui s'accumulent l'un après l'autre grâce à cette politique auront eu une idée de ce que sera, au-delà de toutes prévisions, le coût de la politique des prix laitiers.
Voilà quelques observations fondamentales sur la nature du budget dont il convient de tenir compte à ce stade de la concertation avec le Conseil.