PROCEDURE BUDGETAIRE POUR 1980: PREMIERE LECTURE DU PARLEMENT EUROPEEN
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlement européen vote en première lecture les modifications au projet de budget élaboré par la Commission et adopté par le Conseil en septembre. Spinelli indique dans son intervention les exigences fondamentales formulées par le Parlement pour que le budget puisse être accepté et, corrélativement, les conditions qui amèneront l'Assemblée à rejeter le projet dans la phase finale de la procédure. In "Discours au Parlement européen 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 5 novembre 1979)
Monsieur le Président, je parle au nom des communistes et apparentés italiens. Je ne vous rappellerai pas, Monsieur le Président, ni à mes collègues, les critiques sévères et motivées que nous avons adressées au projet de budget de la Commission, tout d'abord et du Conseil, ensuite, mais je voudrais que vous tous sachiez que nous n'avons pas renoncé à ces critiques, qu'elles sont à la base de notre position et qu'elles motiveront notre manière de nous comporter. Nous avons demandé dans le cours des discussions au sein de la commission des budgets que, dans la mesure du possible, des modifications de fond soient apportées, sans oublier les responsabilités que le Parlement et la Communauté doivent affronter. Le Parlement doit s'efforcer, avec toute son autorité, de mettre le Conseil et la Commission devant ces responsabilités, vu que les projets que ces dernières institutions ont présentés ne semblent pas s'inspirer d'une vision de ce genre.
D'après nous, la position prise par notre collègue M. Dankert est inacceptable, car à une grande stupeur, il nous a dit que pour les prochaines années, il ne faut pas compter sur une augmentation de nos propres ressources, car le gouvernement allemand n'en veut pas, le gouvernement français n'en veut pas, et d'autres gouvernements non plus. Par conséquent, tout ce que l'on pourra faire, ce sera de déplacer les dépenses d'une partie à l'autre, en particulier chercher à enlever une certaine somme de dépenses agricoles pour l'affecter ailleurs. Il nous semble que cette position n'est pas conforme aux problèmes qui se posent à nous.
Nous avons apporté une contribution que je crois non négligeable aux travaux de la commission des budgets, pour essayer de donner au budget vraiment un autre aspect, pour éviter que la commission des budgets ne propose au Parlement de se contenter d'un peu de saupoudrage - comme on dit en français -, de »Taschengeld - comme le disait le Conseil dans un de ses documents semi-réservés -, c'est-à-dire de quelques concessions à faire ici et là sur tel ou tel poste. Je dois dire que nous avons réussi en partie à obtenir ce que nous voulions, et en partie nous n'avons pas réussi, mais je voudrais présenter à nouveau ce cas d'une manière générale au Parlement, afin d'essayer de convaincre, du moins ici, les collègues d'accepter la notion d'un budget qui ne soit pas la simple correction du budget qui nous est présenté par le Conseil.
Je voudrais tout d'abord faire deux brèves remarques sur deux points. L'un d'eux concerne les dépenses obligatoires et la ligne du budget relative aux bonifications du SME: le Président du Conseil est venu nous redire pour la troisième fois - et évidemment sans avoir fait attention aux réponses qu'il avait eues, que le caractère obligatoire ou non obligatoire des dépenses ne peut être décidé par le Parlement lui-même, ne peut être décidé par une Institution elle-même, que les dépenses pour les bonifications pour le SME doivent être considérées comme obligatoires car elles concernent des engagements qui doivent être tenus de toute façon. Monsieur le Président du Conseil, mais qui vous autorise à penser que le Parlement est moins sérieux que le Conseil, que le Parlement ne sait pas que les engagements doivent être tenus? Cela n'est pas un argument valable. Le fait est que les dépenses obligatoires - et je vous répète, Monsieur le Président du Conseil, ce que je vous ai déjà dit en commission - ne sont pas des
dépenses pour lesquelles il suffit d'une définition ou simplement une décision prise par la Commission ou par le Conseil. Les dépenses obligatoires - stipule le Traité - sont des dépenses qui découlent du Traité: les bonifications SME découlent-elles du Traité? Non. Les dépenses obligatoires sont des dépenses découlant d'actes découlant eux-mêmes des Traités: ces bonifications découlent-elles d'actes découlant eux-mêmes des Traités? Non. Elles ne sont pas des dépenses obligatoires et vous n'avez donc pas le droit de les considérer comme telles. Pour reprendre une phrase que le meunier disait à Frédéric le Grand: »à Berlin, il y a des juges , je répéterai moi aussi que dans la Communauté il y a des juges, au cas où vous décideriez arbitrairement que ces dépenses sont obligatoires.
Quant au taux maximum, je ne voudrais rien ajouter à ce qu'a déclaré le commissaire Tugendhat. Il est vrai que le taux maximum est un point de départ, toutefois, Monsieur le Président du Conseil, vous devriez penser qu'il y a eu un premier Traité dans lequel on disait: »exceptionnellement on peut dépasser ... et un deuxième Traité dans lequel le mot »exceptionnellement a disparu. Cela signifie quelque chose. Cela signifie, comme l'a dit le commissaire Tugendhat, qu'en cas de nécessité, il faut le dépasser.
Je voudrais en venir aux problèmes fondamentaux sur lesquels nous nous sommes arrêtés. En ce qui concerne les recettes, nous avons demandé qu'on indique - dans un commentaire vigoureux, politiquement motivé - dans le poste des recettes que nous invitons la Commission à présenter des propositions pour que d'ici à la fin de cette année, le plafond imposable de la TVA augmente de 1 à 1, 5 % et pour que l'on commence à préparer une nouvelle loi de finances de la Communauté non pas sur l'augmentation des impôts, mais sur la répartition d'impôts différente entre les pays membres et la Communauté. Cette loi devra être discutée avec le Parlement et non pas avec les fonctionnaires des ministres des finances des différents pays.
Nous avons constaté avec plaisir - et nous retirons donc notre proposition devant celle de la commission des budgets - que cette proposition a été acceptée par le Commissaire Tugendhat et par notre collègue Notenboom.
Cette Communauté a effectivement besoin de plus d'argent pour faire plusieurs politiques, pour faire des politiques plus complexes. Totutefois, nous ne voulons pas faire payer plus aux citoyens, nous voulons que les fonds soient mieux dépensés, par des actions communes au lieu d'opérer isolément.
Au sujet du problème de l'agriculture, nous avions demandé un certain déplacement des fonds du FEOGA - garantie pour le lait en faveur des réformes structurelles de l'agriculture. Sur ce point, ce sera notre collègue Mme Barbarella qui parlera au nom du groupe, c'est pourquoi je ne m'étendrai pas, mais dans son principe, ce que nous avons demandé a été accepté, bien qu'il ne l'ait pas été à cent pour cent. Je voudrais ensuite souligner une chose aux collègues Dankert et Taylor afin qu'il n'y ait pas d'équivoques. Le problème n'est pas que l'on dépense trop pour l'agriculture. Le problème, c'est que l'on dépense mal. Nous devons penser que si dans le secteur agricole nous dépensons plus que dans d'autres secteurs - et ce que disent continuellement les commissaires et les collègues est vrai - il faut tenir compte que nous avons une agriculture intégrée et que pour la politique de l'organisation des marchés, les Etats ne dépensent plus rien, étant donné que cette politique est entièrement à la charge de la Comm
unauté. Le problème n'est pas que l'on dépense trop, il est que l'on. dépense mal; car on dépense de façon à créer des excédents qui entraînent des dépenses inutiles et qui s'accroissent. Nous devons mieux utiliser ces fonds et je voudrais attirer l'attention de tous, en particulier des collègues qui craignent qu'en touchant à cette dépense, on détruise la politique agricole, sur le fait que la commission des budgets ne vous propose pas d'enlever quelque chose à la politique agricole pour le mettre, disons, dans la politique nucléaire, industrielle ou énergétique. Nous désirons la maintenir dans la politique agricole, mais au lieu de la maintenir pour soutenir artificiellement les prix, nous voulons faire des réformes structurelles justement pour aider ceux que notre politique erronée a poussés dans une fausse direction. Cela a été dans l'ensemble accepté et cela nous fait plaisir. Pour les politiques structurelles, c'est la demande de la commission pour la politique régionale que nous soutenons qui a été ac
ceptée.
Egalement ce point sera examiné par un autre collègue: je ne m'y arrêterai donc pas. En ce qui concerne l'ensemble des politiques structurelles, nous avions demandé, pour les secteurs dans lesquels est évidente la nécessité d'une politique communautaire plus puissante, la formation d'une réserve globale. Il nous semblait que la Communauté avait besoin d'une somme minimale qui, à notre avis, s'élevait à environ un milliard d'U.C. à dépenser en quatre ans, pour chacun des secteurs précités. Nous affirmions ainsi la notion que la politique de la Communauté ne peut être faite année par année, mais qu'il faut savoir programmer une certaine période, et par conséquent, nous proposions l'affectation d'une somme globale dont une modeste partie seulement sera dépensée la première année.
La commission des budgets ne nous a pas suivis sur ce point et elle préfère suivre une politique différente, c'est-à-dire qu'elle a accepté toute une série de propositions que nous avons approuvées dans l'ensemble, car, bien que positives, elles ne constituent qu'une modeste partie de ce qui est nécessaire et ne répondent pas à la nécessité de poursuivre une politique d'ensemble puissante. C'est pourquoi, non seulement nous disons que nous présentons à nouveau cette proposition et que nous l'appuierons encore, même avec des amendements. Mais nous vous demandons à vous tous de réfléchir avant de dire non, de réfléchir avant de repousser notre proposition. Ne pensez pas que ce premier Parlement élu à une époque de crise de l'énergie, de crise sociale et de crise industrielle, puisse seulement avoir une vision vague des problèmes. Il peut aussi dire: »Messieurs de la Commission, Messieurs du Conseil, faites un programme pour les prochaines quatre années avec ce montant; à condition que vous suiviez une politiqu
e cohérente, vous pourrez compter sur l'appui du Parlement. C'est ainsi que nous devons parler pour manifester notre volonté de suivre une certaine politique et sinon nous laisserons échapper l'une des plus grandes occasions qui se présentent à notre Parlement en ce moment.
C'est pourquoi, je voudrais vous inviter tous, chers collègues, à réfléchir au sujet des votes des prochains jours et sur la façon de faire avancer la discussion. Il ne faut pas se laisser obnubiler pas ceux qui disent que l'on doit économiser, car de cette façon on fait dépenser plus à nos Etats, et on rend impossibles des politiques qui sont, au contraire, nécessaires. Chaque jour nous constatons la nécessité de politiques communes et à chaque fois nous disons: malheureusement, nous ne sommes pas préparés. Voilà la bonne occasion pour dire: le Parlement affirme qu'il est possible d'aller dans cette direction. La commission des budgets n'est pas d'accord et c'est pourquoi nous vous en parlons et nous espérons avoir un écho favorable, plus favorable que celui que nous avons rencontré auparavant. Est-ce trop demander? Je dirais que non. Je me souviens de ce que disait le parti populaire européen il y a à peine quelques semaines de cela, à savoir qu'il votera contre tout budget qui, à cause de l'insuffissance
des crédits, ne serait pas un instrument politique efficace et ne contribuerait pas à surmonter la crise de la Communauté. Eh bien, pensez-y, chers amis du parti populaire. Egalement les socialistes sont venus nous dire par le discours de M. O'Leary, qu'il ne se contentaient pas de petites choses de peu d'importance, et qu'il voulaient des choses substantielles. Les socialistes ont convaincu la commission sociale de déclarer que si on restait dans le domaine des petites choses de peu d'importance, ils auraient voté contre, et qu'à la commission des budgets, ils auraient invité à voter contre le budget. Cela est écrit dans nos documents et le rapporteur de la commission des budgets viendra nous le dire. En demandant cela, nous ne demanderons pas trop. Nous arrivons peut-être à 1 % de la TVA, vu que si nous dépassions ce pourcentage, on pourrait nous dire que le budget n'est pas acceptable. Nous n'avons pas dépassé la limite mais nous ne voulons pas que l'on dise que la réserve ne doit être destinée qu'aux fol
les dépenses de la politique agricole. Elle doit être utilisée pour des politiques sérieuses et donc préparons-nous rapidement à trouver les nouvelles ressources. La formule que propose la commission des budgets et que le commissaire Tugendhat a dit considérer d'une manière favorable, consiste en une mesure d'urgence, rapide, qui soit une soupape de sûreté pour les prochaines années; il s'agit de maintenir telle quelle la loi sur le pourcentage de la TVA et de modifier simplement le chiffre en passant de 1% à 1,5 %. C'est là une chose pour laquelle - si la volonté existe - il ne faut pas trois ans, mais seulement six mois -. Selon les solutions adoptées pour ces problèmes, on saura si la Communauté désire se développer ou se cantonner dans la résignation.
Aux démocrates-chrétiens, aux socialistes je voudrais dire que le moment est arrivé de montrer qu'effectivement nous voulons une Communauté qui ait le sens de ses responsabilités et qui l'ait aussi en ce qui concerne le budget. Nous ne fuyons pas devant nos responsabilités. L'absence de responsabilité se trouve dans le projet du Conseil car grâce a ce dernier on veut maintenir - devant un système qui a besoin d'une Communauté forte - une Communauté languissante. Pour ces raisons, Monsieur le Président, même si nous constatons avec plaisir que dans ce budget quelque chose a été corrigé, nous estimons que l'essentiel ne l'a pas été, qu'il manque aussi de puissantes politiques de développement. J'avais oublié une dernière chose au sujet de laquelle j'ai eu une réaction négative de la part de la commission des budgets. On était sur le point de voter une sérieuse et forte contribution à la coopération avec les pays en vole de développement, et notre commission a rejeté cette proposition. Pendant le même temps on
discutait dans cette enceinte de la faim dans le monde. C'était pourtant l'unique manière de répondre sérieusement à la faim dans le monde, au lieu de voter des résolutions. Plus qu'un devoir à l'égard de ceux qui dans le monde souffrent de la faim, il est de notre intérêt de les aider car une reprise de nos économies ne pourra se produire, cette fois-ci, que si l'on s'efforce d'enrichir le monde et non seulement nous-mêmes. Si nos propositions qui pourraient vraiment changer l'allure du budget ne sont pas acceptées, nous ne pourrons pas voter ce budget et nous inviterons le Parlement à le repousser.