PROGRAMME D'ACTIVITE DE LA COMMISSION PRESIDEE PAR ROY JENKINS, POUR 1980
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlement examine le programme de la Commission pour 1980, dernière année de la présidence de Roy Jenkins. Dans son intervention, Spinelli reprend les thèmes développés lors des premiers mois d'activité du Parlement élu en insistant plus particulièrement sur le thème institutionnel, les raisons profondes de la crise de la Communauté, ainsi que sur la nécessité de modifier radicalement les rapports entre Commission, Conseil et Parlement. In "Discours au Parlement européen 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 14 février 1980)
Monsieur le Président, j'interviens au nom des communistes italiens. Je ne m'abstiendrai pas de prendre la parole, car Je crois que nous avons une déclaration à faire, qui peut-être intéressera également la Commission.
Nous ne pouvons pas ne pas exprimer notre profonde insatisfaction à l'égard du programme présenté par la Commission pour 1980, étant donné l'écart immense qui existe entre l'ampleur escomptée de la crise et les propositions qui sont présentées.
D'une part, en effet, M. Jenkins a prédit ni plus ni moins la possibilité d'un effondrement de l'ordre économique et social sur lequel repose l'Europe d'après- guerre. Pour notre part, nous avons la conviction qu'il a entièrement raison: les quelques chiffres qu'il a cités sont réellement impressionnants.
Certes, nul ne peut affirmer que les mesures prises au cours de la seule année 1980 seraient en mesure de modifier le tableau qu'il a dépeint mais, quelles que soient les actions entreprises au cours de cette année, elles doivent toujours être à la mesure du problème: autrement dit, il s'agit d'engager ou de poursuivre avec vigueur des actions dont les effets doivent, par la suite, se faire sentir pendant plusieurs années.
Or ce sont justement les propositions que la Commission entend prendre comme point de départ qui nous laissent perplexes par leur caractère inadéquat et imprécis.
M. Jenkins a raison de considérer le problème de l'énergie comme prioritaire dans les actions à entreprendre par la Commission en 1980. Nous sommes d'accord avec lui lorsqu'il juge qu'il convient, dans les circonstances actuelles, d'engager une politique vigoureuse d'investissement.
Il est juste de dire, d'une part, que la réalisation de cet objectif ne peut être laissée au seul eu du marché et, d'autre part, que la Communauté en tant que telle doit intervenir.
Mais combien de points demeurent obscurs! A aucun moment, il n'a été fait allusion à la nécessité de mettre en oeuvre une politique harmonisée des prix de l'énergie au sein de la Communauté. Or, en l'absence d'une politique communautaire dans ce domaine, il est impossible d'engager d'autres actions, quelle que soit leur nature.
Pas un mot pour nous expliquer qu'un encouragement de la consommation du charbon suppose que l'on se procure le charbon nécessaire au prix le plus bas possible, autrement dit qu'il faut l'importer ou recourir à un protectionnisme poussé pour le charbon communautaire.
Pas une allusion à l'ampleur de l'effort financier que devrait déployer la Communauté pour mettre en oeuvre cette politique massive d'investissement.
Et, pour finir, cette allusion préoccupante au fait que les fonds nécessaires pourraient être réunis par le biais d'une taxe sur la consommation d'énergie ou d'un droit sur les importations d'énergie!
Je me demande où se trouve la logique d'une telle proposition!
L'énergie devient trop chère. Il est d'ores et déjà difficile da faire admettre les augmentations existantes et, dans bien des cas encore, des politiques d'intervention maintiennent le prix de l'énergie au-dessous du seuil d'équilibre entre l'offre et la demande. Et vous proposez de grever encore le coût de l'énergie d'un impôt ou d'un droit?
Il existe un très large éventail d'impôts directs et indirects, pour lesquels on pourrait fixer la part des recettes à transférer au budget communautaire, afin de permettre la mise en oeuvre d'une politique d'investissement adaptée; or ce que vous demandez, ce n'est pas un effort de l'économie dans son ensemble: vous voulez faire peser le coût total là où précisément vous voudriez le voir réduit!
Au moins, en matière d'énergie, M. Jenkins a émis dans son discours une idée, qui est à préciser, voire à corriger, mais qui n'en est pas moins une idée.
Que dire des autres points encore plus graves?
Nous nous sommes demandés, en vain, quels moyens la Commission proposait d'utiliser pour relancer notre économie, et quel rôle incombait en particulier à la Communauté.
Certes, il est nécessaire d'encourager la restructuration ou l'élimination des vieilles industries, de promouvoir la mobilité des capitaux comme de la maind'oeuvre par le biais d'initiatives nouvelles. Il n'en reste pas moins que les mesures législatives et les fonds communautaires consacrés aux politiques structurelles (qu'il s'agisse des politiques sociale et industrielle, de la politique de la recherche, de l'orientation agricole ou de la politique régionale) sont tout à fait insuffisants pour pouvoir contribuer de manière substantielle à un tel développement.
M.Jenkins nous dit que, désormais, il est impossible de dissocier la reprise de notre économie du développement des pays plus démunis et de l'augmentation de la demande.
J'y consens, mais quel engagement minimal la promotion d'un tel développement suppose-t-elle de notre part?
Nous devons envisager des transferts énormes, portant sur les ressources d'une trentaine d'années, en faveur des pays en voie de développement, alors que les fonds prévus à cet effet dans notre budget communautaire et dans les budgets nationaux sont, de toute évidence, dérisoires. A ce sujet nous n'avons pas trouvé l'ombre d'une réponse dans le programme que nous a soumis la Commission.
Or, l'année 1980 présente notamment pour la Communauté comme pour la Commission, la particularité suivante: ce n'est pas un seul budget, mais deux budgets qui doivent être considérés et, par conséquent, c'est à deux reprises qu'il faudra examiner les moyens et les modalités.
Certes, en ce qui concerne le budget 1980, il s'agira essentiellement de profiter du rejet de ce budget pour exercer enfin un contrôle sur les dépenses extravagantes destinées à soutenir les prix agricoles. Nous comptons sur la Commission pour appuyer fortement, dans les projets qu'elle élaborera dans les prochains mois, les propositions concernant les prix et les propositions de corresponsabilité qui, seules, peuvent garantir que toutes les ressources de la Communauté ne seront pas englouties dans le financement du stockage et de l'écoulement des excédents agricoles.
Or, cela ne peut être, en 1980, que le premier pas.
En ce qui concerne le projet de budget 1981, il conviendra de considérer, dans leur ensemble, les dimensions des problèmes auxquels doit faire face la Communauté, afin d'en tirer les conséquences au plan financier.
Je dois constater que la Commission avait promis de présenter, avant la fin de l'année, une proposition concernant l'augmentation des ressources propres; elle a ensuite reporté l'échéance à février; à présent, il semble que ce soit pour juin, comme le laisse penser le mémorandum complémentaire... Ce n'est pas ainsi que l'on s'apprête à faire face aux problèmes qu'a évoqués le Président de la Commission en personne.
Nous comprenons que la Commission n'est qu'en partie seulement responsable de l'imprécision du programme.
La vraie difficulté tient au fait que la Commission n'est pas en mesure de dire, ni même d'imaginer quelle politique le Conseil veut engager dans tel ou tel domaine.
La Commission est tel un avion qui traverse le brouillard sans radar et qui ne sait pas au juste où son vol sans visibilité le conduira.
Telle est la raison profonde pour laquelle ces exercisses annuels de présentation de programmes ont très peu de valeur au plan politique.
Ces réflexions nous aménent au problème constitutionnel. Une fois de plus, M. Jenkins a raison de soulever cette question, mais la façon dont il l'a présentée est tout à fait inadéquate.
Je laisse de côté le rapport des trois »sages ainsi que le rapport de M. Spierenburg. Ils sont tellement en-deçà du vrai problème institutionnel qui concerne notre Communauté qu'il ne vaut pas la peine de s'en occuper.
Le premier problème institutionnel, qui occupe une place essentielle en 1980, réside dans le fait qu'une nouvelle Commission sera nommée à la fin de cette année.
Tout ce que suggère M. Jenkins, c'est que, une fois nommée, la nouvelle Commission se présente à cette Assemblée. Oh, non pour procéder à un vote de confiance, mais pour savoir, en quelque sorte, c'est-à-dire par le biais d'un débat analogue à celui-ci, si elle sera acceptée par le Parlement.
Non, décidément, la nouveauté de la vie démocratique communautaire qui voit le jour exige un peu plus d'imagination.
Dans nos pays, chaque nouveau gouvernement, certes, se présente au parlement, mais il s'agit là d'un acte qui clôt tout un processus d'élaboration de programmes et d'arrangements ministériels qui se traduit par les élections, des congrès de partis, des accords entre partis dans le cas de coalitions (et, au niveau communautaire, nous ne pouvons avoir que des coalitions) et des engagements, sur des programmes, qui lient le gouvernement et le parlement.
Tout ce mécanisme n'existe pas encore au niveau communautaire, on ne se trouve qu'à l'état embryonnaire.
La Commission - qui, en tant qu'»élément moteur au plan politique, est chargée d'élaborer des projets et a un devoir d'initiative pour les politiques à mettre en oeuvre - a toujours été, jusqu'à présent, choisie sans aucun débat préalable, que ce soit au sein du Parlement ou au sein du Conseil, que ce soit sur sa politique ou sur sa composition, et sans engagements aucun de la part du Conseil ou du Parlement, visant à lui apporter son appui dans telle ou telle direction.
Désormais, cette Assemblée composée de représentants légitimes du peuple européen devra exiger qu'avant même que la nouvelle Commission soit formée - et non après -, les gouvernements participent à un débat au sein du Parlement, afin que celui-ci puisse préciser ses exigences à propos de la politique et de la composition de la Commission.
Ainsi, par une procédure de concertation appropriée, il devrait être possible de parvenir à un accord entre le Parlement et les gouvernements et, de cette façon la nouvelle Commission qui verra le jour aura conscience non seulement qu'elle a été nommée pour mettre en oeuvre une politique déterminée, mais aussi que le Conseil et le Parlement se sont engagés à l'assister dans la réalisation de sa tâche.
Telle est la nature des propositions que nous présenterons à la présente Assemblée en lui demandant de délibérer assez rapidement afin qu'en 1980, avant la nomination de la Commission, et non après, en 1981, le Parlement puisse montrer que désormais souffle sur la Communauté un vent nouveau, plus démocratique que par le passé.