PROCEDURE BUDGETAIRE POUR 1980: SECOND PROJET DU CONSEIL
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Ici commence, l'ultime étape, qui s'achèvera le 9 juillet, de la bataille engagée par le Parlement européen sur le budget 1980 et sur la réforme de la politique financière de la Communauté, bataille qui verra triompher la myopie budgétaire des gouvernements et de la Commission. "La conclusion à tirer aujourd'hui - affirme Spinelli à la fin de son discours ne doit pas nous pousser à la résignation, mais a préparer une autre stratégie de lutte, une autre bataille plus vaste que celle que nous avons menée jusqu'à présent". In "Discours au Parlement européen 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 26 juin 1980)
C'est dans cet esprit que Spinelli envoya à ces collègues la lettre suivante, en y joignant le discours prononcé devant l'Assemblée, le 21 mai 1980.
»Chers collègues,
au cours du débat du 21 mai 1980 à Strasbourg, en répondant au rapport du Président du Conseil, M. Colombo, j'ai soulevé le problème de la responsabilité que le Parlement doit assumer pour faire sortir la Communauté de l'impasse ou elle se trouve.
Mon discours n'ayant pu être écouté par les collègues absents et n'étant disponible dans l'arc-en-ciel que dans la langue dans laquelle il a été prononcé, je me permets de vous en envoyer une copie dans une des langues que vous connaissez.
Dans les semaines successives à ce débat, le Conseil a bien réussi à trouver un compromis difficile sur le problème de la contribution britannique au budget, sur les prix agricoles 80-81 et sur le projet de budget 1980.
Mais ne nous leurrons pas. Les solutions trouvées ont toutes un caractère provisoire. Ni la définition d'une politique agricole plus équilibrée que l'actuelle, ni l'introduction d'un système de ressources plus équitable, ni le développement de politiques communes structurelles et conjoncturelles n'ont été abordés.
Avec ses institutions, procédures et compétences actuelles, la Communauté est condamnée à passer de crises en crises de plus en plus fréquentes, et paralysantes. Ceci au moment où non seulement l'économie, mais aussi la politique étrangère de la Communauté ont besoin de se développer avec continuité, plénitude et doivent pouvoir compter sur un large consensus populaire.
Le Parlement européen ne peut, en ces circonstances, se borner à déplorer l'inefficacité des autres institutions, en continuant à émettre toutefois des avis sur ce qu'elles font.
Je suis convaincu que le Parlement européen doit:
- ouvrir un grand et fort débat sur la crise institutionnelle de la Communauté; le conclure en formant un groupe de travail "ad hoc" qui lui prépare un projet des réformes institutionnelles nécessaires;
- discuter et voter ce projet en lui donnant la forme précise d'un projet de traité modifiant et intégrant les traités actuels;
- en proposer formellement la ratification aux parlements nationaux de la Communauté
Il ne serait pas sage de vouloir, dès maintenant, prédéterminer la forme et le contenu des compromis nécessaires entre courants politiques et nationaux différents. Le Parlement est, de par sa nature, le lieu les plus approprié où ces compromis peuvent être cherchés et trouvés dans une perspective européenne et dans celui d'une somme algébrique des diverses perspectives nationales.
S'il y a des députés qui soient parvenus, comme moi, à la conviction que la réforme des institutions communautaires est devenue chose trop sérieuse pour être laissée dans les mains des hommes d'Etat et des diplomates, je les prie de répondre à cette lettre et d'accepter de participer à des rencontres où nous pourrions étudier ensemble les voies nécessaires pour engager le Parlement européen dans cette action.
J'ai envoyé cette lettre aux collègues dont les groupes ou fractions de groupes sont favorables à l'unification démocratique de l'Europe.
Altiero Spinelli
Monsieur le Président, lorsque le 13 décembre dernier, nous avons rejeté le budget, nous avons Justifié notre geste par quatre raisons essentielles. Tout d'abord, les dépenses de garantie agricole devaient être contrôlées: il était donc nécessaire d'assurer un meilleur équilibre entre les dépenses agricoles et les autres, exigence que ne respectaient pas les propositions du Conseil. Deuxièmement, les nouvelles politiques devaient connaître un développement bien plus grand que ne les prévoyait le Conseil dans son projet. De plus, les opérations de prêts et emprunts devaient être inscrites au budget. Enfin il est inutile de préciser que les fonds destinés alors à aider, non pas les Britanniques, mais plutôt les Italiens et les Irlandais, ne constituent pas - quoi qu'en dise la Commission des dépenses qui émanent d'obligations du Traité et, par suite, n'ont par le caractère de dépenses obligatoires.
A partir du moment où la Commission, et surtout le Conseil, ont adopté un certain comportement, je suis amené à me demander si, par hasard, ces messieurs de la Commission et du Conseil ne seraient pas allées à l'école de notre collègue M. Pannella pour y apprendre l'art de l'obstructionnisme. En effet, alors que la Commission pouvait présenter sa nouvelle proposition et son nouveau budget dans un délai de quinze jours, elle a attendu deux bons mois. De même, alors que le Conseil aurait pu ensuite émettre assez rapidement son avis et dire sur quels points il était d'accord avec le Parlement, il a attendu six bons mois.
Après cet obstructionnisme qui nous a mis au pied du mur et nous a placés dans une situation telle que le budget communautaire ne sera opérationnel que pour le dernier semestre, que se propose de faire le Conseil?
Les dépenses destinées à soutenir les prix connaissent une augmentation d'un milliard cent millions d'unités de comptes: ainsi, leur part dans le budget passe à 74 %, contre 70 % en 1978 et 72 % en 1979.
S'agit-il d'un pas en avant, d'un début de restauration de l'équilibre budgetaire?
Bien sûr, quelques maigres concessions ont été faites. Une modeste taxe de coresponsabilité a été instaurée - qui demeure toutefois insuffisante pour jouer le rôle de frein - et, lorsque au cours d'une longue procédure de concertation, nous avons demandé au Conseil de prendre un engagement commun afin de commencer à mettre en oeuvre, dans le cadre de la procédure prévue pour le budget 1981, les mesures destinées, à mieux contrôler et à rééquilibrer le budget, le Conseil s'y est refusé en alléguant que ses bonnes intentions suffisaient.
En ce qui concerne les dépenses structurelles, le Conseil nous avait offert puis refusé - deux cents millions de plus. Ignorant totalement ce qui s'est dit et répété, il repropose à présent les mêmes deux cents millions. A vrai dire, la somme proposée est de deux cent quarante, mais lors d'une de ses réunions, le Conseil a déclaré clairement, en recommandant de ne pas en informer le Parlement - or on sait combien il est difficile de garder un secret! - qu'il ne revenait pas sur la somme de deux cents millions. Seulement, suite aux événements exceptionnels survenus en Afghanistan, au Cambodge, et je ne sais plus dans quel autre pays, quarante millions sont venus s'ajouter à titre d'aide à ces pays. Il faut prêter assistance aux Cambodgiens, aux Afghans, et ainsi de suite, mais à la politique communautaire, non!.
Celle-ci ne doit pas dépasser ce niveau!
En ce qui concerne le caractère non obligatoire de certaines dépenses, le Conseil a découvert que c'est la Commission qui légifère au sein la Communauté. Ensuite, M. Tugendhat est venu nous raconter des choses insoutenables auxquelles s'applique naturellement pour le Conseil, le principe du caractère obligatoire des dépenses.
Tout cela s'inscrit dans le cadre d'une déclaration, rebattue maintes fois par le Conseil, selon laquelle, pendant deux ans, la quote part de TVA destinée à la Communauté demeurera inchangée. Autrement dit, mes chers collègues, cela signifie que, même l'an prochain - du fait de projections qui peuvent être effectuées dès maintenant, et qui, peut-être la Commission pourra-t-elle nous le dire ont déjà été entreprises -, nous pourrons rester dans les limites fixées, en effectuant seulement des coupes sombres - tout en prenant garde, toutefois, que le dépenses obligatoires ne soient pas réduites: en effet, celle-ci doivent être maintenues telles quelles, peut-être augmentées de quelques milliards, comme cela se fait d'année en année! Ces coupes sombres affecteront la politique régionale, la politique sociale et la politique industrielle. Tels sont les pas en avant réalisés par le Conseil!
Dans sa proposition de résolution. M. Dankert déclare que, même si les objectifs n'ont pas été atteints, quelque chose a néanmoins été fait. La commission des budgets a, en outre, refusé à la majorité quelques amendements que nous défendions, ainsi que des collègues du Groupe socialiste, et par lesquels nous demandions qu'il soit précisé dans le commentaire au poste du FEOGA qu'au cours de la procédure concernant le budget 1980, la Commission devait proposer - et le Conseil adopter - les mesures destinées, comme requis, à restructurer et à rééquilibrer le budget.
Puisque nous avons la possibilité de mentionner dans le commentaire qu'il s'agit là d'une condition pour l'exécution de ces dépenses, la majorité de la commission a pensé que le Conseil en avait déjà trop fait pour qu'on puisse lui demander encore cela. Nous représenterons cet amendement, de même que nous représenterons aussi un amendement que la commission des budget n'a pas voulu accepter, et nous nous souviendrons, dans le commentaire y afférent, que nous considérons certaines dépenses comme non obligatoires. Nous voulons que ce soit intégré dans ce cadre, et non pas dans la résolution, parce que cette
dernière exprime seulement l'avis du Parlement. Une fois approuvé, le budget est un acte communautaire et c'est dans ce cadre que doit figurer ce qui est obligatoire, ou ce qui ne l'est pas. Nous pouvons le faire: il dépendra de nous qu'on le fasse ou non.
Pour toutes les raisons que je viens d'énoncer, nous n'avons pas envie d'approuver la proposition de résolution de M. Dankert qui donne au contraire à penser que même si nous n'avions pas eu tout ce que nous désirions, nous aurions obtenu tout le même diverses choses assez importantes. En ce qui concerne les amendements, nous avons collaboré jusqu'à présent, espérant que la résolution serait fortement critique. Nous avons également voté un grand nombre des amendements qui n'ont pas été examinés en commission, notamment un grand nombre des amendements, assez raisonnables, présentés par le parti radical. Mais, puisque tout cela s'avère être un ajout marginal et une appréciation qui, finalement, cautionne le projet du Conseil au lieu de le condamner, nous sommes résolus - à moins que quelque idée novatrice ne soit avancée au cours de cette discussion - à nous abstenir de participer au vote des amendements, car il est inutile d'amender un document qui, en soi, ne correspond pas du tout aux besoins de la Communau
té.
Nous aurions aimé que notre commission des budgets, puis le Parlement, nous présentent une résolution qui dise que nonobstant l'attitude du Conseil et en dépit du fait que ce dernier n'a pas résolu lesdits problèmes et s'est refusé de s'engager contribuant à ruiner encore plus la Communauté, nous, nous sentons plus responsables à l'égard de l'avenir de la Communauté que ne montre le Conseil; nous présentons toutefois, cette fois-ci, en milieu d'année, une autre résolution de rejet, par laquelle nous condamnons la conduite du Conseil, et qui doit servir de base au développement d'actions futures.
Dans ce contexte, si la proposition présentée par M. Glinne venait à être acceptée, nous serions prêts à collaborer à l'élaboration d'une brève déclaration qui porte un jugement fondamentalement négatif à l'égard du projet présenté par le Conseil, indépendamment des modifications minimes susceptibles d'être apportées dans ce cadre. Notre jugement est fondamentalement défavorable car ce n'est pas avec 17 millions d'unités de compte dispersées, çà et là qu'il est possible de modifier la nature du budget.
Cela étant dit, je voudrais me tourner notamment vers mes collègues pour les inviter à méditer avec un peu de sérieux sur l'expérience que nous avons faite car il est nécessaire de tirer la leçon des échecs essuyés. Il s'agit d'une défaite du Parlement. Nous sommes venus ici avec la volonté de faire progresser la construction européenne et nous nous sommes efforcés d'user de notre pouvoir pour contraindre la Commission à être plus entreprenante, et le Conseil à être plus à même de prendre des décisions, ce dans l'intérêt du développement de la Communauté. Or nous avons pu constater, notamment au cours de cette procédure, que le Conseil peut se moquer de nous, qu'il peut user des mêmes pratiques qu'il a utilisées pendant des dizaines d'années avec la Commission, comme par exemple laisser passer le temps au lieu d'arrêter une décision puis, au dernier moment, mettant son partenaire au pied du mur, alors qu'il ne reste plus rien à faire que sauver ce qui peut encore l'être, présenter des propositions qui arrive
nt un peu tard, sont insuffisantes et, qui plus est souvent malsaines. Tout cela aboutit fatalement à un état d'immobilisme nuisible à une Communauté qui, au contraire, doit se développer. Il s'agit là d'une attitude assez générale: nous savons que le Conseil ne fait pratiquement pas cas de l'engagement qu'il a pris d'entamer une procédure sérieuse de concertation avant de prendre une décision.
Et déjà, il a commencé à dire qu'il était inutile de se concerter, même si on l'exigeait. De même, nous ne perdons pas de vue que nous avons demandé au Conseil de discuter avec nous de la nomination du Président de la nouvelle Commission. Cette demande figure dans une résolution que vous n' aurez pas oubliée, et qui a été approuvé, à la quasi-unanimité, si ce n'est à l'unanimité de notre Assemblée: nous tenons à être consultés à l'occasion du renouvellement du mandat du Président de la Commission: or le Conseil a décidé de s'abstenir de le faire. Non pas qu'il ait oublié de la faire: il a choisi de ne pas le faire, puis ne réussit pas à prendre une décision sur cette nomination. Outre cette attitude, le Conseil n'agit pas efficacement; il ne sait pas faire avancer les choses; il ne sait pas dire non! Son action est une suite d'improvisations et est superficielle... des improvisations qui demandent des mois et des mois mais qui, finalement, demeurent des improvisations, comme en témoigne sa manière de faire f
ace à la situation angolaise??, ainsi qu'à tant d'autres problèmes réels afférents aux excédents agricoles. Il agit superficiellement, sans objectifs réels.
A mon avis - si nous avons un certain sens de nos responsabilités à l'égard des électeurs -, nous devons nous résoudre, au terme de cette longue expérience budgétaire, à constater que la Communauté va à sa ruine. Elle est arrivée au point où on pourrait reprendre les mots prononcés autrefois, dans un contexte différent, par la Chambre des Lords britannique: Cette Communauté est destinée à »mend or end , autrement dit à évoluer ou à prendre fin; elle ne peut continuer ainsi. Nous ne nous faisons aucune illusion sur le fait que les palliatifs présentés par le trois Sages, ou par le rapport Spierenburg, ne suffisent pas. Les gouvernements envisagent d'ores et déjà une réforme de la Communauté, en rapport également avec notre budget, et nous voyons ce qu'il en est à la façon dont ils présentent les choses. Autrement dit, on se demande si l'on ne réduirait pas la Communauté à une simple association d'Etats coopérant cas pet cas, point par point selon les circonstances, si l'on n'en viendrait pas à une »Europe à l
a carte selon le principe du »juste retour en généralisant de plus en plus la méthode consistant à créer un fonds spécial chaque fois que naît un besoin particulier; on déclare ensuite qu'il s'agit de dépenses obligatoires et le seul Conseil statue à cet égard: ainsi, nous courons le risque de voir la Communauté vidée de sa substance.
Nous sommes d'avis qu'avant qu'il ne soit trop tard, le Parlement doit prendre l'initiative d'engager un vaste débat sur la crise institutionnelle européenne, et non par sur telle ou telle carence de la Commission ou du Conseil. Il doit engager ce débat pour suggérer les réformes à entreprendre et à soumettre à la ratification des parlements nationaux: il convient, en effet, de leur présenter quelque chose de sérieux afin que nous peuples puissent porter un jugement et nos parlements statuer à cet égard.
Je suis donc convaincu que ce rejet du budget a été une bonne expérience, en ce sens qu'il nous a permis de mesurer quelle est notre force lorsque nous sommes unis. Il convient de tirer également parti de cette conclusion qui équivaut à une défaite, ou plus exactement à une victoire de l'immobilisme. La conclusion que nous avons tirée aujourd'hui ne doit pas nous inciter à la résignation mais doit au contraire nous pousser à préparer une autre stratégie de lutte, un autre combat plus vaste que celui auquel nous nous sommes livrés jusqu'à présent.