PROCEDURE BUDGETAIRE POUR 1981: PREMIERE LECTURE DU PARLEMENT EUROPEEN
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlement européen vote en première lecture le projet de budget pour 1981.
La Communauté se trouve désormais au bord de la paralysie financière par suite de l'augmentation incontrôlée des dépenses agricoles et de l'épuisement des ressources propres.
Pendant que le Parlement engage la procédure pour le budget 1981, Spinelli élabore pour la commission des budgets - des propositions d'augmentation des ressources propres, invitant la Commission exécutive (à qui il appartient de présenter formellement la demande d'augmentation des recettes fiscales) à faire preuve de responsabilité, compte tenu du fait que le Parlement européen la jugera en fonction de l'attitude de qu'elle adoptera sur ce point capital.
Il faudra attendre le Conseil européen de juin 1984 pour obtenir des gouvernements et de la Commission qu'ils donnent cette prevue de responsabilité, alors que désormais les caisses de la Communauté se seront pratiquement "vidées", sans qu'un remède approprié n'ait été apporté à cette situation. In "Discours au Parlement européen 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 4 novembre 1980)
Monsieur le Président, si, comme je le crois, le Parlement adopte la majeure Partie ou la totalité des amendements que la commission des budgets lui proposera, nous aurons, à la fin de ce vote, un projet de budget qui correspondra pratiquement à l'avant-projet de budget qui nous a été présenté par la Commission, complété sur certains points. Mais, en ce qui concerne les postes où on est allé trop loin, le commissaire Tugendhat a déjà répondu qu'il ne pourra les accepter, et sa réponse me fait penser à ce vieux gentilhomme, dont parle Sébastien Chamfort, qui avait fait une cour longue et assidue à une dame plutôt réticente; quand la dame était désormais prête à céder, il dit, en raison de son âge - dans le cas de la Commission on doit dire en raison de sa faiblesse politique -: »Madame, ne pourriez-vous pas être vertueuse pendant un quart d'heure encore?
Je crois que c'est là toute la différence entre la proposition que fera le Parlement et celle de la Commission!
Il vaut la peine en revanche d'examiner en détail quelle est la différence entre le projet du Conseil et celui de la Commission qui sera présenté à nouveau jeudi prochain par le Parlement avec quelques petites variantes. Toute la différence réside dans le fait que des dépenses ultérieures auront certainement lieu car les prix agricoles augmenteront, car les coûts de la politique de soutien des prix augmenteront au printemps prochain. La Commission déclare en substance que lorsque ce moment viendra nous ferons un budget rectificatif dans le cadre même du budget. C'est pourquoi ses propositions atteignent presque le plafond maximal. Le Conseil veut en revanche laisser ouverte la possibilité d'un budget supplémentaire. Toute la différence consiste à savoir si, en mars, nous aurons un budget supplémentaire ou un budget rectificatif. J'estime que ce jeu n'est pas très sérieux.
La preuve que les choses sont ainsi est apportée par le fait que lorsque la commission des budgets a, pour souligner que nous voulons contenir les dépenses, proposé - comme M. Adonnino l'a rappelé - une réserve de 2 % des dépenses pour les prix, c'est-à-dire de 254 millions environ, à inscrire sous un autre poste, le Conseil s'est déclaré disposé à prendre ce point en considération. Mais enfin, croyez-vous que lorsque une ménagère qui va faire son marché sort de l'argent de son porte-monnaie pour le mettre dans la poche de son manteau, elle a pour autant réalisé une économie? L'argent est toujours là, et il sera dépensé pour cet objectif déterminé. Je me rappelle - je l'ai déjà déclaré quelquefois devant le Parlement, mais il vaut la peine de le rappeler de temps à autre - avoir très souvent entendu au sein de la Commission, d'abord M. Mansholt et ensuite M. Lardinois, assurer qu'en ce qui concerne les dépenses de soutien des prix, on pouvait même inscrire des montants dérisoires. Cela n'avait, aucune import
ance d'inscrire une chose ou l'autre dans le budget car, de toute façon au moment de payer, il faudrait payer étant donné que les dépenses étaient imposées par des lois communautaires. C'est-à-dire que l'on ferait d'autres budgets. Cela signifie que ces petits déplacements ne servent à rien.
La Commission affirme, et le Parlement espère, rester dans le cadre du budget' et peut-être même des dépenses agricoles. Mais c'est faux, il sera certainement, dépassé. Je crois que tous les parlementaires savent que les 13 et 14 octobre, le' Conseil agricole à Luxembourg a entamé la discussion des prix agricoles en s'orientant vers une augmentation de 10%. Tout le monde, et le Parlement aussi a fait des calculs dont il ressort je crois, sait que depuis longtemps la Commission que chaque point équivaut à 50 MUCE, et par conséquent 10 points correspondent à un demi-milliard. Ce sont donc 500 millions d'unités de compte qu'il faut prévoir, et probablement un peu plus, car il y aura certainement des augmentations de production ou autres. Or le conseil veut économiser 800 millions, mais le ministre Santer nous a déclaré une ou deux fois de façon très claire qu'on peut discuter sur quelques variantes, à savoir qu'on peut accorder 200 millions aux désirs faméliques du Parlement. Les 600 autres millions serviront p
our les augmentations des prix agricoles.
En conséquence de tout cela, nous devons dire que ce budget, sous sa forme actuelle, ne correspond pas aux besoins de la Communauté. Beaucoup l'ont souligné, et M. Adonnino lui-même en substance dans toute son analyse, je ne répète donc pas ici ce qui a déjà été dit. Toutefois, il est pratiquement impossible et il ne serait pas sérieux de rejeter ce budget, car la Commission et le Conseil sont liés par le fait que le dépenses agricoles sont la conséquence de règlements existants et que le plafond de 1 % est la conséquence d'une loi de la Communauté; ceci vaut pour la Commission, pour le Conseil et également pour le Parlement. Si nous rejetions le budget, nous devrions en adopter un autre, fondamentalement identique.
Dans ce cas, je crois que le Parlement ne doit pas pour autant se limiter à énumérer une liste de souhaits, à déplorer ce qui ne va pas, il ne peut se limiter aux propositions présentées par M. Adonnino et approuvés par la majorité de la commission des budgets dans sa résolution, dans laquelle figure précisément la liste de souhaits et des doléances. Les éléments qui y figurent, considérés un par un, sont justes, mais il manque la nerf, il manque l'âme, il manque ce Goethe appellerait das geistige Band. Il manque la motivation de l'attitude que le Parlement devrait avoir.
Nous avons présenté un amendement en vue de corriger ce défaut. Il s'agit d'un nouveau point à insérer immédiatement après le rappel des requêtes présentées l'an dernier par le Parlement. Dans cet amendement nous déclarons que l'Assemblée doit faire trois constatations.
Premièrement: constater que la Commission savait bien que nous arriverions à ce point car elle l'a dit, elle l'a publié dans ces livres blancs, dans des déclarations, dans des discours devant la présente Assemblée; elle savait que l'on arriverait à ce point d'épuisement des ressources et de développement cancéreux des dépenses de soutien des prix. Toutefois, pendant toute l'année 1980, elle est restée dans une inertie coupable, ne faisant aucune proposition concernant l'un ou l'autre point.
La deuxième constatation est que le Conseil a exercé toute son influence, subtile mais grande, pour dissuader la Commission de faire ces propositions, il a continué à considérer que les ressources de la Communauté doivent servir, en priorité absolue, aux dépenses de soutien des prix agricoles, il a ignoré complètement toutes les exigences, toutes les demandes du Parlement, et dans certains cas il a même diminué les montants affectés à des politiques déclarées nécessaires.
En troisième lieu, et c'est l'élément décisif, le Parlement: - constatant qu'il ne peut se limiter à rechercher des économies modestes et, somme toute insignifiantes, à énumérer des priorités dont il sait très bien qu'elles ne peuvent être réalisées - doit lancer un avertissement solennel, non pas à la présente Commission, ce qui serait absolument inutile, mais à la future Commission et au Conseil pour que le budget de l'année prochaine soit fondé sur l'hypothèse qu'au cours de 1981 les règlements agricoles seront modifiés dans le sens si souvent souhaité, qu'au cours de 1981, de nouvelles possibilités de ressources propres doivent être ouvertes, ce qui cher Monsieur Notenboom, ne demande pas des années. Si la volonté de le faire existe, il faut 15 jours de négociations entre les gouvernements et trois et quatre mois dans les parlements, car il suffit de dire qu'on inscrit 2 % à la place de 1 % ou qu'on supprime le plafond. C'est pourquoi nous devons exiger que ces deux choses soient faites dans le courant d
e 1981. il faut en outre demander que le budget se fonde sur la présentation d'une politique globale de la Communauté, laquelle doit être discutée et approuvée par les diverses instances politiques, et donc par nous aussi, et non sur une somme d'actions sectorielles. Si nous lançons au moins cet avertissement solennel, qui signifie. »rappelez-vous que le budget prochain sera jugé sur cette base, sachez-le dès maintenant , nous aurons apporté la bonne réponse: car même si nous corrigeons, même si vous corrigez les différents détails, il n'y a pas réponse à apporter au présent budget.
En présentant cet amendement nous n'avons pas voulu et ne voulons pas adopter l'attitude de celui qui proclame: dixi et salvavi animam meam. Il serait tout à fait regrettable que cet amendement soit rejeté. Nous aimerions le signer avant le vote et l'offrir ensuite, pour qu'il soit voté, à tous ceux qui, dans cette enceinte, comprennent la gravité et la danger de la gestion actuelle des affaires de la Communauté, telle qu'elle a été menée et qu'elle est menée actuellement par la Commission et par le Conseil. Nous inciterions ainsi tout le monde à réfléchir un peu et nous inciterions entre autres le Parlement lui-même à réfléchir sur le fait que s'approche pour lui le moment de repenser entièrement et de reproposer l'ensemble des réformes institutionnelles nécessaires à la Communauté. Nous nous limitons pour l'instant à cet avertissement. Si nous ne l'approuvons pas, si nous ne disons pas clairement tout cela au Conseil et à la nouvelle Commission, de façon à ce qu'ils comprennent, si nous nous consentons de
pleurnicher sur quelques choses, d'en corriger d'autres marginales, nous nous retrouverons en fin de compte avec les 200 millions d'unités de compte que le Conseil nous offrira pour tenter de nous satisfaire. Je crois que cela serait indigne de ce Parlement.