Radicali.it - sito ufficiale di Radicali Italiani
Notizie Radicali, il giornale telematico di Radicali Italiani
cerca [dal 1999]


i testi dal 1955 al 1998

  RSS
lun 24 feb. 2025
[ cerca in archivio ] ARCHIVIO STORICO RADICALE
Notizie Radicali
Partito Radicale Olivier - 29 marzo 1996
Tibet: Lettre de Wei Jingsheng à Deng Xiaoping

A PROPOS DU TIBET

Lettre de Wei Jingsheng à Deng Xiaoping

Né en 1950 Wei Jingsheng a poursuivi des études supérieures en tibétologie après plusieurs années passées sous les drapeaux à la fin de la Révolution Culturelle. En décembre 1978 il participe au Mur de la Démocratie et publie le fameux Dazibao: "La cinquième modernisation: la démocratie". Arrêté le 29 mars 1979, il est condamné le 15 octobre à 15 ans de détention plus trois ans de privation de ses droits civiques. Il sera notamment emprisonné de 1985 à 1989 au Qinghai (ancienne province tibétaine de l'Amdo). Il est libéré le 14 septembre 1993 six mois avant la fin de sa peine lors de la campagne de Pékin pour l'obtention des Jeux Olympiques de l'an 2000. "Fausse libération" car il demeure sous contrôle étroit de la justice et de la police jusqu'au 29 mars 1994. Il est aujourd'hui considéré comme l'autorité morale indiscutable de la dissidence chinoise.

M. Deng Xiaoping,

La campagne de propagande que vous avez lancée révèle non seulement votre insatisfaction vis à vis du successeur que vous vous êtes vous-même choisi, mais aussi votre inquiétude à propos des affaires tibétaines, que vous dirigez personnellement. Vos gens ont préparé à la hâte un Livre Blanc intitulé "Tibet - souveraineté chinoise et droits de l'homme" pour dissimuler leur ignorance et leur incompétence, qui sont aussi les vôtres. Ils continuent à déformer les faits et à ressortir de vieux mensonges pour vous tromper, vous et le peuple chinois, afin de préserver leur rang et leur pouvoir. Le résultat en sera qu'au moment où la majorité ouvrira enfin ses yeux, le Tibet ne figurera plus parmi les territoires chinois. Les dominos tomberont en série bien au-delà des 1,2 millions de km2 du Tibet; vous serez raillé et cloué au pilori dans les annales de l'histoire. Pour améliorer la situation et résoudre le problème du Tibet, la première chose à dire serait d'essayer de comprendre les problèmes. Vous bercer de mens

onges ne vous permettra pas de saisir les réalités ni de déceler les problèmes - encore moins de les résoudre. Moi-même qui ne connais que peu l'histoire tibétaine, je me sens pourtant plus lucide que vous et vos gens. C'est ainsi que je me permets de vous adresser cette lettre dans l'espoir de vous inciter à créer un espace intellectuel de libre-expression pour que ceux qui détiennent le savoir puissent pénétrer le problème et y apporter leur compréhension, ce qui permettra enfin de saisir la réalité. C'est le seul moyen de ne pas perdre cette dernière chance de régler la question et éviter de recréer la situation de l'ex-URSS et de la Yougoslavie.La difficulté de la question du Tibet réside dans sa singularité et dans le côté imprécis de sa souveraineté. En réalité, le droit international existant n'est plus applicable; il contient des éléments contradictoires et ne peut plus être invoqué pour trancher les questions très complexes de notre monde contemporain. Mettre trop l'accent sur ce droit international

suranné ne permettra en aucun cas de trouver une solution au problème auquel nous faisons face aujourd'hui. Prenons le Canada et l'Australie, qui jouissent d'une souveraineté et d'une indépendance totales: ce serait ridicule de les décrire comme étant des colonies ou même des territoires britanniques sous prétexte que la reine d'Angleterre est le chef d'état de ces deux pays et que le premier ministre et les hauts fonctionnaires des deux gouvernements doivent être approuvés par elle - ce sont des pratiques purementprotocolaires. Lorsqu'il y a des problèmes à résoudre, les gens devraient s'en tenir à la réalité et ne pas s'efforcer de trouver "des preuves et des faits" uniquement dans les livres d'histoire.

Le cas du Tibet est plus particulier et plus compliqué que les deux cas cités. L"'union" entre le Tibet et la Chine (dynastie Qing et République de Chine) est si particulière que de nombreux érudits n'arrivent pas à en saisir la portée. Les auteurs du Livre Blanc sont encore inférieurs aux lettrés ordinaires et leurs arguments n'ont pratiquement pas contribué à élucider la question. Le système du tirage au sort dans l'urne d'or n'était qu'une méthode utilisée par des intervenants extérieurs pour résoudre la lutte de pouvoir entre différentes factions religieuses. Cela n'avait rien à voir avec le contrôle par l'administration. Si vous invitiez M. Liu Bocheng à vous aider à régler une querelle familiale, faudrait-il en déduire que votre famille est contrôlée par le Maréchal Liu et que la famille Deng est affiliée aux Liu ? Ici, il ne s'agit pas seulement d'ignorance, mais aussi d'une déformation de la réalité. Vos connaissances d'autrefois, MM Ya Hanzhang et Phontsog Wangyal doivent en être tout à fait conscie

nts, mais vous ne voulez sans doute pas les écouter, sinon, comment ces autres escrocs auraient-ils pu vous induire en erreur ?

Le commissaire des Qing a été envoyé au Tibet comme "agent de liaison" suite à la suppression d'une rébellion au Népal (affilié au Tibet à l'époque) dans le but d'empêcher d'éventuelles rebellions du même genre. Il n'était pas, comme le prétend le Livre Blanc, le "commissaire la tête de l'administration tibétaine" nommé après la répression de la rébellion des Dzoungares de Mongolie. Son rang n'était même pas comparable à celui de gouverneur d'une colonie; il serait analogue à celui de l'ambassadeur du Royaume-Uni au Brunei, qui peut être consulté participer dans des questions militaires et de relations extérieures. En réalité, il n'a jamais eu d'autorité ni sur les affaires militaires ni administratives au Tibet, et son pouvoir était inférieur à celui de l'ambassadeur britannique au Brunei. Selon les révélations des auteurs du Livre Blanc, les troupes de la dynastie Qing et du Sichnan dirigées par l'Amban du Tibet étaient payées par la cour des Qing; en tant que forces étrangères', elles n'étaient pas financ

ées par les Tibétains. Ce que les auteurs du Livre Blanc oublient de faire valoir, c'est que cette armée était qualifiée d'escorte armée du commissaire des Qing au Tibet. Faut-il prétendre que la souveraineté des pays européens est lése du fait de la présence militaire des Etats-Unis ?

Le Tibet choisissait son propre chef d'Etat, il mettait en place sa structure administrative comme il l'entendait et gouvernait à sa façon. Il pouvait se prévaloir d'une armée propre, aux ordres de son gouvernement. Ceci démontre que le Tibet était un état souverain. Ce n'était pas comme la Croatie ou l'Ukraine, des pays qui ont perdu leur souveraineté. Même si le Tibet avait perdu sa souveraineté, il se réservait le droit de se libérer du pays suzerain. "Personne n'a jamais reconnu le Tibet comme pays indépendant." Quel rôle pourra jouer cet argument dans la résolution du problème ? Peut-être servira-t-il convaincre quelques étudiants universitaires, mais il n'apporte rien à la compréhension ni à la résolution du problème. Que vous les acceptiez ou non, les faits sontréelles: il vaut mieux respecter les droits de l'autre partie. Cela vous permettra au moins de gagner un peu sa confiance.

Le statut particulier du Tibet était tel que sans pour-autant perdre sa souveraineté, il n'était pas un pays indépendant. Il n'était pas indépendant, mais il n'était pas non plus une colonie, ni un état vassal. Il ne conduisait pas toutes ses affaires comme le ferait un pays indépendant et souverain mais en même temps, ce n'était pas non plus une province chinoise administrée par un fonctionnaire envoyé par la cour des Qing. Le fait est que le Tibet jouissait d'une totale autonomie quant aux questions de l'intérieur tout en ayant uni sa souveraineté avec la cour des Qing pour ce qui était des relations extérieures. C'est à cause de cette relation que de nombreux Chinois et étrangers qui ne connaissent pas tous les détails pensent que le Tibet était une province de l'Empire chinois. Il n'y a presque pas d'autre exemple de ce type d'union. Du point de vue juridique, cela pourrait être analogue au Commonwealth ou l'Union Européenne en construction. Ce qu'il y a en commun, c'est que les peuples s'identifient ave

c le même ensemble (Royaume-Uni, Europe ou Chine) tout en s'identifiant à leurs pays indépendants respectifs. L'union est librement consentie et les pays en question se réservent le droit de quitter l'union. La différence est que dans le cas du Commonwealth, l'union des royaumes entraîne l'unité de la souveraineté. Dans le cas de l'Europe, l'union démocratique sur un pied d'égalité a mené à une union de pays souverains. Et dans le cas du Tibet et de la Chine, l'unité effective de la souveraineté naissait de la coopération des autorités suprêmes. L'union européenne et celle de la Chine ne sont pas des unions au sens juridique du terme.

Par conséquent, les troupes des Qing et de leur successeur ne pouvaient être envoyées au Tibet qu'à la requête du Dalaï Lama et conformément aux accords et à la pratique coutumière; la mission qui leur avait été confiée par le Dalaï Lama une fois accomplie, elles rentraient aussitôt au Sichuan et au Qinghai. Il n'y pas eu au Tibet d'armée permanente envoyée par la cour des Qing, seulement quelques troupes sous leur commissaire au Tibet, stationnées dans les casermes spéciales. La cour des Qing assumait une partie de la responsabilité pour les affaires militaires et les relations extérieures du Tibet et se chargeait de façon irrégulière de sa sécurité et de mater les rebellions. Les forces religieuses dirigées par le Dalaï Lama assumaient la tâche importante de préserver l'unité parmi les nationalités de l'empire des Qing grâce à leur croyance commune. Le Dalaï Lama jouait le rôle de chef suprême de la religion nationale de l'empire des Qing. A la différence du "précepteur impérial" de l'époque ancienne, il é

tait le chef spirituel suprême de la religion nationale et sa popularité était supérieure à celle de l'Empereur sur les trois quarts du territoire des Qing (Tibet, Xinjiang, Qinghai, Gansu, Sichuan, Yunnan, une partie de la Birmanie, la Mongolie intérieure et extérieure, les provinces du nord-est et une partie de l'Extrême-orient russe). Le motif principal qui a poussé le premier empereur de la dynastie des Qing à faire du lamaïsme la religion nationale, c'est que "pour gouverner les diversesrégions de la Mongolie, il était nécessaire d'unir le Lamaïsme". Le Lamaïsme est devenu la force principale qui a permis de préserver l'unité de la Chine à l'époque où son territoire a connu l'extension la plus grande de son histoire. La puissance militaire et l'énorme soutien financier de la cour des Qing, à leur tour, ont permis au Dalaï Lama de maintenir son pouvoir et sa position suprême, et d'exercer en même temps sa souveraineté sur un territoire beaucoup plus grand.

Dans ce genre d'union, chacune des parties constituait la condition primordiale de l'existence de l'autre et le mot "immense" ne peut guère donner la mesure du bénéfice qu'elles en retiraient. Par conséquent, l'union était stable et durable. Dans cette union, le statut juridique des deux parties était égal, bien que leurs pouvoirs réels ne le fussent pas (voilà la signification réelle de l'article selon lequel "le commissaire de l'empereur des Qing est égal au Dalaï Lama"). Le fait de nommer un ministre au Tibet et d'y envoyer des quantités de provisions étaient des méthodes utilisées pour maintenir l'équilibre dans la relation. Faute de quoi, l'influence du chef religieux aurait pu dépasser celle de l'empereur aux dépens de l'équilibre et de l'égalité des parties. Les relations entre la cour des Qing et le Tibet ont effectivement subi de nombreuses transformations au cours des siècles, mais les éléments essentiels sont restés en place jusqu'aux dernières années de la dynastie Qing et la relation est restée

stable. C'est pour cette raison que le Tibet ne s'est pas séparé de la Chine sous la menace et l'intervention militaire des pays étrangers comme l'ont fait la Corée, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et la Mongolie. Le Tibet est resté fermement du côté de la Chine même lors de l'occupation de Lhassa par les troupes britanniques.

La raison principale en est que l'union librement consentie basée sur des intérêts communs correspond mieux aux lois de la société que les autres formes d'union - tel est le principe mis en valeur par la théorie sociologique contemporaine: "le peuple détient la souveraineté et les intérêts du peuple sont suprêmes". Si ce principe n'est pas respecté, tout le reste s'avère inutile, même des arguments plus forts que la présence du commissaire des Qing ou le tirage au sort dans l'urne d'or. Ce qui est arrivé en Union Soviétique et en Yougoslavie en est l'exemple. Même des peuples qui ont une langue commune peuvent se scinder en plusieurs pays. Le fait que les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Australie et le Canada soient des pays distincts et souverains prête-t-il à confusion ? Les principaux éléments constitutifs de la souveraineté en sont la volonté et l'aspiration des peuples. Si une proportion importante du peuple n'aspirait plus à se gouverner elle-même, il perdrait une portion de sa souveraineté. C

e que l'on appelle la "loi de la souveraineté" définit d'autres conditions encore qui reposent toutes sur l'aspiration d'un peuple à se gouverner et à disposer de lui-même en tant que nation. Sans ce fondement indispensable, les autres formes de la souveraineté en viendront à perdre leur validité. Une occupation militaire ou un contrôle administratif, surtout de nos jours, ne pourraient porter atteinte à ce principe.

Les relations entre le Tibet et la Chine avant 1949 étaient bâties sur cette union, fondée non pas sur l'occupation militaire ou le contrôle administratif, mais bien sur l'aspiration nationale à auto-gouverner et sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ces relations ont été stables, par conséquent. Au cours du siècle qui englobe la fin de la dynastie Qing et la République de Chine, la faiblesse de la Chine l'a empêchée de s'acquitter de ses obligations par rapport la sécurité du Tibet. Néanmoins, le gouvernement du Dalaï Lama a continué à observer les traités qui liaient les deux parties; il n'a rien fait pour mettre en péril l'union souveraine. Si le Tibet avait eu des velléités "séparatistes", il aurait pu aisément les mettre à exécution, l'exemple de la Mongolie extérieure, vu la confusion qui régnait alors en Chine et le fait que les puissances étrangères l'encourageaient à revendiquer l'indépendance. Le Livre Blanc prétend que le Tibet n'a jamais été reconnu en tant que pays indépendant, mais c

ela n'est pas exact. A l'époque où l'Inde était gouvernée par la Grande-Bretagne, et plus précisément au moment de la signature de la Convention de Simla, la place réservée au Tibet était celle d'un pays indépendant. Le gouvernement du Dalaï Lama ne s'étant pas prêté à la démarche qui tendait à faire de l'indépendance du Tibet un fait accompli, celle-ci a échoué. Les protestations du représentant du gouvernement chinois, si faible l'époque, n'ont pas eu le poids qui leur a été prêté ultérieurement. A l'heure où le gouvernement chinois ne pouvait plus depuis longtemps remplir ses obligations et de nombreuses zones du Tibet étaient occupées ou affiliées des pays étrangers, la position du gouvernement du Dalaï Lama n'en a été que plus estimable.

C'est durant cette période que les relations entre la Chine et le Tibet se sont dégradées. D'une part, l'influence de la religion déclinait dans une Chine qui évoluait dans le sens d'une société moderne. La religion perdait l'importance qu'elle avait eue pendant les dynasties des Yuan et des Ming et le début des Qing, tout en gardant une influence qu'il ne faudrait pas sous-estimer. D'autre part, la Chine était si faible qu'elle ne pouvait presque plus s'occuper de son voisin occidental, et le Tibet avait déjà appris à se défendre tout seul. Le soutien armé de la Chine ne lui était plus nécessaire et il ne pouvait plus compter sur elle. Troisièmement, les étroites relations commerciales entre le Tibet et la Chine avaient souffert de la concurrence de produits en provenance de l'Angleterre et de l'Inde. Quatrièmement, la culture Han avait perdu son attrait pour les cultures des pays et régions avoisinants et son influence sur la nation tibétaine avait faibli. Cette dégradation a provoqué entre les peuples une

altération plus marquée qu'entre les gouvernements, encore plus sensible au niveau des mentalités que dans d'autres domaines. Dans l'esprit des Tibétains, les Chinois, autrefois considérés comme des alliés et protecteurs, étaient perçus comme étant fourbes et peu fiables (surtout les ressortissants du Sichuan et les musulmans du nord-ouest de Chine). Dans l'esprit des Chinois, qui se prétendaient civilisés, une vision d'arriération et de barbarie - mi-homme, mi-bête - s'était substituée à l'image noble de sujets du Bouddhavivant. Ces préjugés et ce mépris n'ont pas tout de suite provoqué la rupture, mais ils ont semé la graine des meurtrières représailles dont les deux parties se sont rendues coupables plus tard et de la séparation qui pourrait encore intervenir. Le metteur en scène de cette tragédie n'est autre que vous, M. Deng Xiaoping.

Déjà au cours des années quarante, les dirigeants tibétains avaient lancé le débat sur la réforme de la société au Tibet. Ce qu'ils voulaient, c'était un système social analogue à celui de l'Angleterre ou de l'Inde et une réforme modérée fondée sur leurs valeurs religieuses. Selon leurs coutumes plusieurs fois millénaires, ils auraient voulu procéder eux-mêmes aux changements. Ils n'étaient pas partisans d'une réforme effectuée par des étrangers ou des Hans quasi-étrangers (le Kuo MinTang a su respecter ces traditions et les relations entre le KMT et le Tibet sont restées plus harmonieuses). Ils ne voulaient pas non plus d'une révolution pour lutter contre les propriétaires fonciers, pour effectuer une réforme agraire ou pour mener la lutte des classes. Cette attitude n'était pas réserve uniquement aux classes dirigeantes: elle était partage par l'ensemble de la société. Le slogan selon lequel "les serfs libérés se réjouissent de l'arrivée du Parti Communiste" n'est que votre propagande; il ne reflète en rie

n les sentiments véritables des serfs de l'époque. Allez demander à vos anciens subalternes Ya Hanzhang et Phuntsog Wangyal s'ils ont réalisés de "grands exploits" lorsque qu'ils ont cherché à embrigader les anciens serfs. C'est alors que vous comprendrez que je n'ai pas de parti pris. En réalité, dans la plupart des pays, comme en Allemagne et en Russie, le plus grand obstacle à la libération des serfs est venu des serfs eux-mêmes. C'est une volonté commune qui a mené le gouvernement tibétain à ne pas s'opposer à l'union avec le KMT, alors que les pratiques du Parti Communiste chinois l'ont conduit à interdire fermement l'accès au Tibet aux communistes et à expulser le Parti Communiste tibétain mené par Phuntsog Wangyal avec le prétexte d'expulser les Chinois. Ces événements diplomatiques indiquent que le Tibet de l'époque jouissait d'une souveraineté totale (aussi bien par rapport aux affaires étrangères qu'à la défense du territoire). Les démarches pour le retour de l'armée du Sichuan et du Parti Communis

te tibétain de l'Inde ont été effectuées par les voies diplomatiques.

Pendant cette période, le Parti Communiste chinois était à son apogée et les intérêts du Parti et l'expansion du communisme passaient avant tout. Tout comme les autres partis communistes, il n'avait que faire de la souveraineté ni du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. En même temps, l'Inde qui venait de gagner son indépendance n'était pas en mesure d'aider le Tibet dans sa lutte contre le Parti Communiste chinois. C'est pourquoi la tentative d'interdire l'accès du Tibet aux communistes a finalement échoué. Qui plus est, la naïveté du jeune Dalaï Lama et la corruption de la bureaucratie tibétaine ont joué un rôle prépondérant dans l'occupation facile de Lhassa par les troupes communistes. M. Deng Xiaoping, la libération pacifique du Tibet que vous et Mao Tsétoung avez décidée devait appeler une politiquecorrecte, même si elle ressemble beaucoup à un accord imposé par la pression d'une importante présence militaire, facteur d'invalidité en droit international. Pourtant, si vous aviez appliqué cette poli

tique sérieusement, le gouvernement du Dalaï Lama l'aurait peut-être acceptée; l'union souveraine du Tibet et de la Chine aurait continué et la communauté internationale aurait dû accepter le fait accompli. Dans ce cas, le Tibet ne serait pas devenu un casse-tête pour la Chine. Les Tibétains sont des gens fiables, peu habiles à tromper le monde.

Malheureusement, les dirigeants du Parti Communiste chinois, y compris Mao Tsétoung et vous-même, vous avez laissé les "succès" de la guerre de Corée et la reprise de l'économie vous monter à la tête. Au moment où vous pratiquiez la politique de "grand bond en avant" et des politiques ultra-gauchistes en Chine, vous avez commencé à imposer des politiques gauchistes au Tibet en décidant d'y accélérer la réforme démocratique. En ce faisant, vous avez violé l'"Accord sur la libération pacifique du Tibet". Ceci a provoqué la colère des Tibétains de toutes les couches de la société. Pour combattre les politiques gauchistes du Parti Communiste, un soulèvement populaire - la prétendue rébellion tibétaine - contre les étrangers et les croyances étrangères a vu le jour. Pendant cette guerre et bien des années après, les préjugés et le mépris réciproque des Tibétains et des Chinois ont avivé la haine qui a poussé l'armée à tuer des innocents et les fonctionnaires à torturer le peuple. Le fossé entre les peuples s'est

creusé et la lutte pour l'indépendance nationale s'est intensifiée. Parler de souveraineté dans de telles circonstances revient à jeter de l'huile sur le feu et à faire croire que le Parti Communiste entendait continuer de la sorte. La situation de confrontation entre ces deux parties était identique à celle qui opposait les puissances coloniales aux colonies dans le passé. Cela ressemblait aussi à la situation actuelle en Yougoslavie.

Examinons maintenant deux exemples récents dans le monde, l'un positif, l'autre négatif. La Yougoslavie d'une part. Comme vous en Chine, la Yougoslavie n'a pas voulu reconnaître le droit des autres peuples à l'autodétermination nationale: elle est allée jusqu'à empêcher les autres peuples de faire valoir leur droit, par la force des années. Le bilan: son but est loin d'être atteint et elle devra payer pendant longtemps la lourde facture de la haine colossale qu'elle a fait naître.

L'autre exemple est celui de la Russie. Son respect du droit des autres nationalités à disposer d'elles-mêmes et à l'autonomie a permis l'existence de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) en laissant la porte ouverte à une union éventuelle. Elle a donc su préserver la confiance et la bonne volonté traditionnelles. La différence entre les deux cas ira en s'accentuant. La Serbie était au départ bien mieux placée que la Russie. Dans le passé, la Russie avait fait bien plus que la Serbie pour attiser l'animosité entre les nationalités, mais leurs approches différentes des problèmes ont produit des résultats différents. La plus grande différence est que la Russie s'en est tenue aux lois qui régissent la société etelle a respecté le droit des autres nations à l'autodétermination et à l'autonomie. Les facteurs de convergence ont pu jouer un rôle. Dans la société contemporaine, le penchant vers l'union l'emporte sur la tendance à la division. Trop d'insistance sur la souveraineté ou l'autorité administrative d

'une nationalité sur une autre ne peut que nuire à l'union et favoriser la séparation.

Les sociétés déjà divisées ou en train de se désarticuler sont celles qui ont trop misé sur une administration qui permettait à une nationalité d'exercer un pouvoir sans bornes sur les autres. Pour les sociétés déjà parvenues à l'union ou qui la recherchent, un accent excessif sur la souveraineté et la crainte de perdre le droit à l'autodétermination et de se retrouver soumises à la volonté d'autrui constituent les pires obstacles. Les avantages de l'union sont évidents, mais les arguments défavorables ont aussi leur poids. Pourquoi privilégier seulement les arguments contre l'union et partir dans le sens opposé ? Trouverez-vous dans les sociétés modernes un exemple pour prouver que l'union ne peut être préservée que par les pressions intenses ? Même si vous le trouvez, ce doit être parce que le moment de la scission n'est pas encore venu. Vous avez toujours prôné l'anticolonialisme et l'indépendance nationale. En réalité, vous ne savez pas ce que signifient l'anticolonialisme et l'indépendance nationale. Ce

ne sont pour vous que des outils pratiques auxquels vous ne croyez pas vraiment et que vous ne cherchez pas trop à comprendre. Voici exactement la racine et la cause de votre gauchisme.

La situation des relations entre la Chine et le Tibet a pourtant des atouts plus forts que n'en avaient l'ex-URSS et la Yougoslavie. Avant 1949, la Chine n'avait jamais opprimé le Tibet et n'avait pas forcé le Tibet à se soumettre à elle. Les deux parties étaient parvenues de plein gré à une union souveraine. Aujourd'hui encore, les conditions favorables à une union entre la Chine et le Tibet sont supérieures à celles de la CEI ou de la Communauté Européenne. Au début de son exil forcé, le Dalaï Lama n'a pas exigé l'indépendance. Encore aujourd'hui, il n'exclut pas la possibilité de l'union, ce qui prouve qu'il existe encore une bonne chance d'y parvenir. Cependant, vous adhérez aux idées et politiques vétustes en faisant confiance à la vieille bureaucratie. Vous êtes en train de pousser le Tibet vers la séparation. La Chine a déjà perdu presque la moitié des territoires légués par la dynastie des Qing. Si cela continue, nos générations à venir devront exporter de la main d'oeuvre pour survivre et il sera im

possible de revitaliser la nation chinoise.

Il y aura fort à faire pour éliminer les conséquences néfastes de la répression et des tueries des 40 dernières années et pour remettre la relation Chine-Tibet sur la voie classique d'un développement normal. Les trois tâches les plus urgentes sont les suivantes:

- Tout d'abord, il faut éradiquer la haine et les préjugés qui existent dans l'esprit des Hans et des Tibétains, et surtout l'opinion erronée que se font les Hans, à savoir que les vieuxTibétains sont si arriérés qu'ils ressemblent à des bêtes. La propagande des 40 dernières années a profondément enraciné dans l'esprit des cadres au Tibet (aussi bien qu'ailleurs) une attitude discriminatoire contre les Tibétains qui, à son tour, a nourri la haine que les Tibétains ressentent envers les Hans. La réalité dépasse de loin ce que vous pouvez imaginer et n'a rien à voir avec ce que l'on vous a raconté. Permettez-moi de vous en donner quelques exemples qui vous aideront à apprécier la gravité de la situation.

Mes parents ne connaissaient pas de Tibétains et n'avaient jamais étudié la question. Ils ne savaient du Tibet que ce que le Parti leur en avait appris. Dans leur esprit, ils situaient les Tibétains entre l'humain et l'animal. Il était donc naturel, quand je leur ai dit que je pensais épouser une Tibétaine qu'ils s'y soient opposés radicalement en menaçant de couper les ponts avec moi. Plus tard, lorsqu'ils ont appris à la connaître, ils ont changé d'attitude, mais ses parents à elle ne pouvaient pas supporter d'avoir une belle-famille comme la mienne, et je ne suis pas devenu le beau-fils de cette famille tibétaine.

- Un deuxième exemple: lorsque j'ai été emprisonné au Tibet dans le Qinghai, j'ai surpris un grand nombre de conversations qui m'ont permis de savoir combien les Hans dédaignaient et dénigraient les Tibétains. Tout ce qui avait trait au Tibet était digne de mépris.

Prenons les chiens tibétains: ils sont fameux, mais les cadres Hans préféraient élever des chiens de l'intérieur. Ils se moquaient de moi quand je leur parlais de la valeur des chiens tibétains. Ils ne m'ont cru que lorsqu'ils ont vu à la télévision que les étrangers étaient prêts à payer beaucoup d'argent pour un chien tibétain.

Ils ne voulaient pas croire que le beurre tibétain était le même que celui que l'on trouve dans un restaurant occidental ( Les chinois ne mangent pas de beurre - NdT.) Comment les Tibétains pouvaient-ils manger la même chose que les étrangers?

Et puis la viande de yak, qui est délicieuse, mais les cadres Hans au Tibet disaient "comme il n'y a rien d'autre à manger, nous devrons acheter de la viande de yak". Lorsqu'un médecin tibétain a su que j'aimais la viande de yak et que je voulais lui demander de m'acheter du beurre tibétain, il a d'abord été surpris, mais il m'a vite traité comme un des leurs et m'a offert du beurre et une portion de tsampa (farine d'orge grillée). Ces exemples vous donnent une idée de la manière dont les cadres communistes considèrent et traitent les Tibétains. C'est pire que la discrimination des Blancs contre les Indiens et les Noirs. Pour parler franchement, vous ressentez vous-même ce sentiment de discrimination envers les Tibétains et il transparaît dans tous vos documents, déclarations et autres instruments de propagande. Ceci a creusé davantage l'abîme entre les Hans et les Tibétains et conduira progressivement à la séparation.

Il sera extrêmement difficile de réparer tous les griefs accumulés pendant 40 ans, mais il faudrait faire des efforts quotidiens dans ce sens. Il faudrait remplacer à divers niveaux les cadres qui n'ont pas de respect pour l'identité des minorités nationales. En même temps, il faudrait renoncer à "la spécificité des minorités nationales" et les traiter toutes de la même façon, parce que les régimes de faveur font naître le sentiment qu'on est différent. Le chauvinisme Han devra être banni de toute publication. Pendant 40 ans, on a eu tendance à se servir du nationalisme étroit et du chauvinisme national comme éducation patriotique. Quand il est question de la princesse Wencheng, les gens pensent qu'elle a apporté le salut au Tibet. C'est bien trop dire et ce n'est pas en accord avec la vérité historique. Le camp de travail au Qinghai où j'ai été envoyé était situé là où l'armée tibétaine avait triomphé des 100.000 soldats du général Xue Rengui. C'est à cause de cette défaite que la princesse Wencheng a été d

onnée aux Tibétains pour sceller la paix, mais aucun des cadres sur place ne connaissait cette histoire. Ils croyaient tous que la princesse chinoise avait apporté "la civilisation" aux Tibétains. Et ils estimaient qu'ils avaient été envoyés au Tibet pour aider les Tibétains à mettre en valeur les terres incultes où les Tibétains avaient vécu depuis des générations. Ils parlaient et agissaient tout comme des colonialistes. C'est votre propagande grossière qui a produit une discrimination généralisée parmi les cadres à l'égard des Tibétains. Cette mentalité doit être réformée, en même temps que la pratique des auteurs du Livre Blanc, qui se sont habitués à faire de grandes déclarations mensongères.

Ensuite, le gouvernement devrait accélérer le développement de l'économie de marché au Tibet et créer des relations économiques plus étroites entre l'intérieur et les marchés tibétains. Au siècle passé, les produits anglais et indiens ont pénétré grandement le marché tibétain. Depuis quelque 40 ans, ce marché a beaucoup souffert. La "planification socialiste" des prix fixés pour les produits de l'élevage et les ressources minérales du Tibet, ce qui rappelle l'exploitation coloniale, a provoqué des dégâts énormes dans l'économie du Tibet . L'assistance consentie ne compense pas du tout leurs pertes. Qui plus est, la plupart des subventions ont servi à financer l'appareil de répression ou les recherches scientifiques menées par des Hans. Ceci englobe les bureaux administratifs à divers niveaux, les hôpitaux et les hôtels pour les Hans, l'équipement de l'armée, les observatoires, les centrales géothermiques, qui ne sont pas ce dont l'économie tibétaine a principalement besoin. Quels que soient les prétextes que

vous ferez miroiter devant les Tibétains, ils ne sont pas aussi bêtes que vous croyez. Ils savent que vous n'êtes pas sincère lorsque vous faites mine de les aider et ils ne vous font pas confiance. Ceux qui prennent les décisions devraient se pencher sur le Tibet comme s'il s'agissait de leurs propres terres ancestrales et utiliser l'assistance financière pour stimuler efficacement le développement économique du Tibet. Le peuple tibétain y sera sensible. Il faut éliminer les obstacles et les "prix contrôlés", permettre aux produits tibétains l'accès aux marchés de l'intérieur et leur accorder des prix préférentiels. Dans d'autres domaines également, il faudra faire des efforts pour améliorer les relations économiques et commerciales entre les régions tibétaines et chinoises. Ceci est très important pour consolider la relation entre Tibétains et Hans.

Finalement, le gouvernement chinois devra renoncer à sa politique traditionnelle que consiste à prendre les dignitaires religieux tibétains en otage. Les Tibétains aussi bien religieux que laïcs trouvent cette politique exécrable, et elle ne fait rien pour prouver votre respect des droits de l'homme. Le gouvernement chinois devrait abandonner la mentalité du prétendu "grand empire Han" et s'asseoir à la table de négociation avec le Dalaï Lama. S'il s'inquiète de votre sincérité, c'est que vous n'avez pas su gagner sa confiance dans le passé. Vous devriez donc lui laisser le choix du lieu de la négociation. Il devrait pouvoir retourner Lhassa s'il le désire. Ce sont là des conditions raisonnables, il n'y a rien qu'on ne puisse comprendre. Il n'y a pas de raison de ne pas donner votre accord.

"Le gouvernement chinois devrait pouvoir entériner la nomination des assistants des négociateurs du Dalaï Lama." Vous ne pensez pas que vous allez un peu loin ? Retarder la négociation avec de tels prétextes prête à croire que vos gens n'ont pas confiance en eux-mêmes. Ils ont peur que toute leur stupidité éclate au grand jour si de vraies négociations sont entamées. Le démarrage de négociations va améliorer les chances pour que le Tibet continue à faire partie de la Chine. Il faudrait donc y procéder sans conditions préalables. Il serait sage d'inviter le Dalaï Lama à rentrer à Lhassa, bien mieux que de laisser s'entourer d'aventuriers. Le Dalaï Lama devra comprendre que s'il ne s'allie pas avec les Hans, il aura à faire face aux ambitieux Indiens qui ne sont pas meilleurs que les Hans. Le Sikkim, le Bhoutan et le Népal sont de bons exemples pour un futur Tibet indépendant. Si nous pouvons faire mieux, pourquoi les Tibétains s'exposeraient-ils à des souffrances en quittant une union qui a déjà plusieurs siè

cles d'existence ? La tendance mondiale est vers l'union à court ou à long terme. Les avantages de l'union l'emportent sur ses inconvénients. Les actions du Dalaï Lama sur ces dernières années me font penser qu'il comprend mieux que moi ce qui est en jeu. Le Dalaï Lama doit faire face à ses propres difficultés. Il ne faut pas le pousser trop loin, jusque dans les bras des autres.

Wei Jinsheng

Ecrit le 3 octobre 1992

Remis le 5 octobre 1992

Traduction: CLC/TB.

Original en Chinois diffusé par International Campaign for Tibet, Washington.

 
Argomenti correlati:
stampa questo documento invia questa pagina per mail