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Spinelli Altiero - 19 novembre 1981
Acte Genscher-Colombo

ACTE GENSCHER-COLOMBO POUR L'UNION EUROPEENNE

par Altiero Spinelli

SOMMAIRE: Le Parlement européen écoute les déclarations du ministre allemand des Affaires étrangères Genscher, sur l'initiative prise par celui-ci et le ministre italien Colombo pour relancer l'Union européenne.

L'idée de reprendre le dossier de l'Union politique, ouvert au sommet de Paris en 1972 avec pour objectif la réalisation de l'intégration politique et économique entre les pays membres de la Communauté d'ici à 1980, avait commencé à circuler entre quelques responsables politiques européens et dans les chancelleries au cours de l'année 1980. La paralysie du processus d'intégration européenne, les maigres résultats de la coopération en matière de politique extérieure et le développement de l'initiative du Parlement européen à partir de la fondation du Club du Crocodile avaient incité en particulier les gouvernements allemand et italien à lancer une action politico-diplomatique entre tous les gouvernements de la Communauté.

Le ministre allemand Genscher, après avoir affirmé au Bundestag (novembre 1980) que l'initiative pour réaliser l'Union européenne devait émaner du Parlement, déclarait, le 6 janvier 1981, que le moment était venu d'élaborer "un Traité d'Union européenne". Le ministre Colombo lui avait fait écho le 28 janvier 1981 devant le congrès du Conseil des Communes d'Europe, en se prononçant en faveur d'une relance de l'Union politique. Le 5 mai 1981, à la veille de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, l'ex-chancelier allemand Brandt (parmi les premiers défenseurs du Club du Crocodile) avait, pour sa part, souhaité une initiative franco-allemande pour sortir l'Europe de la crise et mettre concrètcment en oeuvre l'Union européenne.

Après quelques mois de négociations politico-diplomatiques entre l'Italie et la République fédérale, les ministres Genscher et Colombo élaborent un "Acte européen", destiné à accélérer l'intégration politique dans la Communauté et le présentent aux autres gouvernements et au Parlement européen.

Le résultat final de cette initiative est la "Déclaration solennelle de Stuttgart" sur l'Union européenne, adoptée en juin 1983. In "Discours au Parlement européen, 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 19 novembre 1981)

Madame le Président, je vais employer encore une fois une langue véhiculaire.

Si j'étais croyant, je commencerais par les mots »Gott helf mir! - que Dieu m'aide! . Car d'une telle sorte d'aide mystérieuse j'ai besoin pour ce que je vais essayer de dire au cours de ces misérables cinq minutes que le Règlement m'attribue. Je vais essayer, Monsieur Genscher et Monsieur Colombo, de vous convier à vous placer au-dessus de vous-mêmes, à la hauteur de la tâche que vous vous êtes assignée.

Nous vous sommes reconnaissants avant tout, Messieurs les ministres allemand et italien, pour votre initiative car en proposant cet acte européen, vous avez brisé un tabou qui pesait depuis trop longtemps sur toute la construction européenne: le tabou qui interdisait de regarder au-delà des tâches économiques propres à la Communauté. Vous avez eu le mérite de dire que le moment est venu de commencer à agir pour créer progressivement l'Union europeénne, c'est-à-dire une union politique qui soit engagée pour approfondir, bien sûr, la politique économique commune, mais aussi pour promouvoir une politique extérieure commune et une politique commune de la sécurité, donc pour entreprendre en commun des initiatives d'ordre diplomatique et stratégique aptes à promouvoir activement la construction de la paix.

Merci donc d'obliger nos gouvernements, notre Communauté, nos peuples à considérer que ces politiques communes nouvelles ont besoin d'instruments communs de décision et d'action. Toutefois, Messieurs les ministres, que vous avez été, dans cette initiative, des hommes de peu de foi, des hommes de peu d'imagination! Je n'ai pas oublié, Monsieur Genscher, qu'il y a six ou sept ans, vous avez convaincu votre parti à s'engager pour une Assemblée constituante européenne. Mais vous l'avez peut-être oublié. Plus récemment, le 26 novembre 1980, quand vous avez commencé à parler de cette relance de l'Union politique européenne, vous avez prononcé au Bundestag les mots suivants: »Je n'ai pas l'impression que les impulsions à s'occuper d'un projet de constitution pour l'Europe puissent venir des gouvernements nationaux. Elles peuvent venir seulement du Parlement européen directement élu . Lorsque vous avez prononcé ces mots, vous saviez que l'initiative du »club du Crocodile était en marche dans ce Parlement. Et je veu

x bien reconnaître que le Parlement est coupable d'avoir été trop lent à assumer cette tâche... Mais il l'a enfin assumée, et sous peu il va se mettre au travail. Mais vous, Monsieur Genscher, vous n'avez pas eu la patience. Vous avez vite fait de perdre votre foi dans le Parlement. Vous avez vite fait de confier à vos diplomates la tâche de rédiger cet acte. Et vous avez reçu d'eux ce que vous-même vous aviez prévu: ils vous ont, en effet, offert et fait avaler une énième variante de collaboration intergouvernementale.

Vous connaissez le proverbe qui dit que »la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a . Vos diplomaties ne le peuvent pas davantage. Je reconnais que, dans l'immédiat, vous n'avez à votre disposition que cette coopération intergouvernementale et que c'est avec elle que vous devez agir pour affronter les problèmes internationaux les plus brûlants. Mais nous vous demandons d'être bien conscients de ce qu'il y a de provisoire, d'aléatoire et de fragile dans cette méthode. Ne venez pas nous dire que, dans cinq ans - vous aviez dit, au commencement, trois ans, mais ils sont devenus déjà cinq ans - le Conseil, à la lumière de l'expérience proposera si nécessaire un traité pour consolider l'union... Dites plutôt qu'il n'y a pas d'expérience à faire, que pour ceux qui veulent entendre, tout est bien connu dans cette matière, mais que vous ferez votre possible pour maintenir cette coopération incertaine et fragile, pour donner au Parlement les deux ans, deux ans et demi nécessaires pour préparer le pr

ojet de loi fondamentale de l'Union européenne et le soumettre à la ratification des États membres. Dans ce cas, le Parlement européen, au nom du peuple européen qui l'a élu, applaudirait sans réserve à votre initiative, se sentirait encouragé à accélérer son travail constituant pour venir le plus tôt possible à votre aide dans votre tranchée qui est, à la longue, intenable. Et vous auriez bien mérité de l'Europe.

Je voudrais aussi dire à M. Colombo - qui est absent -, qui se considère l'héritier de l'esprit européen de de Gasperi, que je lui demanderai, à lui aussi, de savoir faire preuve de la tenacité que de Gasperi a eue pour faire des propositions analogues à ses collègues.

Mais Monsieur le ministre, c'est de ce Parlement, qui est la seule institution ayant le droit de parler et de proposer au nom du peuple européen qui l'a élu, que vous devez attendre l'avenir de l'Europe, et non pas de vos propositions interministérielles!

J'ai dit, en outre, que vous avez manqué d'imagination. Vous avez en effet compris que, provisoirement, et dans les plus brefs délais, nos gouvernements doivent coopérer pour avoir un minimum de politiques communes, ici et là, mais enfin, disons-le clairement, surtout une politique commune en matière de sécurité. Et vous avez compris que vous ne pouvez pas vous borner à en proclamer la nécessité mais que vous devez la faire avec un minimum d'efficacité. Or, dans votre acte, vous allez chercher l'efficacité dans une multiplication de conseils, de comités, de sous-comités, dans un secrétariat saugrenu à structures et sièges variables, c'est-à-dire dans une multiplication de corps et de corpuscules, tous de la même qualité intergouvernementale. Et puis, quand tout aura été trituré et digéré par ces comités et conseils, chaque Etat, selon vous, ferait son compte de l'acquis politique.

Messieurs les ministres, n'avez-vous jamais entendu dire que, pendant la première et la deuxième guerre mondiale, les alliés - se trouvant dans une situation d'urgence qui les obligeait à avoir une politique militaire commune sur les fronts de guerre, une politique commune de ravitaillement, un contrôle commun de leurs monnaies - ont décidé, par des actes analogues aux vôtres, sans formalités juridiques, sans engagement institutionnel, sans préjugés pour l'avenir, de nommer un Foch, un Eisenhower, un Monnet pour être leurs plénipotentiaires en la matière. C'est ce que vous devriez proposer pour faire avancer vos initiatives dans la situation actuelle, provisoirement, sous la forme de collaboration entre les gouvernements.

 
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