PROCEDURE BUDGETAIRE POUR 1982: SECONDE LECTURE DU PARLEMENT EUROPEEN
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlement européen conclut avec la seconde lecture la procédure d'élaboration du budget 1982.
La question de l'augmentation des ressources propres et de la réforme de la politique agricole n'étant pas résolue, Spinelli pousse jusqu'au bout le conflit avec le Conseil sur le thème - extrêmement délicat pour les pouvoirs du Parlement de la classification des dépenses budgétaires, subdivisées depuis 1975 en dépenses obligatoires (sur lesquelles le Conseil a le dernier mot) et dépenses non obligatoires (sur lesquelles l'Asemblée vote en dernier recours.
Le Conseil prétendait fixer - par une décision unilatérale - la classification des dépenses, mais étant donné que le dernier mot revient au Parlement et en particulier à son Président qui "déclare le budget adopté" au terme de la procédure, Spinelli obtint du Parlement un vote sanctionnant clairement l'arrogance du Conseil, et qui confirmait la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires ainsi que le veut la logique juridique et politique.
Cette action ouvre une nouvelle phase du conflit entre Conseil et Assemblée qui s'achèvera seulement le 30 juin 1982 avec l'adoption d'un accord ambigu Conseil - Parlement Commission limité dans ses effets, résultat d'une déplorable tendance au compromis de la part de la commission des budgets, et qui sera bien vite violé par le Conseil et la Commission. In "Discours au Parlement européen, 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 15 décembre 1981)
Monsieur le Président, j'ai l'honneur de vous présenter les conclusions auxquelles est parvenue la commission des budgets, après avoir examiné le projet du budget général modifié par le Conseil.
Notre commission a pris acte et engage le Parlement à prendre acte que le Conseil, en restant dans le cadre de ses compétences, a fixé en dernière instance le montant des dépenses considérées comme obligatoires par le Parlement, le Conseil et la Commission. Il s'agissait de 13,3 milliards d'Écus, c'est-à-dire 61,25% du projet de budget dans son ensemble. A part une réduction de 33 millions d'Écus, le Conseil a pratiquement confirmé les sommes proposées par la Commission dans l'avant projet du mois de mai.
Le souci d'austérité budgétaire qui se fait sentir si vigoureusement au sein du Conseil à propos d'autres chapitres aurait pu, en vérité, l'amener à penser que, depuis le mois de mai, tout laisse prévoir une diminution importante des dépenses pour le soutien des prix agricoles en 1982. La Commission a dû l'en informer. Mais le Conseil en a ainsi décidé, et nous, soucieux de respecter le droit communautaire, nous nous inclinons. Le Conseil a cru pouvoir aussi fixer en dernière instance les montants des dépenses que lui seul considère comme obligatoires. Il s'agit des dépenses pour la pêche, le FEOGA section Orientation, les bonifications d'intérêt, les mesures complémentaires pour le Royaume-Uni, les prêts, l'aide alimentaire, ainsi que la réserve contenue dans le chapitre 100, lequel comporte des crédits dont l'exécution est par définition incertaine et discrétionnaire, ce qui est le contraire de la définition même des dépenses obligatoires inscrite dans l'article 203 du Traité de Rome.
Le Conseil savait pertinemment que le Parlement n'accepterait pas une limitation de ses propres pouvoirs et compétences par décision unilatérale et arbitraire du Conseil, ni de celui-ci et de la Commission ensemble. Le Conseil a toujours reconnu, par la manière même dont il s'est toujours exprimé, qu'il n'a pas le droit de statuer unilatéralement sur cette être prise de façon claire et définitive en non de cette manière, provisoire et inconvenante.
Toutefois, en dépit d'initiatives pressantes et répétées depuis 1977, il a toujours froidement refusé de donner la moindre explication sur sa conception de la classification des
dépenses.
Plusieurs résolutions sur le budget, votées au cours de cette année, une lettre formelle de notre président, en date du 8 octobre, les déclarations précises et motivées de notre président ainsi que celles de la délégation du Parlement présidée par elle, faites dans le cadre de la concertation budgétaire du 24 novembre, ont été autant d'invitations au Conseil à établir en commun accord entre nous, lui et la Commission, une classification des dépenses agréée par le trois institutions. A plusieurs reprises, en termes clairs et précis, le Conseil a été avisé par nous que nous étions même disposés à un accord provisoire, limité à cette année. Ne préjugeons pas de nos positions pour l'avenir, mais nous voulons un accord, pas un diktat. Nous avons mis en garde le Conseil qu'en l'absence d'un tel accord, nous n'aurions pu accepter comme dépenses obligatoires que celles qui sont ainsi indiquées dans les trois classifications de nos trois institutions.
Le Conseil nous a répondu dans un premier moment par le silence, puis par des tentatives de pourparlers avec ses organes subalternes. Plus tard encore, par des échanges d'opinion informels autour de quelques bons repas. Enfin, dans notre dernière rencontre de concertation, par un refus sec de toute recherche d'accord pour le budget 1982 et par la promesse, qui n'engage à rien, de rechercher avec nous une solution l'année prochaine pour le budget 1983, ainsi que par une invitation à nous en tenir à sa classification, tant qu'une autre n'aurait pas été agréée.
Monsieur le Président, Messieurs les Membres du Parlement, je suis tenu de mesurer mes paroles et je les mesurerai. Mais pour qualifier l'attitude du Conseil qui s'arroge un droit de définir unilatéralement, à sa guise, des pouvoirs que les lois fondamentales de notre Communauté nous donnent, il n'y a que le mot »arrogance qui convienne...
Après avoir tout essayé pour amener le Conseil à un accord avec notre commission, je vous demande, mes chers collègues, de déclarer solennellement, par le vote de la résolution que je vous soumets au nom de notre commission, que notre classification est la bonne et la juste et que, en l'absence d'une indication quelconque dans nos lois fondamentales, les frontières entre les pouvoirs budgétaires des trois institutions ne peuvent être acceptées que par un libre consentement des trois institutions. Or, la classification des dépenses obligatoires est notre seule possibilité d'influer sur l'avant-projet de budget par des amendements et des modifications, de déterminer le taux maximum, bref la seule marge de manoeuvre dont dispose le Parlement.
Au terme de votre vote, jeudi prochain, si le montant global des dépenses non obligatoires, telles qu'elles résultent de la partie commune de trois classifications, ne dépasse pas la marge, que pourra faire notre président, sinon constater que notre procédure budgétaire a été achevée et que le budget est arrêté. Par votre vote de jeudi, mes chers collègues, vous indiquerez et déciderez, les uns et les autres, si ce Parlement est le noyau vivant du futur véritable Parlement des peuples européens ou bien s'il n'est qu'un parloir dont les décisions sont sans conséquences.
Ayant donc replacé les dépenses à la place qui leur revenait, nous avons dû constater que, malgré la modération montrée en première lecture par le Parlement, le Conseil a maintenu, dans sa deuxième lecture, une attitude très restrictive, ce qui a par ailleurs amené trois pays à voter contre le projet final. Dans notre deuxième lecture, nous ne pouvons que rétablir, en tout ou en partie, les amendements rejetés par le Conseil. Le chiffre d'augmentation des dépenses que nous vous proposons n'est qu'une parcelle infime des dépenses nationales, à savoir 0.009%, c'est-à-dire un dix millième des dépenses nationales, ce qui rend légèrement ridicule tout palabre sur l'austérité budgétaire! Ce rétablissement nous apparait par ailleurs nécessaire pour contribuer à ce rééquilibrage à l'intérieur du budget auquel la Commission et le Conseil se disent, eux aussi, très attachés.
Afin d'effectuer cette opérations avec succès, notre commission vous propose de vous maintenir à l'intérieur de la marge, ce qui permettra au Parlement de décider en dernière instance, et, bien que nous affirmions ici que le taux maximum et la marge ne s'appliquent, selon l'article 203, qu'aux dépenses, nous vous proposons de renvoyer à des débats ultérieurs l'ouverture de ce dossier et de rester cette fois-ci à l'intérieur de notre marge, aussi bien pour les crédits d'engagement que pour ceux de paiement.
Notre commission vous propose donc un ensemble d'amendements q ui visent à rétablir 350,4 millions d'Ecus en crédits de paiement et 371,8 millions d'Écus en engagements. Le montant des crédits d'engagement atteint presque le niveau de notre marge et nous ne voulons pas la dépasser, ce qui veut dire qu'en raison de la liaison existant entre engagements et paiements, ces derniers ne peuvent utiliser que 78% de notre marge.
Les arbitrages auxquels la commission des budgets a dû se livrer ont été difficiles et plusieurs rapporteurs des commissions spécialisées n'en ont pas été heureux. Moi non plus, je ne le suis pas, mais je vous invite instamment, chers collègues, à suivre les recommandations de notre commission et, si vous vous en éloignez, à rester en tout cas à l'intérieur de la marge, car si nous en sortons, nous serons par notre loi tenus à une co-décision avec le Conseil sur le nouveau taux maximum et nous serons alors prisonniers du Conseil, et forcés d'accepter les »pourboires qu'il voudra bien nous accorder. Si, au contraire, nous restons à l'intérieur de notre marge, nous pourrons donner dans quatre jours à la Communauté un budget, bien sûr tout à fait inadéquat, mais qui indiquera quand même la volonté d'assurer certaines priorités de politique sociale, régionale et de coopération, qui maintiendra la politique des prêts ou des emprunts sous le contrôle du Parlement et, surtout, qui montrera que ce Parlement respect
e les lois de la Communauté et exige par conséquent de voir que ses décisions soient respectées.
Monsieur le Président, je ne vous cacherai pas combien je suis étonné que M. Tugendhat ait relevé avec regret que ce débat manquait d'enthousiasme. Peut-être a-t-il oublié qu'il avait été le premier à émettre un avis défavorable sur le projet du budget élaboré par le Conseil et qu'il était allé jusqu'à dire que la Commission désapprouvait le Conseil. Attendu que le budget ne diffère pas fondamentalement de celui qui avait été présenté en première lecture, M. Tugendhat comprendra aisément pourquoi, en dépit de sa conversion, le Parlement
ne parvient pas encore à s'enthousiamer pour ce budget.
J'ai été particulièrement surpris par la ferveur avec laquelle M. Tugendhat a défendu le projet du budget du Conseil. J'accepte aussi le »trialogue (même si un vieil helléniste ne peut pas faire moins que d'observer que le terme »trialogue est incorrect, puisque le préfixe adverbial »dia ne signifie pas deux, mais »échange , »à travers , et qu'il conviendrait donc d'employer l'expression, »dialogue à trois , et non »trialogue ), à condition toutefois que, dans ce dialogue à trois, chacun puisse jouer son propre rôle et que la Commission ne joue pas déjà celui du Conseil.
M. le commisaire nous a déclaré qu'il était nécessaire de mettre en oeuvre telle ou telle politique, en plus de celle proposée par le Conseil, mais, en même temps, il a précisé que la Chapitre 100 ne pouvait, en aucun cas, être, considéré comme une dépense non obligatoire. Si l'on accepte cette théorie, J'estime qu'il est véritablement impossible de faire quoi que ce soit.
Il convient, à mon avis, de réfléchir réellement sur ce qui nous attend. Jeudi, nous devrons nous prononcer sur une série d'amendements. A la suite des discussions que nous avons eues, je pense que nous oscillerons dans une »fourchette comprise entre 350 Mécus, chiffre approuvé par la commission des budgets et quelques groupes, au titre des crédits d'engagement correspondants, et une somme inférieure, égale à 150-200 Mécus, proposée par les autres groupes. Je souhaite que, lors du vote de jeudi, nous nous rapprochions du plafond des 350 Mécus; toutefois, le résultat sera celui du scrutin et nous le respecterons.
Si M. le Président du Conseil est en mesure de nous indiquer, au nom et avec l'autorisation de son institution, quel est le montant exact, supérieur à celui qui a déjà été mentionné dans le projet de budget, nous pourrons examiner si ce chiffre est ou non acceptable. Dans l'affirmative, le problème serait résolu, car nous maintiendrions la marge que nous avions précisée et, de son côté, le Conseil devrait préciser le taux maximum d'augmentation. En revanche, si M. le président n'est pas en mesure de nous indiquer le taux maximum d'augmentation qu'il a accepté, nous n'aurons pas la possibilité de parvenir à un accord, et je ne vois pas sur quoi nous pourrions discuter. En effet, il est inadmissible que le président du Conseil ne soit pas en mesure d'élucider la question de la classification des dépenses et de nous indiquer le plafond que notre institution est autorisé à atteindre; en outre, il est inacceptable que, jeudi, nous devions voter uniquement sur les avis qui nous ont été communiquées par le présiden
t du Conseil.
Comme je l'ai déjà dit, le vote portera sur les montants extrêmes de la »fourchette , et, en tout état de cause, représentera - du moins suivant la position officielle du Conseil - davantage que ce que le Parlement n'est habilité à faire. A ce moment, la procédure budgétaire devra être déclarée achevée et tout sera terminé. Mme le Président aura à constater - à titre d'»acte dû - que la procédure est terminée et à proclamer que le budget est définitivement adopté. Si, contrairement à ce qu'elle a affirmé il y a quelques jours seulement, elle ne devait pas déclarer la procédure achevée, cela signifierait que nous ne sommes pas restés dans la marge de manoeuvre qui nous est accordée, attendu que ce serait là l'unique justification du non-achèvement de la procédure.
Dans ce cas, mes chers collègues, le Parlement aurait cessé d'exister en tant qu'autorité budgétaire: dans ce cas, nous entamerions un beau »dialogue à trois sans fin, avec le Conseil et la Commission, sans fin, car nous serons contraints de nous en tenir aux définitions habituelles adoptées actuellement.
Ou pourrait objecter, mais quelle est donc cette stupidité du caractère obligatoire ou non du Chapitre l00? Veut-on réellement tout transformer? Croyez-moi: il n'y a là aucune stupidité; cela n'a été inventé ni par le rapporteur qui vous parle en ce moment, ni par la commission des budgets, qui, depuis plusieurs années, ne cesse d'expliquer les raisons pour lesquelles sa classification est préférable. Toutefois, il y a plus: l'usage de transférer des fonds qui
appartiennent aux dépenses obligatoires, au Chapitre 100 et vice versa existe de longue date. Lorsque nous avons - à tort ou à raison - transféré certaines sommes des dépenses obligatoires au Chapitre 100, nous avons suivi la procédure des propositions de modification et non celle des projets d'amendement. Cela montre qu'il est impossible de tout transférer au Chapitre 100. En effet avec les propositions de modification, c'est non le Parlement, mais le Conseil qui a le dernier mot, ce qui est inadmissible.
La procédure de »passage d'une dépense obligatoire au Chapitre 100 a toujours été celle de la proposition de modification, alors que pour le transfert à partir du Chapitre 100, c'est toujours la »technique du projet d'amendement qui a été suivie', sans que cette procédure n'ait jamais, par ailleurs, été contestée.
Les choses ne sont donc pas aussi simples ou stupides que les membres du Conseil et de la Commission pourraient le dire.
En outre, sans vouloir affirmer que notre théorie est la bonne, je tiens à préciser que nous n'acceptons, en la matière, d'ordre d'aucune sorte de la part de la Commission ou du Conseil. Nous avons invité les trois institutions à trouver un accord entre elles, et ajouté que, tant que cet accord ne serait pas conclu, la seule chose que nous pourrions accepter est le contenu commun aux trois listes existantes. Si nous affirmons qu'il faut nous conformer au Chapitre 100, ce n'est pas parce que nous refusons de négocier sur ledit Chapitre. C'est le Conseil que refuse la négociation. Je le répète, nous sommes prêts à discuter: toutefois, nous ne pouvons accepter un diktat.
C'est pour ces raisons que j'estime que nous devons réfléchir à l'attitude que nous adopterons jeudi, nous, en notre qualité d'Assemblée, et madame Veil, en qualité de président de notre Parlement. Ce sont les pouvoirs réels du Parlement en matière budgétaire qui constituent notre enjeu.
Bien que le montant soit tout à fait insignifiant, le Conseil devra être en mesure de nous indiquer, avant jeudi, une somme qui ne se limite pas à 60 millions ou à quelques augmentations habituelles. En réalité, le Conseil veut voir jusqu'à quel point notre Parlement est apprivoisé. En conséquence, c'est à nous qu'il appartiendra de montrer que notre Parlement est encore un animal assez malicieux et vigoureux, et, parbleu, non encore apprivoisé.