ACTE GENSCHER-COLOMBO POUR L'UNION EUROPEENNE
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlement écoute une nouvelle fois le ministre allemand des Affaires étrangères Genscher qui, en son nom propre et en celui de son collègue italien Colombo, soumet à l'Assemblée les résultats des négociations engagées sur l'initiative italo-allemandc pour relancer l'Union européenne.
Un an après les premières propositions et à huit mois de la conclusion des négociations, l'impasse est évidente et résulte de la méthode adoptée par les gouvernements qui requiert l'unanimité pour les accords et exalte le rôle des diplomaties nationales naturellement portées à privilégier un nationalisme à courte vue au détriment de l'intérêt plus général du développement de la Communauté.
Le résultat finalement obtenu avec la Déclaration solennelle de Stuttgart, très éloigné des propositions - pourtant réalistes et pragmatiques - de Genscher et Colombo, apparaît non seulement très modeste, mais absolument sans effet sur le développement de la Communauté. In "Discours au Parlement européen, 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 14 octobre 1982)
Monsieur le Président, il y a dix ans, le premier sommet de la Communauté élargie à neuf déclarait solennellement qu'on aurait atteint l'union économique et monétaire et l'union politique en 1980, et il mettait en route des procédures dont il n'était que trop facile de prédire qu'elles n'auraient abouti ni à l'union monétaire ni à l'union politique.
Aujourd'hui, dix ans plus tard, la Communauté sans unité monétaire et sans unité politique, se trouve devant des défis et des responsabilités qui la rendent encore plus nécessaire et en même temps elle est dans un état d'impuissance et de délabrement croissant.
MM. Colombo et Genscher sont venus, il y a un an, nous annoncer qu'ils allaient faire des propositions, réalistes et pragmatiques, de relance de la construction européenne et que, pour les mener à bien, ils auraient fait recours aux mêmes procédures d'il y a dix ans, c'est-à-dire à des consultations courtes et superficielles, et nous l'avons vu et rapidement oublié, des instances authentiquement européennes, notamment du Parlement européen et à une négociation secrète avec les diplomaties nationales.
Je comprends, Monsieur Genscher et Monsieur Colombo, votre embarras, puisque vous êtes obligés de nous dire aujourd'hui avec une éloquence qui enveloppe mais qui ne réussit pas à cacher le vérité, que vous avez atteint presque des accords dans maintes questions de détail, de forme, de rhétorique européenne, mais que, sur les points cruciaux, vous en êtes bien loin. Je vous souhaite bonne chance, Messieurs les Ministres, car si vous réussissez, la Communauté aura en tout cas fait un petit pas en avant, et ce serait mieux que rien mais je ne vous cache pas ma conviction profonde que vous êtes dans une impasse et cela non pas à cause de ce que vous avez proposé mais à cause du chemin que vous avez pris pour l'atteindre.
Si j'ai demandé la parole, ce n'est pas pour vous faire part de mes souhaits et de mes doutes, mais pour attirer votre attention sur un fait nouveau que vous connaissez mais dont je crois que vous n'avez pas saisi l'importance.
Le président de la commission institutionnelle, Mauro Ferri, vient de vous parler des travaux institutionnels entrepris par le Parlement européen. Le Parlement vient de voter au mois de juillet des orientations de fond pour ces travaux, à une majorité écrasante de ses membres. Au commencement de 1984, il ne transmettra pas ce projet au Conseil, mais il le remettra à chaque gouvernement en l'invitant à en demander la ratification par ses instances nationales compétentes, parfois les parlements, parfois par le biais de référendum. Or, je ne vous demande pas de vous prononcer ici ce soir à ce sujet, mais d'en débattre dans vos gouvernements en vue d'être capables de revenir bientôt ici et de nous dire que, si le Parlement européen, seul représentant légitime des citoyens européens dans leur ensemble, approuve un projet de constitution de l'Union européenne avec un très large consensus de ses membres, votre gouvernement - je dis votre gouvernement, et non le Conseil - s'engage à en proposer la ratification par v
otre pays.
Monsieur Genscher, Monsieur Colombo, sachez penser avec l'audace politique qui a permis à Robert Schuman en 1950 de mettre résolument de côté une méthode devenue stérile et d'entreprendre quelque chose de nouveau et de fécond. Aujourd'hui, cet aspect nouveau et fécond est représenté par l'entreprise constitutionnelle du Parlement européen. Sachez la comprendre, sachez la faire vôtre, sachez inviter ceux qui voudront vous suivre à vous suivre!