BILAN D'ACTIVITE DE LA PRESIDENCE ITALIENNE DU CONSEIL
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlement européen examine le bilan de l'activité déployée par les gouvernements de la Communauté dans le cadre du semestre de la présidence italienne du Conseil. Le rapport est présenté à l'Assemblée par le ministre des Affaires étrangères Andreotti.
Au cours de ce semestre s'est achevé le travail du comité institutionnel nommé par le Conseil européen de Fontainebleau (juin 1984) et présidé par l'Irlandais Dooge.
Le rapport du comité a été présenté au Conseil européen de Bruxelles (mars 1985), avec l'avis approuvé à la majorité des membres du Comité (Britanniques, Danois et Grecs y étant opposés) de convoquer une conférence intergouvernementale chargée d'élaborer un projet de traité d'Union européenne inspiré du projet du Parlement européen.
Le Conseil européen de Bruxelles décide de renvoyer toute décision à ce sujet au Conseil européen de Milan (juin 1985). A l'occasion de la réunion de Bruxelles, les chefs de gouvernement de la Communauté ont finalement achevé les négociations pour l'adhésion de l'Espagne et du Portugal à la Communauté.
Le Parlement européen, sur la base des propositions de la commission institutionnelle et à l'occasion de rencontres entre le comité Dooge et une délégation de l'Assemblée conduite par le Président Pflimlin et par Spinelli, a demandé à plusieurs reprises d'être considéré comme un partenaire à part entière des gouvernements dans l'élaboration du traité, condition essentielle pour que le résultat final de la négociation respecte les exigences nationales et européennes et pour que les tendances conservatrices des diplomaties nationales soient réduites de manière draconienne.
Les exigences du Parlement européen ont été mollement accueillies par le gouvernement italien qui se prépare à proposer au Conseil européen de Milan la convocation d'une Conférence diplomatique traditionnelle. In "Discours au Parlement européen, 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 11 juin 1985)
Monsieur le Président Andreotti, si je ne prononce dans mon intervention ni remerciements, ni bons voeux, ce n'est pas par manque de courtoisie, mais bien par manque de temps. En effet, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole pour me concentrer sur un seul thème, je veux parler des conclusions auxquelles le Conseil de Milan devra aboutir au sujet de la conférence intergouvernementale pour l'Union européenne. C'est la quatrième fois que le Parlement est appelé à se pencher sur ce thème, non seulement à l'occasion de débats, mais également à l'occasion de motions dont les termes étaient précis et qui avaient été approuvées à une large majorité. Et pourtant, nous n'avons pas encore réussi à obtenir une réponse précise aux questions que nous n'avons eu de cesse de poser.
Je souhaiterais rappeler quelles sont les questions essentielles qui se posent aujourd'hui, à la veille du Conseil de Milan, des questions qui ne concernent pas tant l'ampleur du pouvoir du Parlement, du pouvoir du Conseil et de la Commission, l'extension des compétences, que la préparation de la procédure à suivre pour réaliser l'ensemble de ces objectifs. Nous avons demandé, et nous continuons à demander, qu'une décision soit prise à Milan, non pas sur le contenu de l'Union - ce qui ne manquerait pas de paraître par trop prétentieux mais bien sur la convocation d'une conférence internationale dans le but de négocier. Il est temps que l'on mette de côté les projets de protocoles additionnels, de déclarations plus ou moins solennelles, dont l'histoire de la Communauté regorge.
En deuxième lieu, nous demandons que la Conférence soit convoquée sur base d'un mandat précis qui doit permettre de travailler avec énergie et d'aboutir aux modifications qui s'imposent. Nous indiquons l'objectif, nous reconnaissons le droit de modifier, mais nous tenons à imposer une limite qui est de respecter l'esprit et la méthode du Parlement. Il devra donc s'agir d'un mandat qui permette d'espérer qu'en l'espace d'un an, un texte définitif pourra être établi.
La troisième chose que nous demandons est de décider que la Conférence aura lieu même si tous les gouvernements ne veulent pas y participer, tant il est vrai que le seule manière de procéder pour pouvoir compter sur leur présence à tous, ou à presque tous, consiste à amener la majorité à dire: nous commençons, même si vous n'êtes pas là. Si, au contraire, nous refusons d'imposer ce principe, nous sommes convaincus qu 'il n'y aura pas de conférence, ou qu'une conférence aura bien lieu mais sans qu'aucun objectif précis n'ait été fixé.
En quatrième lieu, nous demandons que le Parlement soit associé à l'élaboration du texte définitif, mais nous n'avons pas encore réussi à obtenir des précisions à ce sujet. Toutefois, le fait d'associer le Parlement de la façon dont nous l'envisageons ne signifie pas que nous voulons donner à la conférence l'allure d'une concertation interinstitutionnelle, d'autant que nous savons tous combien ce genre de concertation peut être risible. Il s'agit, en effet, de réunions au cours desquelles le Conseil écoute ce que disent certains représentants qui se prétendent représentants du Parlement, pour ensuite remercier les orateurs, s'en débarrasser au plus vite et, finalement, prendre pour son propre compte les décisions qu'il veut bien prendre. Tout au plus fait-il l'effort d'en informer le Parlement. Comme nous l'avons dit et répété à plusieurs reprises, associer le Parlement à la Conférence signifie que, lorsque la Conférence aboutit en première lecture à une certaine formulation, celle-ci doit faire l'objet d'un
débat au sein du Parlement conformément à la procédure normale de fonctionnement du Parlement, c'est-à-dire avec travaux en commission et prise de décisions en Assemblée plénière. Et s'il apparait, au terme de cette procédure, que le texte est différent, il faudra alors appliquer la procédure de conciliation, comme c'est toujours le cas lorsque deux instances doivent trouver un terrain d'entente pour mettre au point un texte commun. Et ce n'est que lorsque ce texte aura été mis au point que l'on disposera du texte qui devra être approuvé. Je tiens à souligner qu'une telle exigence n'est pas due à un quelconque mouvement de vanité de la part du Parlement, qui prétendrait ainsi imposer sa présence partout. Au contraire, cette exigence s'inscrit tout naturellement dans la logique des choses. En effet, s'il est vrai, d'une part, qu'il s'agit d'un traité qui, de ce fait, doit être discuté par les représentants des gouvernements, il est d'autre part tout aussi vrai qu'il s'agit également d'une constitution qui, v
u sa nature, doit être élaborée par les représentants des citoyens de la Communauté en formation, c'est-à-dire par le Parlement européen. Sur le plan politique, il convient de se rappeler que la Conférence réunira des ministres qui sont certes, de bons Européens, et dont on peut dès lors attendre qu'ils s'occuperont de la chose européenne lorsqu'ils trouveront en dehors de leurs heures de sommeil - quelques heures à y consacrer. Mais il reste qu'ils seront aussi appelés à s'occuper de leurs problèmes nationaux, et qu'ils laisseront par conséquent à leurs administrations et à leurs diplomates le soin de s'occuper des problèmes européens. Or, nous avons pu voir tous ces diplomates à l'oeuvre au cours des derniers mois: ils ont été les instigateurs de ce à quoi j'ai déjà eu l'occasion de faire allusion au cours de mon intervention. Ce sont eux qui se sont donné pour tâche d'essayer de vider de toute substance ce projet, afin de le réduire à sa plus simple expression. Force est mallheureusement de reconnaître qu
e, même au sein de l'administration de la Commission, des voix se sont élevées pour exprimer des avis allant dans ce sens, au moment même où nous aurions précisément espéré le contraire.
Le participation du Parlement constitue la garantie que des citoyens, semblables à tous les autres citoyens de l'Europe, et qui sont chargés de les représenter, s'efforcent, grâce au mode de fonctionnement de cette institution, de - disons - sécréter l'élément supranational, de sécréter une volonté commune et vérita-ble. Pour cette raison, nous estimons qu'il est essentiel que le Parlement soit véritablement associé à l'élaboration du texte définitif.
Or, force est de constater, Monsieur Andreotti, que votre document reste vague, justement là où il est question de ces différents points. Et pourtant, c'est précisément sur ces problèmes qu'une décision devra intervenir à Milan, et c'est précisément la façon dont la décision sera prise qui permettra de dire si Milan aura été une réussite, que l'histoire pourra retenir Milan comme le lieu où s'est écrit un nouveau chapitre de la construction européenne ou, au contraire, comme celui d'une nouvelle étape dans la dégradation de la Communauté. A Milan, vous ne pourrez éviter ce dilemme. Je voudrais que vous vous souvenez que c'est la quatrième fois que le Parlement vous le demande - et vous le demandera encore demain de façon solennelle par le biais d'une résolution qui sera sans doute adoptée à une très large majorité. Telles sont donc précisément les demandes formulées par le Parlement en ce moment. Nous disposerons par la suite de tout le temps nécessaire pour débattre, sur cette base, du problème des pouvoirs
plus ou moins larges de l'une ou l'autre institutions, ainsi que de celui du champ plus ou moins vaste de nouvelles compétences à attribuer à l'Union européenne.