CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE DE LUXEMBOURG
par Altiero Spinelli
SOMMAIRE: Le Parlament européen fait le point des négociations dans le cadre de la Conférence intergouvernementale convoquée à l'occasion du Conseil européen de Milan.
Les risques d'un dévoiement de "l'esprit" du projet de traité voté par le Parlement le 14 février 1984 se sont rapidement concrétisés, du fait notamment du gouvernement luxembourgeois - empressé de conclure, de quelque manière que ce soit, la négociation durant son semestre de présidence - et de la Commission exécutive, soucieuse pour sa part de conclure un accord sur le "paquet" de propositions déjà présenté au Conseil de Milan par le Président Delors.
Le Parlement européen répète une fois de plus - dans une question adressée à la Commission et au Conseil et déposée par Spinelli au nom de la commission institutionnelle - les exigences d'une participation effective à l'élaboration et à l'adoption des propositions de modification des traités. Spinelli avait en vain demandé au Parlement d'accompagner ses demandes de la menace d'utiliser tous les instruments institutionnels à sa disposition (y compris une "grève" du Parlement lui-même) pour imposer au Conseil et à la Commission ses exigences. In "Discours au Parlement européen, 1976-1986", éditeur Pier Virgilio Dastoli. (PE, le 23 octobre 1985)
Monsieur le Président, Madame le Président, d'un point de vue formel, la question orale de la commission institutionnelle que je présente est adressée à la Commission exécutive; mais en réalité, elle est adressée aussi bien au Conseil ou, plus exactement, à la conférence intergouvernementale.
Je sais, Monsieur Delors, que vous avez défendu, au sein de la conférence, la requête du Parlement de participer de plein droit à l'élaboration du texte définitif de réforme de la Communauté et de la coopération politique. Je sais que vous partagez complètement le point de vue du Parlement, selon lequel les réformes de la Communauté et de la coopération politique doivent être partie d'un seul traité et être coordonnées dans la conception globale de l'Union européenne.
Au nom de la commission institutionnelle, je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, vous et votre Commission, pour cette attitude.
Je serai plus réservé au sujet du contenu des propositions présentées par vous, tant en matière de politique et de compétence qu'en matière institutionnelle. Certes, vos propositions sont plus avancées que celles qui ont été présentées par certains gouvernements, mais, comme, celles des autres, elles restent dans cette orniére, font en sorte que le pouvoir réel de décision demeure entre les mains du Conseil, le grand responsable de la paralysie croissante de la Communauté.
Que ce pouvoir soit un peu voilé ne change rien à la substance, mais je ne veux pas m'arrêter plus longuement, durant les quelques minutes qui me sont imparties, sur les maigres résultats de la conférence obtenus à ce jour en matière de réforme. Pour un seul point, la conférence, semblet-il, a atteint un résultat clair: elle a formellement refusé au Parlement le droit de participer à l'élaboration et au vote final du texte.
Avec un langage qui frise l'insulte, la conférence nous a, hier, fait savoir qu'ayant prévu des rencontres d'information avec notre président, elle »rencontre les préoccupations de notre institution et que, dans le même esprit, la conférence soumettra le résultat de ses travaux au Parlement , c'est-à-dire lui fera rapport.
Comme nous l'invitâmes à considérer qu'ayant fait ce rapport sur le texte final, la conférence serait prête à considérer ce rapport comme fruit d'une première lecture et à se concerter avec le Parlement sur d'éventuelles modifications, la réponse fut nette: il n'y aura pas de seconde lecture. S'agissant d'un événement aussi important que la réforme d'un corps politique qui se veut démocratique et qui possède déjà un Parlement directement élu, cela signifie que celui-ci est exclu de toute la procédure constituante, à l'image d'un immense café de commerce où l'on exprime des opinions sans poids politique.
Tout en restant fidèle à l'esprit et à la méthode de son projet, le Parlement ne considère pas celui-ci comme intangible, comme une chose à prendre ou à laisser. Il est prêt à rechercher toutes les voies qui soient porteuses d'un progrès réel fondé sur un consensus plus large. Ce qu'il ne saurait accepté, c'est que son projet soit jeté dans la poubelle et que lui, le Parlement, soit maintenu dans d'insignifiants limbes de consultation.
Pour que la volonté da Parlement demeure consignée dans un document écrit, la commission institutionnelle vous propose, chers collègues, que ce débat s'achève avec le vote d'un résolution qu'elle a adoptée à l'unanimité. Aux termes de cette résolution, premièrement, le Parlement n'accepte pas la réponse donnée par la conférence; deuxièmement, il revendique un droit de participation réel, troisièmement, il attire l'attention des gouvernements sur les risques d'une crise institutionnelle grave qui menacerait la Communauté si les gouvernements devaient entériner la décision de la conférence; en effet, tout indique que ces gouvernements doivent revenir sur cette décision et prendre sérieusement en considération notre requête.