JOURNEES ANTIPROHIBITIONNISTES DE BRUXELLES INTERVENTION DE JOSE HAPPART (*)
Merci de m'avoir invité à vous apporter un témoignage plutôt qu'une religion toute faite quelle qu'elle soit. J'ai une fille de 14 ans et une autre de 16 et comme beaucoup de pères de mon âge, ma crainte, c'est évidemment qu'elles aient des contacts avec la drogue, et ensuite qu'elles s'y laissent entraîner. Ce que j'ai pu constater par rapport à la drogue, c'est l'immense détresse humaine qui frappe évidemment les victimes de ce fléau. Pour moi, comme c'est malheureusement souvent le cas dans l'organisation de la vie en société, la drogue c'est avant tout une grande hypocrisie. Surtout en ce qui concerne les drogues dites douces dans la mesure où le haschisch n'est pas plus nocif que le tabac ou l'alcool. Mais ce que l'on tolère pour le tabac ou l'alcool, on ne le tolère pas pour le hascisch notamment.
Je suis d'accord avec l'intervenant qui m'a précédé quand il a dit que la pénalisation, donc l'acharnement des poursuites contre la drogue mais le plus souvent contre les victimes plutôt que contre les organisateurs, remplit les prisons mais ne donne pas de solution. Quant aux masses budgétaires que l'on consacre à l'internement des drogués en milieu carcéral, elles pourraient être utilisées, à mon sens, d'une façon plus intelligente. Je crois pour ma part que la dépénalisation des drogues serait dans la pratique très difficile à organiser d'une façon généralisée. Comment parvenir à marquer la limite entre ce qui est considéré comme drogue douce et ce qui est considéré comme drogue dure telle que l'héroïne. Je remarque que chez nous, dans les dancings, dans les soirées dansantes, etc, de plus en plus de jeunes prennent ce qu'on appelle l'exctasy, ce qui leur donnerait un plus pour participer à la fête. Et là aussi, il y a un effet d'entraînement et un autre de danger pour ces jeunes lorsqu'ils prennent leur
voiture pour retourner. Ils sont en général plus perturbés et leur conduite est plus incertaine encore que s'ils avaient simplement bu de l'alcool. Evidemment, l'effet cumulé de ces deux drogues est d'autant plus catastrophique pour la sécurité des citoyens. Je suis pour le principe de la dépénalisation. A la limite, j'irais même jusquà la dépénalisation totale des drogues, quelles qu'elles soient, même les plus dures, en me disant que c'est probablement le seul moyen de faire diminuer le coût de la drogue et donc l'intérêt pour les vendeurs de drogues qui favorisent auprès des jeunes la prise de drogue. En vendant la drogue au prix qu'elle coûte, il n'y aurait plus de dealers. En effet, si l'héroïne est vendue au prix qu'elle coûte pour sa production, si la cocaïne est vendue au prix qu'elle coûte pour sa production, jamais plus personne n'ira à la sortie de l'école pour tenter d'habituer les enfants à consommer ces produits puisqu'ils ne seront plus rentables.
Dans ma ville de Liège, en Wallonie, j'avais, à l'entrée de mon bureau un petit sasse, et plusieurs fois par semaine, lorsque je rentrais après 10 heures du soir dans mon bureau, je constatais que malheureusement des jeunes soit fumaient soit se piquaient dans ce petit réduit et que des filles se prostituant pour avoir de quoi s'acheter une dose. C'était un témoignage de détresse. J'aurais pu dénoncer ces jeunes en demandant à la gendarmerie ou à la police de venir les ramasser. J'ai plusieurs fois essayé de dialoguer avec eux et la réponse était: Monsieur, on aimerait bien s'en sortir mais c'est pas facile, on n'y arrive pas. Il n'y aura pas à mon sens une solution pour rencontrer le problème de la détresse humaine qui pour moi est de loin l'aspect le plus important du problème de la drogue. Il y aura par contre un ensemble de solutions. Va-ton parvenir à changer la société d'une manière suffisamment profonde et fondamentale pour que les jeunes ne cherchent plus ailleurs, dans l'inconnu ou dans l'illusion,
le manque de tendresse de parents trop occupés par leur travail, trop occupés par la vie active qui est celle que malheureusement la plupart d'entre nous partagent. Pourrons-nous, chacun de manière individuelle, nous investir suffisamment fort et suffisamment loin pour encadrer les jeunes qui ont déjà goûté à la drogue ? J'ai commencé en disant que la drogue, pour moi, était aussi et surtout une question d'hypocrisie de la part des dirigeants qui, lorsqu'ils s'adonnent de temps à autre de manière démesurée au tabac ou à l'alcool peuvent, à la limite, le faire en toute impunité. Quant aux substances qu'ils ne consomment pas eux-mêmes, ils veulent les interdire aux autres.
La première personne qui a fumé un joint en face de moi s'appelait Coluche. Il était venu nous rendre visite au 'Resto du Coeur' de Liège et en retournant pour prendre l'avion, il a demandé à son impresario de lui passer un joint qu'il a fumé dans la voiture. C'est la première fois que je sentais l'odeur du haschisch, j'avais alors 38 ans. C'était donc pour moi la première expérience de contact concret avec quelqu'un qui fumait un joint et je me suis demandé pour quelle raison il l'avait fait. Il considérait en fait que c'était une récompense un peu comme quelqu'un qui sort d'une réunion où, désormais, on ne peut plus fumer et qui se précipite sur une cigarette. C'était pratiquement la même attitude et il n'était pas, en tout cas à mon sens, spécialement pété. Il ne représentait pas, à mon sens toujours, un danger pour la société. Je ne vois donc pas pourquoi on aurait dû lui interdire de fumer ce type de drogue.
Ce qui pour moi est dramatique et grave, c'est le manque de contrôle et d'encadrement qui permettrait de ne pas passer de la drogue douce à la drogue dure. Est-ce que les placebos que l'on utilise actuellement pour pallier aux drogues dures sont une solution? D'après les techniciens toujours, ce n'est qu'une solution à court terme parce que si l'on ne rencontre pas les besoins fondamentaux humains des toxicomanes après les avoir progressivement ou superficiellement désintoxiqués de l'héroïne par exemple, si on n'a pas mis en place un autre type d'encadrement pour eux, alors ils rebasculent à 90 pour cent. Il y a donc, à ce niveau, un engagement qui doit être plus profond.
Je voudrais terminer mon intervention en relevant que celles et ceux qui se font les chantres de la mise en cause de la drogue, dès qu'on leur parle de la nécessité d'assumer leurs responsabilités plus loin que simplement la condamnation ou plus loin que simplement l'exlusion afin de remédier au mal profond, ils tournent la tête et refusent d'assumer.
C'est une des raisons pour lesquelles je suis d'avis de suivre la position d'Olivier Dupuis dans le terme de la dépénalisation des drogues douces parce qu'il faudra bien un jour commencer par quelque part, il faudra bien un jour dire: la société va s'assumer en assumant les victimes autrement qu'en les enfermant en milieu carcéral.
Je sais que la première raison de la drogue, c'est le bénéfice plantureux qu'en retirent les dealers et les commerçants de la drogue. Les producteurs qui cultivent le pavot ne s'enrichissent pas nécessairement. D'ailleurs, peut-être que si on les encadrait mieux dans des productions agricoles alternatives, ils ne cultiveraient plus ce type de produit. Ceux qui font les gros bénéfices sont évidemment les commerciaux. C'est un constat. L'autre constat, et c'est celui qui me touche beaucoup plus, c'est la détresse que j'ai pu constater dans le regard des victimes. Parce que je considère ces consommateurs comme des victimes plutôt que comme des criminels.
(*) député européen, socialiste (Belgique)