JOURNEES ANTIPROHIBITIONNISTES DE BRUXELLES: INTERVENTION DE JEAN-MARC PICARD (*)
Si on veut faire le point sur la situation de la répression des stupéfiants en Belgique, on peut dire qu'il y a, comme dans un grand nombre de pays, un gap important entre ce qui se fait et ce que la loi prévoit. Au risque de choquer certains juristes, je pense que l'on peut considérer globalement que l'on ne poursuit plus en Belgique pour usage et détention à titre personnel de cannabis. Effectivement, celui qui connaît un peu la situation en Belgique, sait qu'il y a des exceptions. Mais je pense que ce sont les exceptions qui confirment la règle. C'est-à-dire qu'il devient effectivement très rare en Belgique de voir quelqu'un qui est renvoyé devant un tribunal correctionnel uniquement parce qu'il a détenu ou consommé, en groupe, des drogues douces.
Ceci dit, il y a des exceptions et, pour le moment, un ou deux procès sont en cours. Aucune décision n'a encore été rendue. Des questions sont posées à la Cour constitutionnelle belge, à la Cour d'arbitrage, mais pour le moment, il n'y a pas encore de décisions qui soient rendues. Je pourrais vous parler du sens des questions qui ont été posées à la Cour d'arbitrage mais ce serait relativement technique.
On a donc, d'un côté une dépénalisation de fait pour la détention et l'usage, le tout à titre personnel, avec les exceptions que j'ai indiquées et, d'un autre côté, une législation extrêmement restrictive et extrêmement répressive. Il n'y a pas, comme en Hollande ou en Italie, une différenciation entre les drogues douces et les drogues dures. On traite donc ces drogues sur le même pied.
En Belgique, il y a essentiellement deux instruments légaux: une loi de 1921 qui a été modifiée en 1975 et qui est une loi relativement brève. Elle prévoit des peines relativement lourdes pour tout ce qui concerne le drogue et j'emploie de nouveau volontairement un terme flou. Cette loi renvoie ensuite, quant à la définition des infractions, à un arrêté d'application. Il appartient donc au gouvernement de finalement dire ce qui est une infraction et ce qui ne l'est pas. Et ce, avec un contrôle réduit du Parlement.
Dès lors, quelle est la situation à l'heure actuelle?
On a d'une part, la loi de 1921 qui sanctionne par des peines lourdes, puisqu'elle prévoit un emprisonnement de 3 mois à 5 ans et une amende de 1.000 à 100.000 francs qui doit chaque fois être multipliée par 200, ceux qui auront fait usage en groupe de substances stupéfiantes. Cette loi prévoit en outre certaines modalités qui permettent de durcir ou d'augmenter les peines. C'est-à-dire qu'on prévoit une augmentation des sanctions si les infractions ont été commises à l'égard de mineurs de moins de 16 ans, ou si les infractions (et je crois que cela doit nous amener à réfléchir) constituent des actes de participation à l'activité principale ou accessoire d'une association. Dans ce dernier cas, les peines prévues sont des travaux forcés de 10 à 15 ans. On prévoit des travaux forcés de 15 à 20 ans si les infractions ont été commises à l'égard d'un enfant âgé de moins de 12 ans ou si elles constituent des actes de participation en qualité de dirigeant à l'activité principale ou accessoire d'une association. Vou
s voyez donc que, théoriquement, les peines peuvent monter assez haut et vous imaginez aisément qu'il existe toute une échelle de peines puisqu'on peut aller du plus bas (une peine de trois mois) au plus haut (une peine de 20 ans de prison).
Vous avez entendu que cette loi sanctionne l'usage en groupe de stupéfiants. Et donc, la loi belge comprend quelque chose d'extrêmement particulier, à savoir que l'on ne sanctionne pas l'usage à titre individuel, mais on sanctionne l'usage en groupe. Ceci étant, c'est une nuance qui est, je dirais, purement juridique parce que, pratiquement, il n'y a pas de grande différence dans la mesure où l'arrêté d'application de la loi, l'article 11, interdit d'importer, d'exporter, de fabriquer ou de détenir des substance stupéfiantes. Dès lors, même si l'on peut imaginer que quelqu'un ne sera pas poursuivi parce qu'il a consommé, non en groupe mais seul, des poursuites pourront cependant être faites contre cette personne parce quelle a détenu des drogues.
Voilà la situation, je dirais dans une certaine pureté, des possibilités de prononcer des sanctions à peu près tous azimuts puisque vous avez vu qu'on poursuit l'usage en groupe et j'ai expliqué que par l'incrimination de la détention de stupéfiants, on poursuit finalement aussi l'usage individuel. Il m'est d'ailleurs arrivé de plaider pour quelquun qui n'était poursuivi que pour usage individuel et le parquet a dû reconnaître, qu'effectivement, ce n'était pas une infraction mais que, bien entendu, il y avait détention. On peut d'ailleurs pousser la tartufferie assez loin puisque qui consomme individuellement détient dans son corps des stupéfiants et donc peut être poursuivi. L'arsenal législatif répressif est donc extrêmement complet.
Ceci dit, si l'on veut se poser concrètement la question d'une action de type politique, similaire ou adaptée, par rapport à ce qui a été fait à Rome, on est effectivement confronté au principe assez général du droit belge de l'opportunité des poursuites. Selon ce principe, le parquet peut décider s'il pousuit ou non. Et c'est en vertu de ce principe que dans la grande majorité des cas, le parquet ne poursuit pas les gens qui détiennent et qui consomment des drogues douces à usage personnel.
Dès lors il faut voir à quel niveau on placera la barre. Je pense que si c'est une action qui est de masse, qui est médiatique et dont on parle, on peut penser qu'il y aura des tentations de la part de certains parquets à poursuivre. Ceci dit, vu la situation actuelle de la justice en Belgique, vu les nombreuses critiques qui portent sur le fonctionnement de l'appareil judiciaire, je n'ai pas le sentiment (mais c'est une impression totalement subjective) que l'appareil des parquets ait envie de se mettre, pour le moment, un procès de principe sur le dos.
Ce qui veut dire que, finalement, le choix devient simple et binaire: soit on fait une action qui est une provocation et qui va paraître légère. Le parquet nous laissera alors jouer. Soit, effectivement, il faudra que l'on place la barre très haut pour que des poursuites soient entamées. Mais je vous l'ai signalé, à ce moment-là, des sanctions relativement lourdes peuvent être prononcées.
(*) avocat, Belgique