CONFERENCE DE DAKAR POUR LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL: DISCOURS DE M. OLIVIER DUPUIS, MEMBRE DU PARLEMENT EUROPEEN ET SECRETAIRE DU PARTI RADICAL TRANSNATIONAL
Dakar, le 6 février 1996
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs, je suis particulièrement heureux et quelque peu ému d'être avec vous et parmi vous aujourd'hui;
Il y a dix ans, pas très loin d'ici, à Ouagadougou, avec des amis du Niger, du Mali, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire et évidemment du Burkina, j'ai participé à la fondation d'une association qui s'appelait "l'Association Radicale pour l'Etat du Droit en Afrique" (AREDA). Les cheminements de nos rêves, de nos espoirs, de nos espérances sont parfois imprévisibles. Dix ans plus tard, je me retrouve parmi vous, parmi des délégués de la plupart des pays d'Afrique qui travaillent, qui réfléchissent et qui essayent de comprendre comment aller de l'avant sur une initiative centrée sur la préoccupation et l'objectif de renforcer l'Etat de Droit en Afrique et pas seulement en Afrique mais dans le monde entier.
Le Parti Radical, comme l'a dit le Président, est un Parti transnational, ou, en tout cas, qui essaie de l'être et un parti transparti, c'est à dire un parti qui essaie de rassembler des personnes, au delà de leurs appartenances nationales, idéologiques, philosophiques, religieuses, sur des objectifs ponctuels. Un de ces objectifs, si non le principal pour le moment, est celui de tenter de jeter les bases, avec le concours des hommes et des femmes de bonne volonté partout dans le monde, pour un peu plus de droit, un peu plus de justice, un peu plus de d'Etat de droit au niveau international.
Cette longue campagne sur laquelle nous sommes engagés depuis plus de six ans a connu ces jours-ci à Dakar des moments importants, peut être même le moment qui nous fera basculer du bon côté, du coté de l'institution - finalement - de cette première juridiction pénale permanente. Une longue campagne donc qu'il nous appartient à tous et à toutes de mener à bien au cours des cinq prochains mois; car, et je pense qu'il s'agit là du point le plus important, nous devons faire en sorte, tous ensemble, africains, américains, asiatiques et européens que la conférence se conclue le 17 juillet par la constitution effective de cette Cour.
Le délégué du Lesotho a parlé hier de la confection d'un gâteau, et je pense que nous sommes très majoritairement, si non unanimement d'accord, sur le fait, comme l'a dit Mme Bonino, comme l'a dit Mme Arbour et comme l'ont dit d'autres délégués que les compétences de ce Tribunal ne doivent pas être illimitées, qu'il convient de cerner, de limiter notre objectif à des crimes particuliers, aux crimes les plus graves, au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre, et, parallèlement, d'insister, d'être très attentif, d'être très exigeants sur les procédures, sur la force de ce Tribunal, sur sa capacité d'intervenir, sur sa capacité de juger effectivement dans des délais raisonnables. Un Tribunal qui soit donc doté de moyens financiers suffisants, qui soit du point de vue financier partie intégrante du système des Nations Unies, qui soit doté d'un Procureur indépendant, qui ait un fonctionnement autonome par rapport au Conseil de Sécurité et qui jouisse de la pleine coopération des Etats natio
naux; je pense que sur ces caractéristiques il y a un consensus quasi général parmi les délégués qui participent à cette Conférence. Notre problème est plus le problème de renforcer la mobilisation au cours des cinq mois qui nous séparent de l'ouverture de la Conférence de Rome. Je suis personnellement convaincu que l'Afrique, que les Etats africains peuvent faire la différence. Mais pour cela nous devons utiliser pleinement les cinq mois qui nous restent pour faire en sorte que l'Afrique soit présente en force à Rome, qu'elle puisse démontrer qu'elle peut, sur un objectif de cette importance, se mobiliser; comme parti transnational nous continuerons à travailler à la mobilisation des parlements. Un projet de motion parlementaire a été distribué aux délégués. Nous le ferons parvenir dans tous les parlements d'Afrique. Nous continuerons à mobiliser les parlements d'Afrique et pas seulement d'Afrique d'ailleurs, d'Amérique du Sud, d'Amérique du Nord, d'Europe, d'Asie, pour faire en sorte que le plus grand nomb
re de gouvernements du monde reçoivent au cours des prochains mois des impulsions nouvelles de la part de leur parlement respectif.
Une autre chose qui serait, je pense, particulièrement importante est celle de pouvoir compter à Rome à l'ouverture ou à la clôture de la Conférence sur la présence d'un maximum de Chefs d'Etat africains. Cela serait, je n'en doute pas, un gage de réussite de cette Conférence.
Une autre chose importante dans le contexte dans lequel nous nous trouvons concerne l'information des citoyens. Là aussi chaque délégation peut faire beaucoup pour que dans toutes les capitales d'Afrique, les citoyens, un maximum de citoyens, soient informés sur l'état d'avancement des travaux, pour que les populations se mobilisent sur cet objectif.
Plus généralement, je pense que dans un contexte de globalisation, la confiance et la certitude du droit qui ont été, il y a quelques centaines d'années, à l'origine du développement extraordinaire de pays comme les Etats Unis et les Pays Bas, ne sont plus des conditions suffisantes pour assurer les conditions du développement et de la démocratie si elles sont le fait du seul contexte des Etats nationaux. Aujourd'hui la confiance et la certitude du droit doivent être aussi le fait de la communauté internationale dans son ensemble.
Enfin, je pense que la révolution technologique que nous sommes en train de vivre, internet, la télématique, peuvent être la garantie que la création embryonnaire, encore insuffisante, d'une véritable Communauté internationale, à travers des instruments comme la Cour Pénale, acquière tout son sens grâce à sa diffusion, à la possibilité d'être accessible à un maximum de citoyens. Nous devrions donc revendiquer la possibilité qu'à travers internet, à travers ce réseau mondial, un maximum de citoyens dans le monde puissent être en mesure de suivre les procès de cette Cour Internationale Permanente, puissent suivre ces débats, puissent comprendre que la communauté internationale répond concrètement aux plus graves violations contre les droits fondamentaux et puissent donc comprendre qu'il est possible dans un monde toujours plus village que les citoyens participent directement, interagissent, apportent leur contribution à l'élaboration et à la construction d'un monde où l'Etat de Droit est un Etat de Droit pour
la communauté internationale toute entière, pour tous et pas seulement pour quelques-uns.
Mesdames, Messieurs, j'espère que nous pourrons, chacun de notre côté et tous ensemble, utiliser les cinq mois qui nous restent pour faire en sorte que la Conférence de Rome s'ouvre mais surtout se conclue sur la création effective de ce premier embryon de Droit, de justice internationale. Je vous remercie.