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Morin Edgar - 28 aprile 1988
Penser l'Europe
interview d'Edgard Morin par Giancarlo Loquenzi

(Nouvelles Radicales n.2 - Mai 1988)

Edgard Morin est né à Paris en 1921. Il est aujourd'hui directeur de la section des sciences humaines et sociales du CNRS. Il dirige également le Centre des Etudes interdisciplinaires de l'Ecole des Hautes Etudes de Paris. Il est animateur de la revue "Communication". Il es t l'auteur de nombreux ouvrages dont "le paradigme perdu". Il a publié récemment aux éditions Gallimard "Penser l'Europe". L'interview que nous publions ici a été réalisée à Parme, à la mi-avril, par Giancarlo Loquenzi, directeur de Radio Radicale. Il s'agit bien entendu d'une interview orale et la transcription que nous publions ici n'a pas été revue par l'interviewé. Nous assumons bien sûr toutes les imperfections et imprécisions que cette retranscription et sa traduction successive pourraient contenir.

SOMMAIRE: Jusqu'en 1945 il n'est pas possible de donner une définition politique de l'Europe en dehors des guerres et des conflits. Maintenant que l'Europe est menacée par un destin commun de décadence face aux grandes puissances, c'est seulement en constituant une fédération politique que nous pouvons définir l'Europe. Mais également dans le domaine culturel la caractéristique de l'Europe est le conflit, l'antagonisme entre la foi et la raison, entre la certitude et le doute, entre le rationalisme et l'idéalisme... et c'est cette vitalité culturelle là, marquée par le conflit qui constitue cette nouveauté que nous appelons humanisme européen. Notre tâche est maintenant de l'apporter aux cultures qui lui sont les plus étrangères, recueillant en même temps les stimulus de ces cultures qui sont les plus éloignées des nôtres.

Giancarlo LOQUENZI: La première question que je voudrais vous poser est aussi la plus difficile, mais la plus opportune, me semble-t-il, pour engager notre conversation. Quelle est la définition culturelle et politique de l'"Europe"; est-il possible d'en donner une?

Edgard MORIN: C'est possible mais ce ne l'est certainement pas en deux mots. J'ai écrit un livre de plus de 200 pages pour traiter de cette définition. Je veux dire que ce n'est pas facile, parce qu'on ne peut parler d'une réalité géographique. L'Europe n'est rien d'autre qu'une péninsule de l'Asie, la Méditerranée ne peut être considérée comme une frontière; durant l'Antiquité, la Méditerranée représentait une voie de communication, certes pas une frontière.

L'Europe comme concept d'ensemble s'est stabilisée au cours d'une période très tardive, après l'effondrement de la romanité, et l'on peut dire que l'Europe au sens moderne naît aux alentours de l'an 400. C'est de cette modernité que dérive la spécificité de l'Europe. Il s'est agi d'un tourbillon historique. Pensez au développement des villes, de la bourgeoisie, des échanges, de la science, des Etats nationaux... Toutes ces choses se sont développées d'abord en Italie, en Hollande, en Angleterre et ensuite au Portugal et en Espagne. En somme, ce tourbillon s'est répandu d'Ouest en Est, créant la première lueur de la civilisation européenne. Mais cette civilisation a émergé au milieu de guerres et de conflits permanents. Il n'y a donc pas de définition politique de l'Europe en dehors des guerres et des conflits et cela est vrai jusqu'en 1945. L'Europe des conflits et des guerres a sanctionné avec eux sa mort et sa destruction. Voilà le suicide des deux guerres mondiales. L'Europe a toujours refusé de toutes se

s forces l'hégémonie d'un seul Etat - pensez à Charles Quint ou à Napoléon, mais n'a pas su vaincre l'hégémonie de la guerre. Les libérateurs sont venus de Sibérie ou du Texas... Alors aujourd'hui, si nous voulons définir l'Europe, on ne peut le faire qu'à travers la volonté de construire la fédération politique de l'Europe, pour le moment de celle de l'Europe occidentale, mais un jour aussi peut-être de celle de l'Europe de l'Est. Pourquoi cela? Pourquoi seulement maintenant? Parce que l'Europe se trouve aujourd'hui face à une communauté de destin. Nous partageons le même destin de décadence, de déclin, de perte de la possibilité de déterminer notre futur, parce que l'Europe est toujours plus aux mains des grandes puissances. Tel est le moyen de comprendre l'Europe du point de vue politique.

Du point de vue culturel, il existe une autre difficulté. En fait, que se passe-t-il au début de la modernité, avec la Renaissance? On assiste à la rupture de la synthèse médiévale entre la théologie d'origine ébraïco-chrétienne et la philosophie grecque et romaine. Un conflit s'ouvre donc entre la vision biblique de monde, dans laquelle il y a un Dieu qui génère toutes les choses, et la vision grecque dans laquelle il y a la physis, la nature, le monde qui est à l'origine de tout. C'est de ce conflit que naît la science moderne qui est devenue européenne et puis mondiale. Voilà pourquoi je définis la culture européenne comme une dia-logique; c'est à dire pas seulement dialogue, mais également antagonisme. Antagonisme entre la foi et la raison, entre la certitude et le doute, entre romantisme et classicisme, entre rationalisme et idéalisme et d'autres choses encore ... Et toute l'histoire culturelle européenne est toujours faite de la vitalité et de la productivité du conflit intellectuel.

Faisons un exemple: quand on se demande où est l'essence de l'humanisme européen, il y a qui répond que cette essence est judéo-chrétienne, autrement dit Dieu qui crée l'homme à son image et son fils, le Christ, qui s'incarne dans l'homme; c'est là - disent certains - que réside l'essence de l'humanisme. D'autres, comme le philosophe tchèque Patoshka, soutiennent que ce sont les Athéniens du V· siècle avant le Christ qui ont fondé l'humanisme européen dont l'image est la polis, la cité fondée non sur l'autorité divine mais sur celle des citoyens. Les Athéniens ont inventé une cité des hommes, pour les hommes, et ont séparé la philosophie de la religion de sorte que la raison a prévalu sur les décrets divins. Je soutiens que ces deux thèses sont en même temps vraies et fausses. C'est le conflit entre les deux essences qui est devenu productif et qui a créé cette nouveauté que nous appelons l'humanisme européen. Une fois encore l'essence de la culture européenne est le conflit. Les européens n'ont jamais accep

té l'hégémonie d'une idée fondamentale; l'idée qui prévaut est celle de l'antagonisme.

G.L.: Si nous regardons l'Europe d'aujourd'hui, peut-on y voir quelque chose de spécifique, de particulier qu'elle possède et qu'elle peut enseigner au reste du monde, aux Etats-Unis comme à l'Union Soviétique ou au Japon?

E.M.: Il est très difficile de répondre parce que les produits les plus particuliers sont universalisés. Les sciences, l'humanisme, l'Etat national, le capitalisme, le marxisme, tous ces produits européens sont devenus mondiaux et nous n'en sommes plus les propriétaires. Nous avons construit une sorte de vase de Pandore qui, une fois ouvert, a diffusé dans le monde ce qu'il contenait de bon et de mauvais. Je pense qu'aujourd'hui, nous ne pouvons plus aspirer à être un modèle pour quoi que ce soit. Le seule chose qui nous reste c'est l'énorme variété de nos cultures. Nous sommes à Parme et tout est ici très différent de Reggio d'Emilie qui est pourtant toute proche. La même chose vaut pour l'Espagne, pour la France, cette richesse de particularités, d'originalités existe partout en Europe. L'Europe est un espace compartimenté en de multiples petites cultures autonomes. On peut dire par contre qu'ailleurs dans le monde, on observe des espaces culturels beaucoup plus vastes et homogènes. Dans notre cas je crois

qu'il est juste de dire "small is beautifull" parce que tout cela se rapporte aussi à la dimension humaine de notre culture. L'Europe a développé, à travers une longue oeuvre de civilisation, quelques-uns de ce qu'on pourrait appeler des "arts de vivre". Et peut-être est-ce type de dimension que nous pourrions encore exporter dans le monde. On parle ensuite de la démocratie. Mais la démocratie n'est pas une spécificité européenne. L'histoire européenne est aussi celle des monarchies et des fascismes, italien, espagnol, allemand; on ne peut pas dire que l'Europe ait le monopole de la démocratie. Mais aujourd'hui les pays occidentaux sont plus ou moins démocratiques, ou veulent à tout le moins développer les formes démocratiques, tandis que les pays de l'Est font montre d'une grande aspiration à la démocratie. Peut-être qu'un de nos engagements devrait être celui de penser, développer, cultiver la problématique démocratique. Je pense qu'au fond nous nous trouvons aujourd'hui à la périphérie du monde et plus e

n son centre dominateur. Nous pouvons devenir une province, une province de la planète Terre. N'ayant plus la volonté de domination, nous pouvons nous faire les maîtres de l'art de vivre, de l'art de penser. Nous devrons nous ouvrir à toutes les autres civilisations, accepter aussi que celles-ci nous changent. Voilà là ce que nous pouvons faire. Ce qui ne nous est pas permis c'est de continuer à nous considérer propriétaires de quelque chose. Nous devons seulement être capables de reconnaître ce que l'histoire européenne a produit de bon et nous en faire les pasteurs dans le monde. Avant tout de la capacité d'opérer une problématisation généralisée. Celle-ci nous vient de la Renaissance, tout mettre en discussion: qu'est-ce que Dieu, qu'est-ce que l'homme, qu'est-ce que la vérité. C'est alors que Machiavel posa le problème de la politique, que Galilée posa le problème du monde et Erasme, Montaigne avec lui le problème de la raison. De la même manière nous devons être aujourd'hui les pasteurs de la problémati

sation, parce qu'il s'agit là de l'attitude fondamentale pour regarder les choses du monde. La seconde chose c'est l'ouverture, parce que la Renaissance a représenté un moment d'ouverture sur le monde où il n'y avait pas de chrétiens mais seulement des hommes et une immense civilisation. En même temps nous découvrions que nous n'étions plus au centre de l'univers mais sur une planète qui gravitait autour du soleil. Tout cela a changé notre manière de voir la réalité. Nous devons au cours de ce siècle revivifier l'ouverture d'alors, forts de l'humilité qui nous vient de nous avoir découverts à la périphérie de l'univers, troisième planète d'un petit soleil d'une galaxie de troisième ordre. Nous devons encore comprendre aujourd'hui le message profond de la culture bouddhiste, de la Chine, de l'Inde et quelques-une des civilisations indiennes de l'Amérique latine, petits peuples détenteurs d'une sagesse millénaire. C'est là la vertu que nous devons cultiver plus que toute autre: l'ouverture, et nous devons la t

ransmettre. Cette nouvelle "provincialité" européenne pourra aussi nous aider à dépasser la formule de l'Etat national. L'Europe a inventé l'Etat national. Les anglais ont commencé, ensuite les français, les espagnols et tous les autres et il s'agit maintenant d'une formule mondiale. Aujourd'hui cette formule a donné tout ce qu'elle avait de meilleur et tout ce qu'elle avait de pire. Dans le meilleur des cas nous pouvons reconnaître la création d'un espace de fusion de peuples et de cultures différentes, de circulation d'idées, plus encore que dans la cité-Etat. Mais il y a également le pire que constitue la naissance du pouvoir paranoïaque de l'Etat, qui ne reconnaît aucun pouvoir en dehors de celui de la peur d'un autre Etat. L'Etat national a servi jusqu'aux années de la décolonisation comme modèle pour les nouveaux Etats devenus indépendants de la domination européenne, mais aujourd'hui cette formule est devenue là aussi un esclavage, parce que la caste dominante de ces pays opère un type d'oppression in

digène, mais de toute façon une oppression. Nous qui avons inventé l'Etat national nous devrions être les premiers à nous en affranchir, créant une Europe méta-nationale. Une confédération avec des institutions régulatrices qui agissent d'en haut, mais également grâce à un mouvement qui vient d'en bas, de la province, de toutes les différentes réalités, qui éventuellement sont aujourd'hui suffoquées. C'est à l'intérieur de cet espace seulement que peuvent se poser et se résoudre des problèmes graves d'identité régionale et culturelle, comme celui des wallons et des flamands en Belgique, celui des basques en Espagne et en France, le problème de la Corse. L'Europe doit se faire du bas et du haut, il faut commencer à contenir la puissance de l'Etat national pour ensuite la dépasser.

G.L.: Comment pouvons-nous penser à une Europe confédérée, métanationale, si l'Europe que nous avons aujourd'hui devant les yeux est celle morcelée, lacérée, née du dernier conflit mondial? Quelle main pouvons nous tendre aux peuples des pays de l'Est et à leur nostalgie d'Europe?

E.M.: Il y a une première possibilité qui nous incombe, à nous pays qui nous nous trouvons de ce côté du rideau de fer, c'est de faire une confédération. Il y a ensuite le problème de l'autre versant qui dépend de nous en partie seulement. Il dépend en grande partie des développements de ce mouvement de réforme qui a commencé avec Gorbatchev. Malheureusement en effet, ce mouvement n'est pas irréversible, il n'a pas franchi le seuil de l'irréversibilité, tout peut encore s'écrouler. Mais si ce mouvement croît, alors on vérifiera nécessairement une forte diminution de l'effort économique sur le complexe militaire-industriel et par contre un développement du complexe de la société civile, du bien-être et de la liberté des peuples. Si on n'allait dans cette direction, une autre conséquence serait celle d'une libération graduelle des nations qui sont aujourd'hui sous le protectorat soviétique. On a commencé à voir cela en Hongrie par exemple. En attendant nous devons multiplier les relations culturelles, économiq

ues avec ces pays, et pourquoi pas penser aussi à leur entrée dans le Marché Commun. Dans cette perspective il n'est pas interdit d'imaginer une confédération de toute l'Europe; c'est possible. Je ne dis pas facile, mais possible. Si ce mouvement croît il pourra équivaloir à une véritable décolonisation de l'Union Soviétique. A ce moment-là la Russie elle-même pourra avoir un nouveau rapport avec l'Europe. Nous pouvons imaginer de nombreuses formules, mais si la réforme gorbatchévienne n'allait pas de l'avant, nous aurions alors les conséquences opposées; nous aurions alors de nouvelles augmentations des dépenses militaires, le retrait de l'Afghanistan n'aurait été alors qu'une duperie et le nouveau rapport avec l'Europe Occidentale, si s'en présentaient les occasions, pourrait être un rapport de domination. Imaginons une situation où l'Union Soviétique contrôlerait l'entièreté de la production de pétrole du Golfe et les Etats-Unis pousseraient à l'extrême leur tendance à l'isolationnisme et s'orienteraient

définitivement vers le Pacifique; qu'en serait-il de l'Europe? Je ne suis pas Gorbatchev, je ne suis pas à l'intérieur des secrets du Kremlin; je lis chaque matin les journaux pour voir ce qui se passe.

G.L.: Dans votre dernier livre "Penser l'Europe", vous avez écrit qu'un destin commun dû à la menace double mais connexe de l'atome et de l'asservissement politique se préfigure pour notre continent. Ne pensez-vous qu'une autre menace pèse sur le destin de l'Europe et de toute la planète: celle de la marée montante des affamés, des peuples de la pauvreté, d'un tiers-monde toujours plus vaste et désespéré?

E.M.: Ce n'est certes pas le même type de menace, parce qu'il n'existe pas de possibilité d'invasion de la part de ces peuples. C'est une menace planétaire. Et pour ce qui est de l'Europe, la voie est celle d'abandonner cette conception selon laquelle on se réfugie à l'intérieur de nos frontières comme dans une petite Suisse. Il faut au contraire s'ouvrir à la planète et se disposer à aider là ou il faut. Moi personnellement j'appuie la politique d'immigration comme celle qui déjà depuis le début du siècle s'est développée en France. Il y a chez nous de très nombreux immigrés nord-africains; en Allemagne, les Turcs et ainsi de suite... L'Europe a été faite par des non-européens, par les barbares venus d'Asie, par les envahisseurs. Aujourd'hui il ne s'agit pas d'invasion, mais d'intégration, et la faiblesse démographique de notre continent peut aider à l'intégration. Si notre patrimoine le plus précieux est la variété des cultures, des gens, il s'agit là d'une manière pour l'accroître. C'est la variété qui a

produit la démocratie. La menace dont vous parlez concerne toute la planète. J'ai écrit que nous sommes dans l'âge du fer de l'époque planétaire. L'unité de la planète est faite, elle est faite grâce aux communications, grâce aux informations, au moyen de l'interdépendance économique. Tout cela est évident. Nous nous ressentons de la guerre Iran-Iraq, des tensions au Moyen-Orient, du crack de Wall Street. Cependant cette interdépendance ne s'est pas encore changée en solidarité. Les haines raciales, les fanatismes religieux, les égoïsmes, les crétinismes, toutes choses qui s'érigent en obstacles à la confédération humaine, la chose la plus naturelle, la plus importante, sont en effet encore bien vivants. L'humanité doit devenir une conjonction de diverses confédération. Retournant à l'Europe: aujourd'hui que nous ne sommes plus liés à la volonté de puissance, de domination, nous pouvons donner des réponses valables à ces pays. Je m'insurge quand j'entends les décisions de Bruxelles qui réduisent les producti

ons de céréales, de lait, de viande, pour soutenir le marché intérieur. Cette vision doit être changée; nous avons besoin d'une nouvelle imagination politique. La charité épisodique ne sert pas, il faut concevoir un système plus organique de relations avec les pays du tiers-monde. Chaque menace sur le monde est une menace sur l'Europe, mais le contraire est vrai également. En un certain sens nous sommes aujourd'hui un immense magasin de valeurs du passé qui ne peuvent être régardées dans la seule perspective de la conservation, mais dans celle bien plus importante de la création du futur. C'est toujours dans le passé que se trouvent les germes du futur. Un autre exemple tiré de l'histoire culturelle européenne: les germes de la culture grecque, de Aristotèle, se sont enracinnés en Occident grâce à la civilisation arabe musulmane qui les a apportés en Andalousie et transmis au christianisme. J'étais il y a un mois au Maroc, à l'Université de la Karhaouin, à Fez, où se trouve le manuscrit arabe de l'Ethique Ni

comachéenne d'Aristotèle à partir de la traduction duquel l'Occident a pu le connaître. Si nous européens nous ne sommes plus en mesure de conserver et transmettre les germes de notre passé, ce sera une tragédie pour tout le monde.

G.L.: Je voudrais vous poser une question plus liée à l'actualité du débat européiste. Quel est votre jugement sur les institutions européennes en l'état actuel des choses, et comment pourraient-elles être changées?

E.M.: L'Europe qui est en train de se former aujourd'hui est seulement un tube digestif. C'est une Europe sans tête, sans coeur, sans jambes. En premier lieu je crois que le Parlement européen doit avoir des pouvoirs qui ne soient plus seulement consultatifs, mais devenir pour certaines matières telles que les transports, la monnaie, l'écologie, milles questions, un organes supranational. Je crois que les partis politiques doivent devenir européens, éventuellement avec des sections nationales. Et tous les problèmes qui sont aujourd'hui au centre de l'attention de nos pays doivent assumer une échelle européenne, même si c'est en conservant leur dimension "provinciale". Ce sont là les choses à faire. Il ne faut pas regarder seulement aux phénomènes économiques, qui pourtant sont importants parce qu'ils sont un élément multiplicateur des contacts entre les gens, mais il faut relancer le plan politique et également celui symbolique. Toutes les sociétés ont besoin de symboles "forts": un seul président, une monna

ie, un drapeau. Il faut donc multiplier les symboles et en même temps conquérir une dimension européenne pour toutes les institutions, juridiques, syndicales, de parti, de défense. Nous pouvons le faire, et 1989, l'année des élections européennes, peut être une bonne occasion pour mettre en route un "brain storming" politique, pour trouver de nouvelles idées pour l'Europe.

G.L.: L'Europe unie est une de ces idées sur lesquelles tous se trouvent facilement d'accord, des chefs d'Etat aux simples citoyens. Et pourtant la construction de cette Europe procède très lentement; et même quelque fois recule. Quelles sont réellement les forces en présence? Peut-on mettre en évidence qui agit pour l'unité européenne et qui contre?

E.M.: Il est vrai qu'il existe une attente généralisée d'Europe, mais tous attendent un peu comme s'il s'agissait de la venue d'un Messie. Mais il n'y aura pas de Messie. Il faut, je crois, un rôle de catalyse sociale opéré par la classe politique et intellectuelle. Nous sommes en présence de tous les éléments nécessaires pour la naissance d'une conscience européenne. Il faut un élément qui accélère et amplifie la réaction. Je n'ai pas de recette magique, je ne sais pas dire "on fait comme ceci et comme cela; certes, je sais qu'il faut faire tout ce que nous pouvons. En un certain sens je voudrais dire que nous devrions transformer l'idée de l'Europe en un mythe. Certes, il s'agira d'un mythe différent de ceux religieux et idéologiques parce qu'il ne fera pas de martyres, ni même de tyran. Quand le martyre prend le pouvoir, il se transforme en tyran. La foi européenne ne porte pas à mourir, c'est là un avantage, mais aussi une difficulté. Les partis politiques devraient abandonner leur langage rituel. Il ne

suffit pas de dire: "Europe! Europe!. De Gaulle disait de certains hommes politiques: "ils parlent d'Europe et sautent comme des chevreaux". Non, la question est de donner un contenu vivant à ce sentiment européen. Il s'agit encore une fois d'un problème d'imagination, de changement de langage... je n'ai pas un programme tout prêt, nombre des questions que j'ai en tête sont des questions ouvertes, je ne suis pas sûr de beaucoup de choses...

G.L.: Pour terminer je voudrais vous poser une question sur le Parti radical et sur sa transformation en parti transnational ainsi que sur la proposition de convoquer, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, les Etats Généraux d'Europe, rassemblant tous les parlementaires des parlements nationaux et du Parlement européen pour élire le Président de l'Europe. En avez-vous entendu parler et qu'en pensez-vous?

E.M.: Je connais très bien le Parti radical et son engagement en faveur de l'Europe. Il me semble très important qu'un parti cesse d'être national et pense à agir partout. Même si je crois qu'il soit juste de donner en ce moment la priorité à l'Europe, chose qui n'enlèverait pas la possibilité aux africains ou aux japonais de s'inscrire à ce parti. C'était peut-être aussi une idée de Felipe Gonzales, celle de faire de faire un parti socialiste européen. Je pense que tous les partis devraient opérer au niveau européen. Surtout je pense que le Parti radical qui a déjà fait d'importantes batailles en Italie est aujourd'hui capable de faire quelque chose d'important au niveau européen. Cette idée des Etats Généraux d'Europe, concomitante à l'anniversaire de la Révolution Française me semble excellente et j'y donne mon adhésion personnelle et totale. On peut faire également d'autres choses. Non l'avortement ou le divorce qui ne sont plus des batailles actuelles dans la majeure partie de l'Europe. Je crois que le

devoir de ce parti est de laisser jouer son imagination, comme il l'a déjà fait de par le passé, différemment des autres partis qui sont en général fossilisés en ce qui concerne la pensée politique.

 
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