AUX COLLEGUES DEPUTES DU PARLEMENT EUROPÉEN
Strasbourg, le 13 septembre 1999
Chère collègue, cher collègue,
C'est ce lundi 13 septembre que sera annoncée en séance plénière l'interprétation du Règlement formulée par la Commission constitutionnelle entraînant la dissolution du groupe technique des députés indépendants (TDI). Le Parlement sera appelé à se prononcer sur la question mardi matin à 9.00 heures.
Il nous semble donc important de faire le point sur la question.
Au cours de la session constitutive de notre Parlement, les députés de la Liste Bonino ont pris l'initiative de proposer à tous les députés n'appartenant pas à un groupe politique constitué de former un seul groupe "mixte"; l'objectif était de mettre un terme aux discriminations qu'entraînent, pour les membres "non- inscrits", notre Règlement, d'une part, et les dispositions administratives et financières internes, d'autre part. A un moment où le Parlement européen est appelé à de nouvelles tâches et à de nouvelles responsabilités, il nous a semblé qu'il était de notre devoir, quitte à donner l'impression de vouloir constituer des alliances politiques "contre-nature", de dénoncer à nouveau une discrimination qui perdure depuis vingt ans et qui est indigne d'un Parlement démocratique car elle bafoue le respect qui est dû à la volonté populaire.
Un Parlement est fait avant tout de parlementaires, de députés appelés, tous et chacun, à représenter l'ensemble de leurs électeurs. Un parlement ne peut être perçu et conçu que comme le lieu où sont garantis à chaque parlementaire, quel que soit le parti auquel il appartient, des droits égaux à ceux de tous les autres députés et où les prérogatives concernant l'activité parlementaire sont conférées directement aux députés. Si les électeurs sont tous égaux, les élus doivent également être égaux, tant du point de vue des droits que des devoirs.
Qu'il existe aussi dans la plupart des parlements nationaux - mais pas dans tous, pensons seulement au Parlement de Westminster - des groupes politiques qui ont comme tâche de coordonner le travail des députés et d'exprimer, à travers les organes compétents, la volonté des membres de ce groupe, constitue une question d'organisation interne, subordonnée au principe général que nous venons d'évoquer.
Cela est d'autant plus vrai que, là où le seuil requis pour former un groupe politique est relativement élevé, il est prévu que les députés indépendants soient inscrits d'office dans un groupe mixte - comme c'est le cas en Italie et en Espagne -, groupe mixte auquel sont attribuées les fonctions et les prérogatives en termes d'organisation qui sont réservées aux groupes politiques. Inversément, dans d'autres parlements, les députés indépendants, élus uniques d'un parti politique forment à eux seuls un "groupe" lorsque le règlement interne confère certaines compétences aux groupes, sans que soit prévue l'existence d'un groupe "mixte".
Au Parlement européen, qui compte par ailleurs des élus de quinze pays mais qui est aussi l'assemblée élue comportant le nombre le plus élevé de forces politiques, c'est exactement l'inverse qui se passe: les députés siégeant seuls sont privés de fait d'une grande partie de leurs prérogatives parlementaires au bénéfice des groupes politiques. Les députés qui ne font pas partie d'un groupe politique, désignés comme "membres non-inscrits", ne peuvent donc pas exercer l'entièreté de leurs prérogatives parlementaires, à moins qu'ils ne réunissent à certaines occasions, et à chaque fois pour une seule initiative, un nombre de signatures à ce point élevé qu'il rend vaine cette possibilité.
Nous sommes donc face à une véritable "confiscation" par les groupes politiques des droits parlementaires conférés aux députés (qui en vertu de ce même Règlement interne du P.E. "ne peuvent être liés par des instructions ni recevoir de mandat impératif"); cette situation engendre des députés de "première classe" et des députés de "deuxième classe", et a des conséquences également du point de vue administratif et financier, sans parler du fait qu'elle contribue à renforcer l'énorme pouvoir des groupes et de leurs bureaucraties au détriment du libre choix de chaque député.
Dans l'annexe 1, vous trouverez un exemple illustrant, en particulier pour les collègues qui sont élus pour la première fois, les disparités de traitement et de droits qu'entraîne cette situation.
Dans le souci de nous opposer à cette situation discriminatoire, agissant dans le cadre du Règlement tel qu'il existe et accompagnant cette initiative du dépôt d'une proposition de modification du Règlement pour que soit créé de jure le groupe mixte auquel seraient inscrits d'office tous les députés qui ne font pas partie d'un groupe politique, nous avons décidé de donner vie au groupe TDI, que l'on vous demande de dissoudre au cours de cette session, alors que dans le passé d'autres groupes "techniques" ont été régulièrement constitués (voir annexe II).
Dans l'interprétation du Règlement votée par la Commission constitutionnelle que vous devrez approuver ou rejeter durant cette session, il est dit en effet que le groupe TDI doit être dissous puisque ses membres ont souscrit une déclaration qui exclut toute affinité politique et affirme la totale indépendance des représentants politiques qui la composent. C'est bien en effet un groupe mixte que nous voulions constituer, avant de le voir, finalement, reconnu directement par le Règlement du P.E.
C'est pour ces raisons, et en vertu de la confiance et du respect que nous devons tous à nos électeurs, que nous nous adressons à vous pour que vous souteniez notre proposition de modifier le règlement, pour que soit créé le groupe mixte et, dans le cadre du vote sur l'interprétation du Règlement, pour que vous vous opposiez à cette décision.
Bien à vous,
Emma Bonino Marco Pannella Marco Cappato Gianfranco Dell'Alba
Benedetto Della Vedova Olivier Dupuis Maurizio Turco
Annexe I
Disparités de traitements et de droits entre groupes politiques et députés non inscrits
I) Prérogatives parlementaires
a) seuls les groupes (ou 32 députés) peuvent présenter des documents susceptibles d'être soumis au vote en séance plénière. Cela signifie que seuls les groupes politiques peuvent déposer des amendements aux textes soumis au vote du Parlement, des propositions de résolution d'urgence, des propositions de résolution mettant fin à la discussion sur les déclarations du Conseil et de la Commission, des propositions de recommandation au Conseil dans le cadre de la PESC ou de la politique intérieure de l'Union, des questions orales à la Commission ou au Conseil, des documents sur l'adhésion de nouveaux pays membres et sur la conclusion d'accords avec les pays tiers, etc.
b) seuls les groupes (ou 32 députés) peuvent intervenir sur la procédure et sur l'ordre des travaux de la plénière, pour présenter des candidatures aux fonctions de Président du P.E., de vice-président et de questeur, pour demander une modification de l'ordre du jour, pour demander le vote séparé d'un texte ou le vote par appel nominal, pour demander le renvoi en commission d'un rapport, la conclusion ou l'interruption d'une discussion, la suspension de la séance, etc.
c) seuls les membres des groupes participent à la répartition - selon la méthode D'Hondt - des charges de vice-président du P.E. et de questeur, de président et de vice-président des Commissions et des Délégations interparlementaires, même lorsque le nombre total des membres non-inscrits leur permettrait de prendre part à cette répartition; seuls les présidents de groupe ont le droit de vote à la Conférence des Présidents, qui est l'organe d'orientation politique du Parlement et auquel les représentants des non-inscrits ne peuvent assister qu'en tant qu'observateurs.
d) l'attribution des postes de membre des Commissions et des Délégations est faite après qu'aient été satisfaites les demandes des groupes politiques; en d'autres termes, même en partant d'une base proportionnelle comprenant les non-inscrits, si un groupe demande dans le cadre d'une commission ou d'une délégation plus de postes que ceux auxquels il a droit, il peut le faire au détriment des non-inscrits, qui doivent alors se contenter des postes laissés vacants par les groupes.
e) enfin, les députés non-inscrits ne sont pas autorisés à faire partie des délégations ad hoc créées par la Conférence des Présidents, ni des Comités de conciliation avec le Conseil, ni de la délégation à la Cosac, etc.
II) Questions d'ordre administratif
a) en dépit de la nécessité de tenir des réunions régulières en vue de la préparation des sessions plénières, mais aussi de distribuer le temps de parole et de prévoir l'examen de toute autre question d'ordre administratif, les députés non-inscrits ne peuvent tenir des réunions régulières avec des interprètes ni à Bruxelles, ni à Strasbourg, et il leur est interdit de fait de les organiser en dehors des lieux de travail du P.E.
a) un groupe politique dont le nombre de membres équivaudrait à celui des députés non-inscrits recevrait du Parlement européen pour le second semestre de 1999 un budget pour les dépenses administratives et de secrétariat au moins trois fois plus élevé que celui qui est attribué aux députés non-inscrits.
b) alors que les groupes ont un organigramme totalement autonome, le personnel de secrétariat des députés non-inscrits est établi sur la base de paramètres plus restrictifs que ceux qui sont appliqués aux groupes politiques, et il dépend directement de l'Administration du P.E.
Annexe II
Constitution de groupes "techniques" au P.E.
La constitution de groupes techniques comme moyen de remédier au statut attribué aux députés non-inscrits a été utilisée jusqu'à présent durant toutes les législatures du Parlement européen élu au suffrage universel.
a) en 1979, c'est un "groupe de coordination technique des groupes et des députés indépendants" qui a été créé avec l'objectif spécifique de défendre les droits des députés qui n'appartenaient pas à des groupes politiques. Ce groupe, qui a existé durant toute la législature et dont la conformité au Règlement n'a jamais été mise en cause, était composé, entre autres, des radicaux italiens, fédéralistes européens, et des représentants du Mouvement danois contre la CEE, autrement dit des composantes politiques en profond désaccord politique, mais quiétaient unies sur l'objectif de la défense des droits des groupes et des députés indépendants.
b) en 1987, les membres non-inscrits avaient de la même manière constitué un "groupe technique de défense des groupes et des députés indépendants" ne suscitant, dans ce cas non plus, aucune contestation sur la légitimité de ce regroupement (la dissolution, après quelques mois, de ce groupe ne fut due qu'à la démission de deux de ses membres).
c) il faut encore citer l'existence du groupe "arc-en-ciel" entre 1984 et 1989, ainsi que l'existence dans l'actuel parlement du "groupe des démocraties et des différences" dont le caractère éminemment technique ne peut être mis en doute.