LA RUSSIE VEUT ETOUFFER TOUTE VOIX TCHETCHENE A L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES
Moscou cherche à obtenir la levée du statut d'organisation non gouvernementale auprès des Nations unies attribué à un organisme dénonçant les pratiques russes en Tchétchénie. Un comité de l'ONU, qui devait voter sur la question vendredi 21 juillet, a déjà recommandé une suspension de ce statut pour trois ans. La Russie refuse de mener des enquêtes "indépendantes" sur les massacres, réclamées par l'ONU.
de Sophie Shihab
Mis à jour le vendredi 21 juillet 2000
Avec le soutien de pays comme la Chine, le Soudan et Cuba, la Russie risque d'obtenir un vote à l'ONU, vendredi 21 juillet, qui pourrait empêcher à l'avenir tout représentant tchétchène de s'y exprimer. Cette offensive diplomatique accompagne celles qui se poursuivent, militairement, sur le terrain, où la guerre, contrairement aux affirmations répétées de Moscou, se poursuit sans relâche.
A la veille d'une nouvelle session, début août, de la Commission de l'ONU pour les droits de l'homme à Genève, le Kremlin veut se prémunir contre tout risque d'y être à nouveau mis en accusation. Lors de sa dernière session d'avril, le président du Comité pour les affaires étrangères du Parlement tchétchène, Akhiad Idigov, avait pu s'exprimer en profitant d'un temps de parole dévolu au Parti radical transnational (TRP), qui bénéficie du statut d'organisation non gouvernementale (ONG) auprès de l'ONU. C'est la levée de ce statut que Moscou veut obtenir.
Un premier vote était prévu vendredi au Comité de l'ONU pour les ONG, qui a déjà recommandé une suspension du TRP pour trois ans. Le Conseil économique et social (Ecosoc) de l'ONU pourrait entériner dans la foulée une telle décision, qui est réclamée par la Fédération de Russie " en violation de toutes les procédures " en vigueur, a déclaré jeudi au Monde la députée européenne du TRP Emma Bonino, ex-commissaire européenne pour les affaires humanitaires.
Les arguments de la Russie consistent à présenter M. Idigov comme un " terroriste " et le TRP comme un " suppôt des trafiquants de drogue ", a précisé Mme Bonino. A l'instar de certains membres - aujourd'hui minoritaires - du Comité de l'ONU pour les ONG, la députée s'est alarmée de la dérive imposée aux instances des Nations unies en charge des droits de l'homme par la solidarité des pays qui les violent en premier chef.
TOURNÉE AMICALE
Ironiquement, une solidarité semblable risque de jouer au même moment à Okinawa (Japon), non plus entre délégués internationaux, mais au sein du G 8, lors des discussions politiques auxquelles participe le président russe, après sa tournée amicale en Chine et en Corée du Nord (lire page 3).
La déclaration finale ne devrait même pas inclure un rappel à Vladimir Poutine : celui d'avoir à respecter les recommandations d'avril de la Commission de l'ONU pour les droits de l'homme. Elles pressaient Moscou de mener des enquêtes " indépendantes " (et non pas " internationales ", comme il se doit en cas de crimes contre l'humanité) sur les massacres commis en Tchétchénie et d'ouvrir la république sécessionniste aux responsables de l'ONU. Rien de cela ne fut fait.
RAIDS AÉRIENS QUOTIDIENS
Les massacres, loin de faire l'objet d'enquêtes, se poursuivent. Ainsi le 16 juillet, six villageois d'Aguichty ont été tués et onze blessés - selon un bilan admis à Moscou, bien inférieur à ceux donnés de source tchétchène - par ce qui semble avoir été l'explosion d'un missile sol-sol. Semblable à ceux qui furent tirés une demi-douzaine de fois au moins en juin contre la minuscule Tchétchénie à partir du Daghestan. Mais une " enquête préliminaire " a montré que " le projectile d'Aguichty était d'un calibre que les forces russes n'utilisent pas et résultait sans doute d'une provocation tchétchène ", affirmait mercredi l'agence officieuse russe Interfax...
Aux raids aériens quotidiens dans les montagnes du sud, où l'infanterie russe ne se risque guère, répondent des attaques tchétchènes journalières contre les postes russes en plaine. " Ratissages " et tortures dans divers lieux de détention restent la règle, alors que la nouvelle tactique russe, visant à faire assumer par des Tchétchènes " pro-russes " la charge de la " lutte antiterroriste ", a déjà montré ses limites : un affrontement armé à été évité de justesse, le 18 juillet à Goudernmès, entre le nouveau chef de l'administration civile, l'ex-moufti Ahmad Kadyrov, et son adjoint en charge des milices, Beslan Gantamirov.
Quant aux troupes russes, elles sont formées " d'officiers qui s'approprient les soldes de leurs soldats morts et de sous-officiers qui tirent dans le dos de leurs hommes pour vendre leurs armes, alors que ceux qui ne font rien sont décorés grâce à leurs bonnes relations ", écrivait récemment un journal de Tchéliabinsk, Delovoï Oural...