III SEMINAIRE EUROPEEN SUR LE TIBET PLEINE AUTONOMIE POUR LE TIBET DANS LES TROIS ANS OU RECONNAISSANCE INTERNATIONALE DU GOUVERNEMENT TIBETAIN EN EXIL Parlement européen, Bruxelles, les 7 et 8 décembre 2000 Intervention de Madame Claude Levenson, écrivain » Je ne voudrais pas trop monopoliser la parole pour prêcher des convaincus. Car je pense que si nous sommes tous ici réunis, c'est parce que le Tibet nous tient à coeur. Le Tibet nous tient à coeur, et je crois qu'il faut prêter attention à ce qu'à dit Wei tout à l'heure. Wei a parlé en quelque sorte de ce que j'appelle rapidement le double language. Il nous a confié que lorsqu'il était jeune encore et qu'il était en Chine, il s'était laissé influencer par la propagande communiste et qu'il a cru, comme la majorité des Chinois qui ont été formés à l'école en Chine communiste, que le Tibet était une minorité, qu'il faisait partie de la Chine, que le Tibet a toujours appartenu à la Chine. Déjà là, c'est un problème de language: comment un pays peu
t-il appartenir à un autre? Il y a là quelque chose à préciser. Le Tibet et la Chine sont deux pays voisins. Et le Dalaï Lama l'a répété assez souvent: l'histoire, personne, même pas lui, n'est en mesure de la changer. Or que dit l'histoire? L'histoire dit qu'il y a deux pays: l'un le Tibet, l'autre la Chine, qu'ils sont voisins, qu'ils ont vécu plus ou moins en bonne entente et en bon voisinage et qu'il y a eu parfois des problèmes. Mais tout cela, c'est le passé. Et le passé est tel qu'il a laissé des traces très profondes et qu'il continue à en laisser. Aujourd'hui pourtant, ce qui m'importe, c'est le sort des Tibétains dans ce qui reste du Tibet, la région dite autonome, et dans les autres régions rattachées administrativement à des provinces chinoises. Il se trouve que notre premier voyage remonte à 1984. Le dernier à septembre dernier. Au cours de ces années et de plusieurs voyages, nous avons pu nous rendre compte de la détérioration de plus en plus rapide de ce qui ce passe au Tibet, de la mise en
danger de mort d'un peuple. Que les Tibétains veuillent l'indépendance ou l'autonomie, je dirais presque que c'est d'une certaine manière leur problème. Ce qui me semble être un problème pour nous, c'est que les Tibétains sont en danger de mort, que le Tibet est menacé dans son intégrité, dans sa langue, dans sa mémoire. Et nous, nous essayons de trouver les moyens de le sortir de ce marasme, simplement parce que c'est un peuple en danger. Il y a ici un cas flagrant de non-assistance à peuple en danger. D'ailleurs, il est aussi intéressant de relever le fait qu'en Chine, on parle de la minorité tibétaine. Minorité si l'on veut, car 6 millions de Tibétains par rapport à un milliard de Chinois, c'est une minorité. Mais est-ce que le Tibet, le peuple tibétain, qui a une civilisation différente de la civilisation chinoise peut réellement être considéré comme une minorité? En fait, on est en train de se demander s'il s'agit d'autonomie ou d'indépendance. D'aucuns en veulent au Dalaï Lama parce qu'il dit ne pl
us vouloir l'indépendance et qu'il réclame seulement l'autonomie. Réfléchissons-y ensemble: en fait que demande le Dalaï Lama? Simplement le respect d'un soi-disant "Accord en 17 points", imposé par la force, quelque mois après une invasion militaire d'un pays étranger. Le simple fait qu'il y ait eu accord, même sous coercition, entre le gouvernement chinois et le gouvernement tibétain, est une preuve qu'il n'existait pas de minorité, que le Tibet était un cas différent. D'ailleurs, je me suis laissé dire par des sinologues chevronnés, que même dans les écrits de Mao, on avait trouvé des passages où il reconnaissait que la Mandchourie, la Mongolie et le Tibet n'étaient pas des territoires chinois, que c'était des pays étrangers. Pour en revenir à ce que j'ai pu constater personnellement au cours de mes nombreux voyages au Tibet, ce qui m'a frappée, c'est non seulement le phénomène de colonisation qui existe et qui est poussé au maximum, je dirais depuis 1995, depuis l'histoire du différend concernant la
désignation et la nomination du Panchen Lama. Au cours de ces dernières années, la sinisation s'est accélérée de manière, je ne voudrais pas dire irréversible, car je ne crois pas qu'il y ait quelque chose d'irréversible, mais de manière extrêmement alarmante. Et je crois que placer le problème du Tibet dans la perspective de la décolonisation est aussi un moyen d'essayer de faire comprende au gouvernement de Pékin qu'à l'heure où le monde à été officiellement décolonisé, on ne peut pas tolérer qu'un grand pays, ou un petit pays, mais en l'occurence un grand pays qui se veut le champion des peuples opprimés, en colonise impunément un autre. Il faut aussi rappeler peut-être que nombre de dissidents chinois, nombre de jeunes Chinois qui sont sortis de Chine, ont appris l'existence d'un problème tibétain à l'étranger. Comme Wei, comme tant d'autres, ils avaient été formés à l'éducation chinoise et ils ont découvert à l'extérieur que finalement, la Chine et le Tibet, ce n'était pas tout à fait la même chose.
J'aimerais encore relever une observation qui a était faite tout à l'heure concernant le rôle de l'Eglise. Le rôle de l'Eglise est important en Chine, car c'est en premier lieu un rôle politique, puisque comme pour les autres religions, le gouvernement de Pékin cherche avant tout à diriger les consciences. Il y a un profond différend entre le Vatican et l'Eglise officielle. Mais n'oublions pas, comme cela a été dit, que pour l'Eglise catholique, le bouddhisme est la menace du 21ème siècle. Et il ne faut pas non plus oublier que lorsque les missionnaires partaient et s'arrêtaient à la porte du Tibet, parce qu'ils ne pouvaient pas y entrer, ils avaient un plan très simple: puisqu'il y avait un clergé, puisqu'il y avait des monastères, puisqu'il y avait des églises, puisque toutes les structures existaient, c'était très facile de convertir le Tibet: il suffisait de convertir le Dalaï Lama. Ce genre d'affirmation se trouve dans les relations des missionnaires catholiques, que vous pouvez trouver à la Bibliot
hèque vaticane, comme d'ailleurs dans des récits accessibles au public. Je crois que si l'on cherche à trouver des moyens de pression pour faire comprendre au gouvernement chinois combien il est important pour nous, pour l'ensemble du monde, que le Tibet vive, que le Tibet reste ce qu'il est dans son alterité et dans sa manière d'être, parmi d'autres moyens de pression politique, pourquoi ne pas songer, par exemple, que le Parlement européen propose le Panchen Lama pour le Prix Sakharov, comme prisonnier de conscience. Un problème qui a déjà été soulevé ici, celui des investissements occidentaux, est absolument majeur. S'il est vrai que nous avons tous entendu dire que les grandes entreprises qui n'écoutent jamais personne ne font pas d'affaires en Chine, il nous faut des chiffres et des renseignements précis, de sorte que nous puissions répondre et arrêter de payer pour les bêtises que font nos dirigeants. Je pense qu'il est aussi important d'introduire dans le débat politique le fait qu'à tous les nivea
ux, dans chacun de nos pays, les parlements prennent position sur la question tibétaine. Noublions pas une chose: les Chinois, ou plutôt le gouvernement chinois - malgré et surtout à cause de son totalitarisme et de sa volonté de tout contrôler - n'est pas composé de gens véritablement idiots. Or, si vous parlez avec des personnes qui connaissent bien la Chine, qui en connaissent bien les rouages, elles vous diront toutes qu'à un moment donné, quand on est franc, quand on tient tête et qu'on dit : » jusque là et je n'irai pas plus loin , eh bien, à ce moment-là, les dirigeants chinois commencent à vous estimer et à vous respecter. Il faut réussir à faire passer ce message aussi à nos politiciens:" arrêtez de jouer profil bas; faites en sorte de représenter ce que veut l'opinion publique", dites à vos interlocuteurs: » d'accord d'investir, d'accord d'aider au développement, mais respectez un certain nombre de principes puisque vous voulez intégrer la communauté internationale . Il y a un certain nombre de
principes à respecter et nous ne voulons pas que ces principes soient sacrifiés sur l'autel d'intérêts à court terme qui vont contre nos opinions et contre l'intérêt même du peuple chinois. Car ce que l'on apporte aujourd'hui au peuple chinois, c'est véritablement ce qu'il y a de pire dans notre civilisation occidentale. Je ne veux pas m'étendre, mais il faut aussi y songer. S' il y a quelque chose que nous pouvons faire encore en soutenant le gouvernement tibétain en exil et en faisant en sorte que des négociations s'engagent, il ne faut pas oublier le facteur temps. Car le facteur temps est déterminant, il y a urgence. Dans une vie humaine, trois ans ce n'est rien, mais c'est aussi immensément long. Demain, il peut être déjà trop tard pour le Tibet. C'est un peu ce que j'avais à dire. J'attends de vous autant de suggestions que possible. Et surtout une volonté unanime de travailler ensemble pour un même but, en sachant que la liberté du Tibet nous concerne tous, et pas seulement pour les Tibétains, mais
pour la liberté dans son ensemble, que ce soit celle des Tibétains ou des Chinois, et pour notre dignité à nous en tant qu'êtres humains.