par Milan DamnjanovicSOMMAIRE: Traduction d'un interview de Marco Pannella dans "Nin", journal yougoslave. Au journaliste qui lui demande une sorte de photographie du Parti radical, Pannella rappelle qu'il s'agit du parti des homosexuels, des drogués, des détenus, etc... et qui a cependant mené la bataille contre l'extermination par la faim dans le monde et qui a rassemblé 800.000 signature contre la chasse, alors que les verts allemands n'existaient pas encore. De l'"héritage spirituel de 68", il garde la victoire du divorce, alors que le Pci faisaient son compromis historique avec la Dc. Pannella revendique aussi son opposition au système particratique actuel, à savoir au système électoral de type "continental", absolument pas démocratique.
Pour les radicaux, poursuit-il, la démocratie véritable est la démocratie "classique", pas encore réalisée à cause aussi de l'Etat national ("la démocratie dans un seul pays c'est de la folie"). Ce sont des libertaires mais pas des anarchistes. Puisque ce ne sont pas des nationalistes, ils ne sont même pas pour les revendications nationales, comme par exemple, le Kossovo. Ce sont des laïcs, mais pas des anticléricaux, etc...
Pannella illustre ensuite les caractéristiques du Parti transnational, avec la double carte, etc... Sur la question allemande, il affirme que le danger de la renaissance de la super-puissance germanique existerait s'il n'y avait pas la Communauté économique européenne qui doit devenir une véritable fédération (ou confédération) avec une unité politique effective.
("Nin", 19 octobre 1990)
Marco Pannella, Président du Parti radical transnational et député au Parlement Européen, vous avez récemment séjourné en Yougoslavie. Les radicaux européens, qui sont-ils?
Nous sommes le parti de Cicciolina, nous sommes le parti des homosexuels, nous sommes le parti des drogués, nous sommes le parti des déserteurs - des gens qui ne veulent pas faire le service militaire, nous sommes aussi le parti des détenus. Nous sommes, par exemple, le parti qui, en Italie, compte parmi ses membres plusieurs prisonniers. Les premiers membres du Parti radical en Russie ont tous séjourné dans les asiles psychiatriques. Léonide Plioutchtch, par exemple. Nous nous sommes battus pour la fermeture des asiles de fous en Italie. Nous sommes le premier parti politique au monde à avoir convoqué un referendum sur la chasse, alors que personne n'y avait encore pensé. Les verts allemands n'existaient pas encore, ils n'étaient même pas dans leurs langes, lorsque nous avons rassemblé plus de 800.000 signatures contre l'option nucléaire.
Donc, l'image de notre parti ressort de tout cela. Je pense qu'il n'existe aucun autre parti aussi austère et qui sache en même temps jouir de la vie. Nous avons livré la bataille contre la faim dans le monde. Aux manifestations que nous avons organisées, nous avons rassemblé un million et demi de participants, et nous n'étions que trois mille membres.
Marco Pannella dit cela au début de la conversation, en expliquant l'image d'un parti qui n'accepte ses membre que pour une année, avec possibilité de réinscription.
Q. Votre parti a-t-il pris l'héritage spirituel de 68?
R. Au moment où, à partir du mouvement pour les droits civils en amérique, naît le mouvement européen de 1968, nous autres en Italie, nous réalisons plusieurs choses prodigieuses. En cette période-là, dans l'étau radical. nous étions en Italie, sur le point de réussir à imposer l'introduction de la loi sur le divorce et cela non seulement contre la volonté de l'Eglise, mais aussi contre l'entière classe politique italienne. Même le Pci, à cause du compromis historique, était contre, et lesdits partis laïques étaient en coalition avec le Parti démochrétien. Même l'extrême droite, les fascistes et tous les autres, étaient clairement contre elle. En Italie, la gauche, le centre et la droite avaient pris une position identique à notre égard. Et très souvent, en vérité, c'était les mêmes aspects d'un même parti. Cela est très évident dans les émocraties continentales, lesquelles sont pluralistes et proportionnalistes, car dans notre continent européen nous n'avons pas de véritables démocraties, mais des particrat
ies, avec des partis para-étatiques. Avec cette grande envie de tout nationaliser, ils se sont nationalisés eux-mêmes.
Je pense que nous autres, en Italie, cinq ou six ans après la guerre, nous sommes passés d'un système unipartite parfait, le fascisme, à un nouveau système imparfait de partitisme. Car aujourd'hui, la gauche, le centre et la droite sont bien enchevêtrés.
Q. Qu'est-ce que, pour vous, la démocratie?
R. Au Parti radical nous avons comme exemple la démocratie classique, laquelle n'a pour ainsi dire jamais été réalisée. Selon nous, quiconque accepte les limites de l'Etat national, ne peut guère guider de manière démocratique la vie sociale, ni gouverner la société.
Q. La démocratie est-elle possible si les Etats n'ont que les compètences qu'ils ont aujourd'hui?
R. Comme l'histoire a démontré que le socialisme dans un seul pays c'est de la folie, et même un crime, de même, selon moi, la démocratie dans un seul pays c'est de la folie. D'autant plus grande si c'est un état national de la dimension de la France et de tous les autres, à savoir 90% des pays membres des Nations Unies.
Je pense que le concept d'Etat national a été, au fond, dans ce siècle, une sorte de Sida, une maladie pour les libéraux et pour tous les autres.
Q. D'habitude, on pense, du moins chez nous, en Yougoslavie, que le Parti radial transnational est anarchique, et cela revêt une signification négative; mais est-il vraiment logique de considérer comme positive la définition de non-Etat?
R. Notre parti n'est pas un parti idéologique, et puisqu'il est composé d'un groupe de personnes qui, chaque année, acceptent d'en faire partie, je ne puis que vous répondre à titre personnel.
Je pense que les positions qui se refèrent à Rousseau, à savoir, à la nature, toutes les positions qui disent que l'homme est bon mais la société le corrompt, sont à la base de tous les maux du monde contemporain. Je suis un libertaire c'est vrai, mais je suis aussi anti-anarchiste. Je suis convaincu que la pire des lois, même la loi du Talion, est meilleure que la loi de la jungle. Donc, n'importe quelle loi, la loi des 12 tables, la loi de Moïse, une loi quelconque vaut mieux que ne pas avoir de loi du tout. La loi fixe les règles du jeu. Tandis que la loi de la jungle, que les anarchistes considèrent comme la loi de la nature, n'est bonne que pour les arrogants. Par conséquent, notre parti a adopté ce slogan, même si c'est un concept philosophique: "le droit à la vie et la vie du droit.
Donc, je ne mélange pas les élections avec la démocratie, aussi parce que dans les dictatures, non seulement on vote, mais on est obligés de voter. La démocratie ce n'est pas le fait de voter ou pas, mais aussi le fait que cela n'est pas obligatoire. Je dois dire qu'en tant qu'italien, j'ai toujours eu davantage peur des italiens que des allemands, des américains ou des russes. Je ne crois pas à l'"ethnos" en tant qu'"ethos", je ne crois pas que ce soit le fait du destin ou de la légitimité. J'ai davantage peur des lois de la race que de l'occupation ennemie. Car, très souvent la race ôte à ses membres la liberté avant même ses ennemis. C'est pourquoi je suis internationaliste. C'est pourquoi je suis convaincu que l'empire Austro-Hongrois, qui était multinational, était plus européen, et même plus civilisé que les états nationaux qui s'étaient formés à la fin du siècle dernier ou après 1914.
Pour moi, le droit de l'individu est fondamental, mais ce n'est pas le principe de la Révolution française qui l'a dénié au nom de ces mêmes idéaux illuministes qui ont conduit à la révolution. Je crois que les droits du peuple albanais au Kossovo comme en Albanie, s'ils devenaient l'objectif principal, représenteraient la fin des droits de tout homme ou femme albanais. Pourquoi aklors, au nom de l'histoire, au nom du peuple, au nom de la langue et de la culture, la race doit-elle excomuniquer quiconque n'est pas d'accord avec elle. Cela signifie que, avant même de commencer la lutte contre l'ennemi, elle s'efforcera de liquider les sales traîtres, pour parler le langage radical.
Q. Quel est votre rapport avec l'Eglise?
R. Nous sommes un parti laïque. Donc, nous sommes un parti anti-clérical là où le cléricalisme existe. Le Parti communiste italien a toujours accepté le dialogue avec l'Eglise mais n'a jamais voulu parler de divorce, de l'avortement, etc... Car tout cela sous-entendait de gros problèmes moraux et sociaux. Nous, radicaux, non seulement nous avons affronté ces problèmes, mais nous avons aussi vaincu. Et lorsque nous avons vaincu en ce qui concerne le divorce, plus d'un journal européen a écrit: "L'Italie est entrée dans l'Europe".On a pu y voir une caricature de David-Radical qui abat Goliath-Clergé. Je suis contre l'Eglise représentant le pouvoir. Donc ma position est claire, mais je suis aussi prêt à mourir pour le droit des catholiques de croire en leur dogme.
Je dois dire que parfois Jean-Paul II m'est sympathique, lorsqu'envers et contre tous il défend et affirme avec insistance ... (omissis)... il faudrait davantage de politiques dans tous les partis, libéraux, socialistes, qui, avec cette même cohérence de principes et avec la même intégrité défendraient leurs positions, comme il le fait.
Mais s'il essayait de nouveaux concordats entre l'Etat et l'Eglise en Europe Orientale, je serais abolument contre. Les croyants doivent avoir le droit de conduire leur vie religieuse, mais l'Eglise et l'Etat n'ont pas le droit de concorder des privilèges ou de se comporter comme des omnipotents. Cela est aussi valable pour les autres fondamentalistes, musulmans ou autres.
Q. Combien de radicaux y-a-t-il dans les pays socialistes et comment ont-ils pu s'inscrire au Parti Radical Transnational?
R. Voici un exemple. Si plusieurs radicaux, et par conséquent le Parti radical, pour sauver le Danube dans une ville, mènent une action dans un but légitime dans un pays, je pense qu'avec l'aide du Parti Transnational, au même moment, le même jour, dans les parlements de ces divers pays, le même projet de loi peut-être présenté, et dans les rues, devant les parlements, on peut organiser de grandes manifestations internationales pour supporter ces initiatives.
Au moment-même où en Roumanie ou en Italie une action pour la défense des droits des citoyens roumains ou italiens serait engagée, des manifestations de soutien auraient lieu devant les ambassades d'Italie ou de Roumanie à Belgrade, Moscou ou Paris, ou ailleurs.
Q. Un membre d'un autre parti peut-il s'inscrire au Parti radical?
R. Nous sommes le premier parti au monde à avoir défendu le droit de chacun de posséder deux, trois, quatre cartes de partis. C'est le droit de chacun et le parti n'a pas le droit de s'ingérer. Aujourd'hui, c'est encore différent. Nous ne sommes plus un parti national. Aujourd'hui, lorsque l'on se met en compétition avec les partis nationaux, le parti radical en tant que tel ne peut - et je le souligne - ne peut se présenter avec son propre symbole nulle part dans le monde, pour aucune occasion, car le Parti radical ne veut pas entrer en compétition pour le pouvoir. C'est-là notre principe de base. Si au niveau écologique, juridique et social nous n'avons pas d'organisation transnationale commune, surtout dans les pays particratiques à système proportionnel, et non pas à l'anglosaxonne, le fait, pour nous, d'être interpartites, est une condition essentielle. Dans le cas contraire nous ne pouvons pas garantir le cours de la démocratie, qui se réduit en vérité au choix entre deux possibilités.
Q. C'est le principe de la maçonnerie, sauf que votre organisation n'est pas secrète.
R. Vous avez raison. Il y a deux siècles la maçonnerie a eu un rôle très important dans notre civilisation. Elle s'est battue pour la pensée, la liberté, la culture et la tolérance. Mais il est arrivé ce qui est arrivé au christianisme. Le cristianisme s'est transformé en église et alors, adieu la religion!
Q. Que pensez-vous de la réunification de l'Allemagne? L'Allemagne en tant que superpuissance sera-t-elle trop forte pour le contexte européen?
R. Si nous revenions en arrière, avant la Communauté européenne, cela ne serait pas un risque mais une certitude. Mais si nous accélérons notre lutte pour la création des Etats Unis d'Europe, alors cette réunification est un pas positif dans cette voie. J'ai officiellement demandé à la commission politique du Parlement européen à ce que la Communauté européenne exprime le souhait que l'on fasse faire aux tchèques et aux slovaques, aux polonais, aux hongrois et aux yougoslaves le même pas en avant qu'à la République Démocratique allemande, car ce serait de la folie que de soutenir que les polonais, les hongrois, les tchèques et les slovaques et les yougoslaves sont moins disponibles à l'égard de la démocratie que les allemands de l'est.
Les Etats Unis d'Europe sous-entendent une réduction de la souveraineté consolidée des Etats nationaux. Avec une forte minorité, et avec la majorité au Parlement européen, c'est pour cela que nous travaillons, car, comme je l'ai dit précédemment, ces divers états national-démocratiques sont la véritable ruine et il faut donc au plus vite une seule unité politique fédérale et ne pas se contenter uniquement de la collaboration économique. Dans le cas où ces pays entreraient dans une fédération politique, ils y auraient davantage d'intérêts. De cette manière leurs intérêts économiques seraient respectés plus facilement qu'avec de simples accords avec l'une des super-puissances.
Q. Dans les discours sur l'Union Européenne, y a-t-il de la place pour un état confédéral?
R. La question est de grande importance. Si nous avons les Etats Unis d'Europe comme les Etats Unis d'Amérique, il existe un gouvernement fédéral. Et chaque petit état a son propre gouvernement. Si tel état est de type fédéral ou confédéral, c'est son problème. Permettez-moi au passage d'exprimer ma pensée. Je comprends cette tentative de trouver une sortie - nous créons un règlement confédéral etc... mais qu'est-ce que cela change - historiquement, ici, maintenant? Fédération ou confédération, ça n'est pas l'essentiel, si nous ne pouvons pas dédramatiser la situation. Peut-être par égoïsme, et je souligne, peut-être, les républiques riches s'intègrent toujours plus avec l'occident, elles se détacheront toujours plus des républiques pauvres, et dans ce cas, confédération ou fédération importent peu. Cela est peut-être conjoncturel, intéressant à discuter, une manière de gagner du temps, un an ou deux, mais en cela il n'y a pas de perspectives.